Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Le sacrifice a-t-il encore du sens ? Sujet présenté par Luc Sadet lundi 17.11.2014 + restitution de quelques problématiques
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11 novembre 2014 à 14h11 #5134Quel sens pour le sacrifice ?
En juin 2014, Radio France restituait les résultats d’une enquête effectuée dans plusieurs pays sur le thème: Pour qui, pour quoi risquer ou donner sa vie aujourd’hui ?
L’actualité du moment portait sur le 70ème anniversaire du débarquement, mais aussi sur le prochain centenaire du début de la Grande Guerre, et également sur les actions extrémistes des groupes intégristes qui sévissent périodiquement. Les divers témoignages recueillis sont consultables ici.
Les propos indiquent que nous ne sommes plus dans l’état d’esprit national du début du XXème siècle, où Péguy pouvait écrire «Eve» dont l’extrait suivant donne une idée.Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle.
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre
Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelleHeureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles
Couchés dessus le sol à la face de Dieu
Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu
Et les pauvres honneurs des maisons paternellesHeureux ceux qui sont morts car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés.Charles Péguy (1873 – 1914) Eve (1913)
Certes, le contexte d’hier et d’aujourd’hui n’est plus le même, et les réponses du sondage témoignent du fait que la notion de sacrifice volontaire a changé elle aussi. Une des réponses évoque d’ailleurs le propos de Brassens: «Mourir pour des idées, d’accord……mais de mort lente»
Or, la notion de sacrifice n’évoque pas exclusivement celui de nos vies. Il en est d’autres plus ordinaires, rendus nécessaires par les contraintes de l’existence, les événements imprévus, ou simplement des choix personnels.
Loin de l’héroïsme il est intéressant de se demander dans quelle mesure tous ces sacrifices peuvent être en lien avec le côté sacré que rappelle l’étymologie : Envisager le sacrifice dans une optique de vie et non de mort.
PEUT-ON VIVRE SANS SACRIFICE?
LE SACRIFICE AJOUTE-T-IL UNE VALEUR A LA VIE?Autre ressource proposée
Se sacrifier, à quoi ça sert ? Gene Ricaud-François (psychologue – psychothérapeute)2 mars 2015 à 2h38 #5198Restitution de quelques problématiques évoquées lors du débat
Peut-on vivre sans sacrifice?
Le sacrifice ajoute-t-il une valeur à la vie?
Qu’est-ce que le sacré ?
– Étymologiquement, « sacrifier » signifie « rendre sacré ». Qu’est-ce qui est sacré ?
– Le sacré est lié à de l’interdit, à des limites qui définissent par exemple un sanctuaire, un domaine « intouchable», et séparé de l’ordinaire, des tâches du quotidien.
– Le sacré est associé également des rituels, à des règles, à des offrandes. Il y a une notion de passage, par exemple d’un âge à un autre, d’un statut à un autre.
– Le sacré est souvent lié à des valeurs de transcendance, ce qui est visé se situe au-delà de la vie ici bas.
– Il y a un second sens au mot « sacrifice », celui qui consiste à renoncer volontairement à des plaisirs, à des avantages, afin de se consacrer à un projet d’intérêt personnel, ou collectif. Ce second sens témoigne d’une dimension plutôt psychologique que religieuse.
– Le sacrifice, de son côté, désigne l’acte par lequel on entre en relation avec le sacré. Quelque chose est sacrifié en échange d’une valeur plus haute.
– Une victime peut être sacrifiée de manière réelle ou symbolique. L’hostie, par exemple, symbolise le corps du Christ, et rappelle au croyant, le sacrifice par lequel l’humanité aurait été sauvée.Le sacré a-t-il toujours comme prix une souffrance ?
– La religion chrétienne se fonde sur le sacrifice du supplicié, Jésus Christ. De quelle manière ce sacrifice conditionne-t-il la notion d’amour, d’abnégation, et de souffrance dans la culture de l’Occident ?
– Le sacrifice est-il toujours lié à la douleur, à une perte, à un coût très élevé ? Autrement dit, est-ce la mort qui donne au sacrifice son sens ?
– Le sens du sacrifice chrétien a pour objet de sauver l’humanité. C’est un rapport d’échange qui ne trouve pas d’équivalent dans d’autres religions : les souffrances d’un seul homme contre le salut de l’humanité entière.
– On pourrait se demander, lorsque le sacrifice est associé à la douleur, à la mort, s’il ne répond pas à une forme de traumatisme chez celui qui le met en scène ? La valeur du sacrifice tient-elle au traumatisme qui la fonde ? (Voir René Girard – La violence et le sacré, ou Totem et tabous de Freud)
– On a un contre-exemple : chez les bouddhistes, le sacrifice associé à la douleur ne constitue pas une valeur centrale dans leurs pratiques. Ils cultivent un rapport direct au sacré par des offrandes, ou en méditant sur des valeurs telles que l’altruisme, la compassion, l’empathie pour son prochain.
Le sacrifice, du sacré au profane
– Est-ce faire un sacrifice que de privilégier un choix au détriment d’un autre ? Par exemple, sacrifier une partie de son salaire pour mieux se consacrer à sa famille.
– A mon avis, non. Les situations dans lesquelles nous faisons des choix redéfinissent simplement des priorités personnelles. Cela correspond plutôt à des formes de compromis, à des calculs d’intérêts.
– On peut se demander si le sacrifice doit s’inscrire dans la trame d’un mythe collectif pour qu’il garde son sens ?
– Je pense que nous devons distinguer le «sacrifice» qui, d’une part, se rapporte à ce qui nous dépasse comme individu (Dieu, le Soi, l’Amour universel, la nation, la république, sa communauté de pensée, etc.) et d’autre part, celui qui a trait à un intérêt privé, à un confort personnel, à une ambition quelconque.
– J’émettrais une réserve. Si je me sacrifie pour ma famille, il ne s’agit pas de mon intérêt personnel, mais de celui de la communauté dans laquelle je vis.
– La taille de la communauté à laquelle on s’identifie, et pour laquelle on se sacrifie doit-elle être prise en compte pour donner sa valeur au sacrifice ?Sans sacrifice la vie a-t-elle du sens ?
– Il semble qu’il y ait toujours de « petites morts » à vivre. Grâce à la notion de sacrifice, on se donne un horizon qui dépasse le plaisir individuel, immédiat. On peut s’oublier, et aller au delà de soi-même.
– Partant de l’expression « l’enfant est sacré », on signifie qu’on donne à l’enfance une valeur qui prime toute autre approche intéressée. Il en est de même pour le mariage : le « sacrement » donne à l’union une valeur qui surpasse l’intérêt de chacun des conjoints.
– Dans l’enquête sur « Le sacrifice au service d’une cause » rapportée par France-Culture (02.06.2014), il est signalé qu’une société qui ne peut supporter le sacrifice est une société de la perversion. En résumé, le non-respect des engagements est de plus en plus banalisés, il tend à faire de l’inconstance et du narcissisme des modes de vie.
– A quoi suis-je fidèle si je m’engage et me désengage au gré des opportunités qui se présentent ?Un choix qui s’impose
– En situation de guerre, des personnes peuvent s’investir dans une mission, un mouvement de résistance, comme si une volonté intérieure s’imposait à eux. Leur choix leur semble naturel.
– Pourtant, certains sacrifices semblent découler d’un besoin narcissique de gloire, d’un désir de faire ses preuves, d’une demande de reconnaissance inavouée.
– Mais comment distinguer un sacrifice qui cache un besoin de faire-valoir de celui qui témoigne de l’intérêt porté à autrui, ou à une mission ?
– De nombreux témoignages rapportent que l’auteur du sacrifice obéit à un impératif intérieur. A posteriori, ces personnes confient qu’il leur eût été impossible de garder leur dignité si elles n’avaient pas su s’oublier.
– C’est l’entourage qui considère qu’il y a sacrifice, pas celui qui le décide.
– Le sacrifice s’impose par l’idée que se font d’eux-mêmes ceux qui y consentent. Il renforce le sentiment de sa valeur intérieure, et leurs auteurs ne souhaitent pas s’en targuer.
Aujourd’hui, la notion de sacrifice a-t-elle encore le même sens ?
– René Girard explique que, pour apaiser ses rivalités, un groupe (une société, une tribu…) tend « instinctivement » à évacuer ses tensions sur une « victime » : cette dernière endosse alors, avec son consentement ou non, le rôle de bouc émissaire. Ce besoin de régulation de la violence serait à l’origine du « sacrifice ». Par la suite, cette propension au sacrifice conduit à l’émergence du religieux, qui devient alors un facteur structurant de l’ordre moral et sociétal. http://www.cottet.org/girard/
– René Girard fait référence aux sociétés premières, mais dans nos sociétés modernes, le sacrifice a-t-il encore du sens, alors que nous n’avons plus la même lecture des dangers qui nous menacent ? La cohésion d’une communauté doit-elle encore dépendre du sacrifice d’une communauté, d’une classe sociale, ou de quelques-uns ?
– Aujourd’hui, on ne croit plus à la valeur du sacrifice comme rachat de ses dettes morales*, ou comme moyen de contribuer aux intérêts d’un groupe.
– Je suis d’accord, mais le manque d’idéal (et partant de l’effort consacré au sacrifice) porte atteinte à l’idée de cohésion sociale. Des analyses rapportent que, pour les jeunes, le goût du risque est renforcé par l’absence de sacrifice (et de sens) dans notre société (à quoi donner sa vie ?). Ainsi les engagements pour le Djihad exprimeraient un désir de sacrifice perverti et mortifère.
– Certes, l’abnégation de soi est mortifère, mais lorsqu’on perd le sens de ce qui dépasse son individualité, c’est l’empathie pour autrui, la notion de « bien commun », c’est la réflexion sur la valeur avec laquelle on doit considérer les autres qui disparaît également.
– Le dépassement de soi doit-il être perçu comme un sacrifice ?
Citation
– « On me parle de sacrifice, ça me fait rigoler ! Quand on aime, il n’y a pas de sacrifice, mais une dilatation du coeur ». Cette citation est de sœur Emmanuelle, qui a consacré sa vie aux chiffonniers d’Egypte.*) Pour info, la langue allemande utilise le même terme « Schulden » pour désigner les dettes et les fautes.
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