Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse De quelle laïcité parlons-nous ? Sujet du 26.01.2015 + restitution des problématiques

5 sujets de 1 à 5 (sur un total de 5)
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  • #5170
    René
    Maître des clés
      De quelle laïcité parlons-nous ?
      Implications politiques, sociales et philosophiques

      Introduction du débat
      Notre manière de penser la laïcité est l’un des principes républicains qui se trouve questionné dans les attaques contre Charlie, la supérette cacher, et la police.
      Le terme « laïc » vient du latin « laïcus » qui signifie « commun au peuple ». Il s’oppose à « klerikos », le clerc. Le laïc était, durant le Moyen Age, une personne baptisée qui, sans être entrée dans les Ordres, se mettait au service de l’Eglise. Sous la IIIème République la laïcité devient une manière de concevoir l’organisation de la société, elle vise à séparer le pouvoir « temporel » (le politique et les affaires publiques) du pouvoir « spirituel » (l’Eglise et ses pratiques). Cette séparation est entérinée par la « Loi de séparation des Eglises et de l’Etat » adoptée en 1905.
      Mais les grands principes entrent souvent en conflit avec les pratiques sur le terrain, ils se heurtent à la complexité des interactions sociales, et s’adaptent difficilement à l’évolution des sociétés.

      Pour rappel, extrait de la loi 1905
      Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ». Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] »
      Subsiste toutefois une exception, le concordat de l’Alsace-Moselle signé en en 1801 par Napoléon, et confirmé par le Conseil Constitutionnel en 2013, au nom de la tradition républicaine.

      Quand la laïcité pose problème :
      – Peut-on porter le voile à l’université ?
      – Peut-il y avoir une crèche dans un Hôtel de Ville ?
      – Un centre culturel islamique peut-il aménager une salle de prière dans son local ? Rappelons qu’un centre culturel (loi 1905) peut être subventionné par l’Etat, mais pas un centre cultuel (pratique religieuse).
      – Une patiente musulmane peut-elle exiger d’être soignée par des médecins-femmes ?
      – Des élèves musulmanes doivent-elles être dispensées de cours de natation à l’école en raison de la demande des parents ?
      – Les heures d’ouverture des piscines doivent-elles prévoir des plages horaires réservées aux femmes ?
      – Peut-on se présenter avec un voile (foulard) à un examen de l’éducation nationale ?
      – Une maman peut-elle accompagner bénévolement des enfants à une sortie scolaire dans un habit traditionnel, et notamment en portant un voile ?
      – Peut-on porter un niqab (voile intégral) dans un parc public ?

      Le principe de laïcité en question :

      – Y-a-t-il un fondamentalisme laïc ?
      – Un Etat laïc est-ce un Etat athée ?
      – L’athéisme s’impose-t-il comme une religion d’Etat ?
      – Toutes les religions se valent-elles, et toutes doivent-elles être traitées de la même manière ?
      – Les écoles confessionnelles sont-elles compatibles avec la laïcité ? Qu’en est-il de l’application des programmes scolaires, censés être les mêmes pour tous ?

      Questions de fond :
      – Comment la République garantit-elle la liberté de conscience ?
      – Comment la laïcité organise-t-elle l’exercice de la citoyenneté ?
      – Les pratiques religieuses peuvent-elles s’inscrire dans la vie publique sans nuire aux valeurs de la République ?

      Ressources (cliquer sur le lien en bleu ci-dessous pour y accéder) :
      Remettre la laïcité à l’endroit. La Grande Table (France-Culture) invitait le philosophe Henri Pena-Ruiz et le docteur en science et islamologue Ghaleb Bencheikh.
      Quelle laïcité pour quel modèle républicain ? Du Grain à Moudre (France-Culture) recevait le sociologue Jean Baubérot et la philosophe Catherine Kintzler.
      L’inconscient de l’Islam de Malek Chebel. Dans L’Essai et la Revue du Jour sur France-Culture)
      Qu’est-ce que la laïcité ? Essai et définition. Sur le site Implications philosophiques
      Commission Stasi. (Sur Wikipedia)
      Lettre de Jean Baubérot à la commission Stasi. Sur le site Islam et laïcité)
      Lettre ouverte au monde musulman du Philosophe Abdennour Bidar
      Quelle laïcité aujourd’hui ? sur le site Vie publique
      Philosophie de la laïcité. Sur le site « Croire »
      La crèche Baby-Loup. Une chronique de Caroline Eliacheff sur France-Culture

      Procédure pour le débat.
      – Quelles autres questions vous suggère le débat sur la laïcité ?
      – Récolte des questions et traitement de celles qui recueillent l’intérêt le plus grand.

      __________________________
      Le café philo d’Annemasse est ici
      #5180
      René
      Maître des clés
        Citations en miroir

        « Il faut que les élèves aient le plaisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose que ce qu’ils sont pour pouvoir penser par eux-mêmes. Si l’on veut que les professeurs puissent les y aider, et l’école rester ce qu’elle est — un lieu d’émancipation —, les appartenances ne doivent pas faire la loi à l’école. »
        Déclaration commune de : Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay, Catherine Kintzler — Le Nouvel Observateur — 2-8 novembre 1989

        La déclaration ci-dessus peut être comparée à celle de Jean Baubérot ci-dessous parue dans Le Monde 2012 :
        « La laïcité est censée permettre de vivre, dans la paix sociale, des rapports différents à la sécularisation selon qu’on soit proche ou distancié de la religion dans son cœur doctrinal, rituel etc. La laïcité n’a donc pas à imposer aux gens de se séculariser car cela devient une atteinte à leur liberté de conscience. »

        Cette comparaison illustre un positionnement conflictuel : d’un côté, l’éducation est perçue comme un principe émancipateur, de l’autre, la laïcité radicale est perçue comme une atteinte à la liberté de conscience.

        #5181
        René
        Maître des clés
          Compte-rendu du débat
          Préalable, questions de définition

          Sécularisation: La sécularisation est un processus qui s’écoule dans le temps (séculier, siècle), et dans lequel des rites basés sur des valeurs « sacrées » deviennent des pratiques laïcisée basées sur une tradition. Par exemple, la célébration de la naissance de Jésus est devenue la fête de Noël.

          Athée : selon la définition du Larousse, l’athée est celui qui nie l’existence de Dieu.
          Plus largement, le terme athée est formé du « a » privatif et de « théo » (étymologie grecque de « dieu ») : l’athée est celui qui est sans dieu.
          Question : être « sans dieu » signifie-t-il être « sans spiritualité » ?
          On distinguera par ailleurs l’athée qui se vit en paix avec les croyances et les croyants, et le militant qui combat toute idée relative à des déités, à des religions, et aux pratiques qui s’y référent.

          Agnosticisme : du grec « agnostos » inconnu. Doctrine selon laquelle l’absolu et l’au-delà sont inaccessibles à l’esprit humain. Plus largement, l’agnostique « reconnaît » que l’existence de « Dieu » est indémontrable, et donc, il ne peut rien en être dit.

          Panthéisme : du grec « pan » tout, et « théi » relatif à Dieu. Doctrine selon laquelle Dieu existe partout dans l’univers et se confond avec lui. Baruch Spinoza était panthéiste. De son point de vue les religions n’étaient que des sectes.

          Religion : l’étymologie est discutée autour de trois racines latines :
          Lat. religio : pratique religieuse, culte.
          Lat. relegere : cueillir de nouveau, idée de se recueillir, de rassembler.
          Lat. religare : lier, attacher.
          Existe également l’idée de « relire ». Cette étymologie remonte à Cicéron (- 106 à – 63 av. J.-C.), lequel interprétait «religere» comme le fait de relire le texte pour se relier à une transcendance (un monde spirituel). A l’époque de Cicéron, rappelons qu’il n’y avait pas d’église officielle mais une multiple de cultes.
          Questions : Si la religion est « lien » à un Dieu, ce lien relie-t-il ou déconnecte-t-il de l’humanité ?
          – La proclamation selon laquelle il n’existe de Dieu que celui de sa confession, est-ce du totalitarisme ?
          – Qu’est-ce qu’être croyant ? Jusqu’à quel point le croyant s’identifie-t-il à un corps doctrinaire de textes, à la figure tutélaire de son « maître », à son institution (autorité de l’Eglise, de la Mosquée, de la Synagogue,…) ?
          – Jusqu’à quel point le croyant travaille-t-il l’interprétation des textes, intériorise-t-il sa pratique, dépasse-t-il le dogme (la vérité instituée par le maître ou la « lettre ») ?


          Problématiques évoquées lors du débat

          Laïcités anglo-saxonnes et laïcité française
          Dans les pays anglo-saxons (USA, Grande Bretagne, Australie) la laïcité facilite l’expression des particularismes religieux (aménagement de salles de prière musulmane dans les postes de police, non obligation du port du casque pour les Sikhs qui peuvent ainsi porter leur turban tout en conduisant leur moto). En France, la laïcité accorde une priorité aux principes républicains, avec les contradictions que pose le processus de sécularisation : entretien des églises au nom du patrimoine, maintien du concordat Alsace-Moselle, subventions versées aux écoles confessionnelles…
          Problème : La juxtaposition des communautés se vit rarement sur un mode apaisé, et le communautarisme rend compte de tensions qui s’enflamment soudainement. Une loi ou une pratique d’exceptions accordées pour un motif religieux (repas halal ou casher à la cantine) sont souvent perçues comme une injustice par les autres confessions, notamment par des «athéistes». Dans les pays anglo-saxons, on revient sur certains particularismes. Chacun revendiquant le sien, ils séparent davantage qu’ils n’intègrent.

          Approche méthodologique
          Les philosophes québécois Jocelyn Maclure et Charles Taylor proposent de distinguer les finalités que vise la laïcité des moyens opératoires qu’elle se donne :
          Les finalités : une loi égale pour tous les citoyens et la garantie de la liberté de conscience.
          Les moyens opératoires : la séparation de l’Église et de l’État, et la neutralité de l’État envers les religions et les croyances en général.
          La distinction entre les moyens et les finalités de la laïcité permet de ne pas se figer sur les moyens au détriment des objectifs visés. Exemple : la kipa est parfois autorisée là où le voile musulman ne l’est pas. Le moyen qui consisterait à généraliser l’interdiction de la kipa et du voile musulman pour établir plus d’égalité peut également conduire à plus de ressentiment entre les communautés. Et, inversement, la généralisation des autorisations peut, de son côté, être perçue comme envahissante pour l’athée, l’agnostique, et l’adhérent à la « Libre pensée »….

          Contraindre ou laisser faire la sécularisation
          Les prêtres catholiques ont, pour la plupart, après Vatican II (1962-1965), abandonné la soutane sans que la République n’impose quoi que ce soit. Dans les écoles privées catholiques, le catéchisme n’est pas obligatoire.
          Autre situation : le concordat napoléonien, maintenu après la guerre de 14-18, est régulièrement dénoncé comme une entorse majeure au principe de laïcité (les prêtres, les rabbins et les pasteurs sont salariés de l’Etat). En Alsace, cette contradiction a permis qu’une mosquée ait bénéficié de fond public pour sa construction, et une proposition de loi a été lancée pour intégrer l’islam au concordat.
          En somme, un processus de sécularisation se met en place malgré des contradictions, soit en raison d’un ajustement des institutions religieuse à la modernité, soit en raison de l’adoption de nouvelles lois.

          Conflit de valeurs entre le dogme religieux, la démocratie, et la République
          Le constat d’une montée des pratiques intégristes (manifestation contre le mariage pour tous, prières dans la rue, vandalisme de lieux de culte, attentats…) s’observe dans de nombreux pays de l’UE.
          Problème : Les principes de la démocratie peuvent se trouver en conflit avec les valeurs de la République : des groupes exercent des pressions, créent des coalitions pour obtenir des majorités et mettent à mal la notion de bien commun, et les principes républicains de liberté, d’égalité, et de fraternité.
          Question : Les valeurs républicaines doivent-elles se situer au-dessus du particularisme des religions, ou céder à une pression de groupes d’influence qui tirent profit des failles de la démocratie ?
          Autre problème : si l’Etat ne finance aucun culte, aucune formation d’iman, de prêtre, de rabbin, les circuits de financement du religieux deviennent opaques, s’internationalisent.

          Comment conjuguer République et religion ?
          – Toutes les religions sont-elles compatibles avec « l’humanisme » des Lumières d’où sont nés nos principes démocratiques et républicains ?
          – En raison de la pression qu’exercent les religions sur la République, on peut se demander que ce qu’elles lui apportent en retour à ses demandes ? Les religions doivent-elles s’imposer des devoirs en réponse aux droits qu’elles réclament de la République ?
          – Et, de son côté, les valeurs de la République peuvent-elles s’enrichir des valeurs que portent les religions ?
          – Quelle hiérarchie de valeurs la République propose-t-elle pour autoriser/interdire des pratiques ?
          – Qu’est-ce qui permet de définir une religion ayant un statut officiel dans la République ?
          – De nouvelles convictions religieuses, ou de nouvelles pratiques peuvent-elles demander à être reconnues ?
          – Faut-il reconnaître les valeurs religieuses (d’humanisme, d’altruisme, de solidarité, de non-égoïsme, de dépassement, d’éthique….) uniquement lorsque ces dernières ne sont pas opposées aux lois et aux valeurs de la République ?

          Synthèse
          Entre les tenants d’une laïcité radicale de type « athéiste » (aucune croyance ne doit se manifester dans les lieux publics, et à fortiori, par des agents de la fonction publique ) et les tenants d’une laïcité ouverte (toutes les formes d’expressions religieuses sont les bienvenues), la place du curseur entre ce qui est permis et interdit va dépendre de plusieurs facteurs, parmi lesquels :
          – de la capacité critique des croyants et des responsables religieux à interpréter leurs textes de référence,
          – de la qualité des dialogues maintenus entre les croyants et les agents des institutions publiques,
          – de l’entente ou des rapports de force qui s’instaurent entre les communautés de croyants (pour l’essentiel, juifs, musulmans et chrétiens).
          – des tensions qui surgissent entre l’Etat et les communautés religieuses lorsqu’elles exigent des lois d’exception pour leurs pratiques.

          Sujets corrélés
          :
          Du dogmatisme au terrorisme (Compte-rendu de Michel Tozzi)
          La liberté d’expression, oui ! Mais jusqu’où ? (Intro de Michel Tozzi)
          Peut-on fonder une morale sans Dieu ?
          Peut-on vivre sans croyance ?
          – Enracinement et déracinement, premiers biens et premiers maux de l’être humain ? (Simone Weil)
          Éloge de la lucidité et spiritualité laïque, comment ça marche ?

          #5183
          René
          Maître des clés

            Nous l’avons cité quasiment en exemple durant notre débat : le Lycée musulman Averroès de Lille. Mais aujourd’hui (début février 2015), un prof de philosophie, Soufiane Zitouni, vient de démissionner de son poste, il s’en explique dans un article paru dans Libération.

            Extraits :
            « La direction m’a confié des élèves de seconde pour deux heures hebdomadaires d’enseignement d’exploration en «Littérature et Société», alors en tant que professeur de philosophie, j’ai décidé de travailler avec eux sur un projet que j’ai nommé «L’esprit d’Averroès» afin de leur faire découvrir celui qui a donné son nom à leur lycée. Mais quelle n’a pas été ma surprise de constater que sur les rayons du CDI de cet établissement, il n’y avait ni livres du philosophe andalou, ni livres sur lui ! En revanche, j’y ai trouvé des ouvrages des frères Ramadan, très prisés dans ce lycée… J’ai dû alors me rabattre sur des bibliothèques municipales de Lille pour pouvoir commencer mon travail. »
            […]
            « Une élève de terminale Lettres osa me soutenir un jour que «la race juive est une race maudite par Allah ! Beaucoup de savants de l’islam le disent !» Après un moment de totale sidération face à tant de bêtise, j’ai rétorqué à l’adresse de cette élève et de toute sa classe que le Prophète de l’islam lui-même n’était ni raciste, ni antisémite, et que de nombreux textes de la tradition islamique le prouvaient clairement.
            […]
            Cet antisémitisme quasi «culturel» de nombre d’élèves du lycée Averroès s’est même manifesté un jour que je commençais un cours sur le philosophe Spinoza : l’un d’entre eux m’a carrément demandé pourquoi j’avais précisé dans mon introduction que ce philosophe était juif
            […]
            Et puis il y avait les thèmes et les mots tabous… La théorie darwinienne de l’évolution ? Le Coran ne dit pas cela, donc cette théorie est fausse ! J’avais beau me référer au livre de l’astrophysicien Nidhal Guessoum, Réconcilier l’islam et la science moderne dont le sous-titre est justement l’Esprit d’Averroès ! [Aux Presses de la Renaissance, ndlr], qui affirme avec de très solides arguments scientifiques et théologiques que la théorie de l’évolution est non seulement compatible avec le Coran, mais que plusieurs versets coraniques vont dans son sens, rien n’y faisait non plus. »

            Accès à la totalité de l’article ici

            #5188
            René
            Maître des clés

              A la suite de cette tribune, le lycée musulman de Lille a lancé une procédure judiciaire par citation directe pour diffamation et injure non publiques contre le philosophe Soufiane Zitouni. Selon l’avocat :
              «Il a traité le lycée de nid de vipères hypocrites, affirmé qu’il y a de l’antisémitisme toléré et dit que les cours servent à diffuser l’idéologie salafiste»,

              On peut retrouver l’article de Libération ici

              Suite de l’affaire, le 20.02.2015 : ici les recommandations du rectorat faites au lycée Averroès

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