Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Quelle histoire faut-il se raconter pour vivre ? (d’après « Le génie du mensonge » de François Noudelmann), sujet du 05.10.2015, + compte-rendu du débat

2 sujets de 1 à 2 (sur un total de 2)
  • Auteur
    Messages
  • #5299
    René
    Maître des clés
      Quelle histoire faut-il se raconter pour vivre ?
      Sujet inspiré du livre de François Noudelmann, Le génie du mensonge (2015)

      On reproche à Rousseau ses théories sur l’éducation, lui, qui a abandonné ses cinq enfants à l’assistance publique. On ne comprend guère le féminisme de Simone Beauvoir, elle, qui s’est délectée d’une relation servile avec l’un de ses amants. On se demande comment Michel Foucault a pu faire l’éloge de la vérité, lui, qui a organisé le secret autour de sa maladie.

      Mais François Noudelmann défend l’idée suivante : la production d’une pensée néanmoins lucide de ces philosophes est à mettre en rapport avec leurs contradictions. C’est comme si l’impossibilité qui leur était faite d’assumer leur « vérité » les avait conduit à se dépasser dans une construction théorique géniale. En somme, le mensonge ne serait pas à juger que sur le seul plan de la morale, et comme une trahison révélée par le décalage entre le discours et les pratiques.
      Le mensonge, la mauvaise foi, la volonté d’abuser d’autrui sont des pratiques qui existent, il ne s’agit pas de le nier, mais certains « mensonges » seraient vertueux en ce sens où ils mobiliseraient une énergie pour conjurer des contradictions encore plus intimes. Ce qui importe dans ces cas-là, ce n’est pas tant de tromper l’autre, mais de se tromper soi.

      Parlons-en lors de notre prochain débat.

      Questions
      – La construction de soi requiert-elle que l’on se raconte des histoires ?
      – Faut-il s’inventer une fiction pour affronter la réalité ?
      – Contre question : le détour par une fiction ne comporte-t-il pas le risque de perdre celui/celle qui s’y engage ?
      – Qui suis-je lorsque je cesse de me mentir ?

      Exemples mis en question
      – Ai-je besoin de croire en la capacité de philosopher de chaque être humain pour participer à des cafés philo, ou pour les animer ?
      – Ai-je besoin de croire en l’éducation de chaque être humain pour m’investir dans l’enseignement ?
      – Ai-je besoin de croire en la possibilité de guérir chacun pour m’attacher à prendre soin des êtres humains ?
      – Ai-je besoin de croire en l’idée que je me suis fait « tout seul » pour accuser les bénéficiaires d’aides sociales d’être des parasites, et pour faire de moi un libéral sans scrupule ?
      – Et inversement, ai-je besoin de croire que les libéraux ne sont que des « loups », et que seul un Etat coercitif peut contenir leur voracité ?

      En résumé, ai-je besoin de me construire une théorie sur la vie pour croire en mes projets, pour m’engager dans tel ou tel militantisme ? A quelle condition la théorie que je me construits sera géniale (révélatrice de vérités) ou perverse (trompeuse et néfaste pour soi-même et les autres) ?

      Citations

      « Le problème à la fois politique, éthique, social et philosophique qui se pose à nous aujourd’hui n’est pas d’essayer de libérer l’individu de l’État et de ses institutions, mais de nous libérer, nous, de l’État et du type d’individualisation qui s’y rattache. Il nous faut promouvoir de nouvelles formes de subjectivité. » Michel Foucault (Le sujet et le pouvoir)

      « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme. […] De ces contradictions naît celle que nous éprouvons sans cesse en nous-même. Entraînés par la nature et par les hommes dans des routes contraires, forcés de nous partager entre ces diverses impulsions, nous en suivons une composée qui ne nous mène ni à l’un ni à l’autre but. Ainsi combattus et flottants durant tout le cours de notre vie, nous la terminons sans avoir pu nous accorder avec nous, et sans avoir été bons ni pour nous ni pour les autres. » J. J. Rousseau (Emile ou de l’éducation – 1762

      « Vivre est le métier que je veux lui apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre : il sera premièrement homme. »J. J. Rousseau (Emile ou de l’éducation – 1762

      Ressources
      En 9 mn François Noudelmann présente son livre sur Youtube ici
      La revue de presse des Inrocks ici.

      #5301
      René
      Maître des clés
        Compte-rendu de la séance

        Ambiance
        – Une trentaine de personnes était présente.
        – L’ambiance était studieuse, réflexive, calme et productive.
        – On note que les participants, en général, prenaient en compte ce qui se disait au fur et à mesure du débat, l’intégraient à leur argumentation, et faisaient évoluer la réflexion.

        Définition, et problématique générale
        – Le mensonge, c’est construire un énoncé contraire à la vérité. Mais tous les discours qui ne reproduisent pas la vérité sont-ils nécessairement des mensonges ?
        – Par ailleurs, tous les mensonges ont-ils pour mobile de tromper autrui, d’abuser de sa crédulité ? Pour Rousseau, le mensonge sans profit est une fiction : Mentir sans profit, ni préjudice de soi, ni d’autrui, n’est pas mentir : ce n’est pas mensonge, c’est fiction »
        – La construction de récits/d’histoires/de fictions sur soi-même constitue-t-elle une phase préalable à l’appropriation de soi, et à la connaissance de soi ?
        – De qualifier de « mensonge » tout discours que l’on estime contraire aux faits, est-ce oublier les biais subjectifs du sujet qui nécessairement interprète ce qu’il tient pour vrai ?
        – La transparence totale, y compris à l’égard de soi, est-elle un mythe ?



        Est-ce que tout est mensonge ?

        – Cachons-nous des aspects de notre vie par réserve, calcul, honte… ?
        – Comment faut-il considérer ce que l’on édulcore, l’accent que l’on met sur certains aspects de sa vie ? Est-ce du mensonge ?
        – La politesse, les égards pour autrui, est-ce du mensonge ? Lorsqu’on ne veut pas « trahir » ou blesser autrui avec une vérité trop crue, est-ce du mensonge ?
        – Que se passe-t-il lorsqu’on ne révèle pas tout de sa vie ? La partie cachée de soi-même fait-elle illusion pour autrui tout autant que pour soi-même ?

        Le mensonge du philosophe
        – Les philosophes de l‘Antiquité ne dissociaient pas les théories prônées par les écoles philosophiques et les pratiques qui en découlaient. Ainsi, les pythagoriciens, les platoniciens, les épicuriens, les stoïciens, … s’exerçaient à des pratiques rigoureuses qui témoignaient de ce qui faisait valeur de « vérité » pour eux, vérité à laquelle ils se confrontaient. Etre pris en flagrant délit de contradiction avec sa « vérité » revenait à la disqualifier, et à se disqualifier soi-même.
        – A contrario, si on estime que le philosophe travaille au niveau du concept, il est nécessairement en décalage avec une pratique qu’il ne peut tout à fait incarner. On peut comprendre que le philosophe inaugure une démarche vers laquelle il peine encore à cheminer.
        – Il y a intérêt à sortir du jugement moral que l’on prête au « mensonge » pour comprendre ce qui se passe dans les méandres de l’esprit. Selon Noudelmann, il y aurait une faille, une fragilité à la base du « mensonge », mais ce mensonge serait également à la source de la créativité de certains auteurs, de leur fécondité.

        Un exemple
        – « J’ai beaucoup lu et aimé Simone de Beauvoir, mais lorsque sa fille adoptive a pris la décision de publier sa correspondance, j’ai été choquée. Comment comprendre le féminisme de Simone de Beauvoir qui, en tant que professeur de philosophie, se fait complice de l’aventure sordide de Sartre avec l’une de ses élèves (Bianca Lamblin) ? »
        – Si on met de côté l’hypothèse du mensonge, on peut envisager que Simone de Beauvoir n’était pas en contradiction avec ses idées, mais que, consciemment, elle l’assumait comme une part d’ombre en travail. Peut-être est-ce précisément en rapport avec cet aspect sombre d’elle-même qu’elle a pu construire un féminisme pertinent, et qui s’est révélé libérateur ?
        – L’idée serait de considérer sa construction théorique comme une façon de conjurer des penchants peu acceptables du point de vue de la société.

        Le mythe de la transparence
        – On se fourvoie peut-être en se fixant sur un idéal de transparence de la personne. Nous sommes tous des fictions les uns et pour les autres. Le récit que nous nous faisons de nous-même, qu’il soit flatteur ou dépréciatif, reste une fiction. Au mieux, cette dernière n’exprime que l’angle de vue biaisé par lequel on se perçoit.
        – Comparons le discours que l’on se raconte à soi-même à une situation thérapeutique : doit-on estimer que l’on raconte des histoires à son psychothérapeute, ou à l’inverse, nous faut-il considérer que ce dernier nous aide précisément à construire un récit acceptable de nous-mêmes ? De la même manière, le philosophe, ou chacun d’entre nous, doit-il passer par des fictions avant d’accéder à plus de vérité ?
        – Mais ne risquons-nous pas de dédouaner les philosophes pour préserver la vision fictive que l’on a d’eux ?
        – Par ailleurs, la vie d’un philosophe, d’un écrivain remet-elle en cause la valeur d’une œuvre ?

        Du récit de soi à la vérité sur soi
        – On formule l’hypothèse selon laquelle la pensée sert à construire une représentation de soi-même, et cette construction est la marque du décalage entre une image de soi et ce que l’on est dans les faits.
        – La fiction que je me construis de moi-même ne finit-elle pas par tromper les autres ?
        – Voulons-nous être un modèle pour les autres ? Avons-nous besoin de croire en des modèles et de les idéaliser avant d’accéder à nous-même en tant que sujet ?
        – Le besoin de croire est-il indépassable ? Faut-il le considérer comme une étape nécessaire à notre maturité ?
        – Mais n’y a-t-il pas de danger ? La persistance à s’attacher à une image faussée de soi-même ne conduit-elle pas au mensonge ? L’exigence d’une vie qui prône la recherche d’une vérité requiert-elle, malgré tout, que l’on cherche à réduire l’écart entre la fiction que l’on se raconte, et la vie que l’on vit ?
        – Peut-on défendre ce que l’on pense, si l’on vit le contraire de ce que l’on pense ? Jusqu’à quel point peut-on être en contradiction avec soi-même, et se sentir en adéquation avec sa conscience ?
        – En dernier ressort, pouvons-nous vraiment juger autrui ?

        Deux interventions retenues
        – Qu’on se fourvoie au sujet du communisme à ses débuts, pourquoi pas ? Mais comment continuer à le défendre lorsqu’on prend conscience de ses contradictions, et des meurtres de masse commis en son nom ?

        – Peut-on être alcoolique et prôner la sobriété ?

      2 sujets de 1 à 2 (sur un total de 2)
      • Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.