« Rien de plus fragile que la faculté humaine d’admettre la réalité, d’accepter sans réserves l’impérieuse prérogative du réel. Cette faculté se trouve si souvent prise en défaut qu’il semble raisonnable d’imaginer qu’elle n’implique pas la reconnaissance d’un droit imprescriptible – celui du réel à être perçu- mais figure plutôt une sorte de tolérance, conditionnelle et provisoire. Tolérance que chacun peut suspendre à son gré. Le réel n’est admis que sous certaines conditions et seulement jusqu’à un certain point : s’il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Un arrêt de perception met alors la conscience à l’abri de tout spectacle indésirable. Quant au réel, s’il insiste et tient absolument à être perçu, il pourra toujours aller se faire voir ailleurs. »
(Clément Rosset. Le réel et son double.)

Questions.
– Dans quelle mesure peut-on : . voir le réel
. s’adapter au réel
. s’aveugler sur le réel
. accepter/refuser le réel ?
– Quelles formes pourrait revêtir le refus du réel ?
– Les gens capables de s’illusionner vivent-ils mieux que les autres ?
– Quel serait le prix à payer lorsqu’on se met dans une situation de déni du réel ?

Toute autre question (éventuellement concernant la mise en question du texte introductif) est la bienvenue.

Quelques citations et remarques qui pourraient alimenter notre réflexion.

– « Quand tous les moyens sont perdus pour refuser de voir la réalité, il reste toujours le fantasme du double, qui nous porte à penser que le réel pourrait être différent, qu’il y a quelque part une autre version de la réalité, qui devrait venir à la place de celle que nous avons. » (Raphaël Enthoven. Entretien avec Clément Rosset.)

L’illusion nous fait considérer comme réel ce que nous espérons. Le sujet serait dessaisi de lui-même au profit d’un double fantomatique qui vivrait une vie idéale à sa place. Il y aurait comme une instance tutélaire qui gérerait et ma vie, et le monde. Mais ce double serait une « entité » cruelle, selon Cl. Rosset, qui cite Montherlant :  « Ce sont les fantômes qui sont cruels ; avec la réalité, on peut toujours s’arranger. »

Sans doute avons-nous besoin de certains fantasmes générés par nos désirs (hallucination/projection du désir)
Il y a ce monde, il y a en double un autre monde. Le besoin de transcendance nous jetterait-il dans les bras d’un double ? (Quand je ne serai plus, je serai encore, puisque j’ai en moi un « être » mortel, et un double immortel..)

Clin d’œil ! Le titre du livre de Cl.Rosset ne pourrait-il pas tout aussi bien être : «  Le réel est sans double ! »

Ressources
– Le réel est idiot. Une interview de Clément Rosset dans La revue de Téhéran.
– Je suis un chasseur d’illusions. Interview de Clément Rosset dans Psychologie
– Pour les fans de Enthoven, il explique dans cette vidéo (5mn) la philosophie de Clément Rosset
– Le réel et son double, Clément Rosset dans les Nouveaux Chemins de la Connaissance.

Un auteur suggéré par notre ami Jamal B) : le physicien-philosophe, Bernard d’Espagnat, auteur de A la recherche du réel.
> Un article dans Agoravox + la vidéo d’un entretien entre Bernard d’Espagnat et Etienne Klein (physicien et philosophe)
– Une citation de Bernard d’Espagnat dans La Recherche. Article en entier ici
« Je crois simplement à une réalité indépendante, à l’existence d’une réalité première par rapport à l’esprit humain, mais que celle-ci ne soit pas pleinement connaissable ne me chagrine pas outre mesure. Bell a été déçu, et Einstein l’aurait été. Je pense quant à moi que l’être humain a besoin d’un horizon – attirant mais inaccessible. Le réel voilé est un tel horizon, et j’admets mal que l’on me dise assoiffé de brumes et de mystères ».