Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Peut-on poser des actions sans regret, ou se disposer à le faire ? D’après un message du Pr. J.-F. Toussaint, sujet pour lundi 24.08.2020 + un compte-rendu.
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20 août 2020 à 21h51 #5908Peut-on poser des actions sans regret, ou se disposer à le faire ?
Autrement dit, peut-on vivre sans regret ?La question est posée par le Pr. J.-F. Toussaint dans une courte vidéo (5mn – lien en bas de page dans les ressources. :
» Ce qui me semble important, c’est que l’on soit capable de proposer des actions sans regret.
C’est-à-dire, des actions qui vous disent qu’on aura tout mis en œuvre pour aller dans ce sens (dans le sens qu’on estime être le bon). »Jean François Toussaint s’exprime en faisant référence à sa (notre) responsabilité par rapport au climat, mais reprenons la question à notre compte, et ouvrons-la à un contexte élargi : Peut-on se disposer à vivre sans regret au niveau de :
> notre vie personnelle, dans un rapport à nos choix amoureux, professionnel, associatif, amicaux, politique, … Ce sont donc nos engagements sur le long terme, le court terme,
> nos comportements, nos interactions dans la vie quoditienne, donc nos actions dans le présent.
> de notre rapport à nous-même (ce que l’on accepte, refuse, nie), autrement dit, sur le plan de notre philosophie de vie et de nos rapports à autrui ?Des citations pour définition:
Descartes, dans le Traité des passions :
« Le regret est une espèce particulière de tristesse, laquelle a une particulière amertume en ce qu’elle est toujours jointe à quelque désespoir et à la mémoire des plaisirs que nous a donnés la jouissance; car nous ne regrettons jamais que les biens dont nous avons joui.-» (C. C., IX).« Le regret, c’est le désir ou l’appétit de la possession d’une chose, lequel est entretenu par le souvenir de cette chose et en même temps empêché par le souvenir d’autres choses qui excluent l’existence de celle-là ».
Spinoza. L’Ethique (Les affects, définition XXXII)Le remords, souvent comparé au regret, s’en distingue essentiellement en deux points, il est ressenti avec plus d’accuité et il contient l’idée que l’on aurait pu s’éviter une faute. Le remords est ainsi lié à une faute, à un reproche que l’on s’adresse (une culpabilité).
Selon le site « Cosmovision », la douleur du remords serait liée à un triple sentiment d’impuissance :
1°d’abord on se sent aujourd’hui impuissant à supprimer l’action passée;
2° puis on souffre à l’idée qu’on a été impuissant en présence de la situation,
3° et par suite on se voit impuissant, on se dit que l’échec se répétera.Etymologie de regret et de remords:
Regret : La plus ancienne étymologie de regretter et la plus reçue est le latin re-quiritari, composé de quiritari, se plaindre = peine causée par une perte, par une absence (survenant à la suite de sa propre initiative ou pas.Remords : du lat. remorsum, Il y avait dans l’ancienne langue un autre remors, ou mieux remort, qui signifiait souvenir et qui se rattachait à rememorer
REMORDS, REPENTIR. Le remords est plus fort et s’adresse aux grosses offenses contre la morale, donc à ce qui dépendait de soi.
D’autres définitions de Spinoza :
Le repentir est un sentiment de tristesse accompagné de l’idée d’une action que nous croyons avoir accomplie par une libre décision de l’âme.
Baruch Spinoza ; Éthique (1677)L’humilité est un sentiment de tristesse qui provient de ce que l’homme contemple son impuissance et sa faiblesse.
Baruch Spinoza ; Éthique (1677)La paix intérieure est un sentiment de joie qui provient de ce que l’homme contemple son être et sa puissance d’agir.
Baruch Spinoza ; Éthique (1677)Ressources
– Les impacts du changement climatique sur le sanitaire » JF Toussaint Pr. de physiologie. D’où est tirée le sujet. Durée 5mn.
– Le remords avec Nietzsche. Paolo d’Iorio invité des chemins de la philosophie. France Culture.
– Humain, trop humain. Texte en accès libre sur Wiki.
– Le regret et le remords. Site Cosmovision où j’ai pris quelques citations.26 août 2020 à 3h54 #5910Un compte-rendu de notre séance.
Peut-on poser des actions sans regret, ou se disposer à le faire ?Ambiance Covid
Les contraintes qu’impose notre gouvernement nous obligent à restreindre le nombre de participants (pas plus de 10, 12 maxi). Ce nombre prend en compte la grandeur de la salle et la distanciation requise entre les participants… Ensuite, il y a ceux qui se savent à risque pour eux-mêmes ou pour leur entourage et ceux qui s’informent suffisamment bien pour se savoir à risque ou pas. Entre ces deux grandes catégories de personnes, chacun se respecte lui-même, autrui et estime son besoin de protection en prenant en compte son environnement.
Nous étions une petite douzaine de participants, et suffisamment bien espacés entre nous, quasiment autour de deux tables.La plupart des participants de ce soir sont « nouveaux », ils viennent pour la première fois ou depuis quelques séances seulement. Le débat se cherchait dans ses débuts…
Toutefois, assez rapidement, se détachent deux formes de percept dans les interventions, deux manières d’appréhender le monde, ceux de l’affect et ceux du cognitif.
Les percepts du regret et du remords partent d’un ressenti, d’un sentiment, c’est-à-dire, d’une valeur de sensibilité. De là, première étape, une situation ou un événement est rappelé à la mémoire, puis relativement « ressassé ». Seconde étape, entre ressassement et jugement (sentiment d’estime de soi, évaluation), c’est le percept du cognitif qui entre en fonctions, les facultés d’analyse et de questionnement se trouvent alors mobilisées et, troisième étape, de façon plus ou moins consciente, une argumentation plus ou moins structurée, délibérée est élaborée.Des questions alors se posent :
> Le jugement moral que l’on porte sur soi peut-il se transformer en culpabilité, en remords, en plainte, voire, en contrition et conduire au renfermement sur soi ? Ce sont parmi les premières questions posées. Elles entrainent un autre type de questions, sur un plan méta : le jugement moral que l’on porte sur soi est-il fondé, excessif, biaisé ? Autrement dit, à l’aune de quel critère portons-nous jugement sur nous-mêmes ? Comment s’explique la valeur du jugement ?On remarque également que, suite aux questions se référant au jugement, d’autres s’ensuivent se rapportant cette fois au comportement à adopter, c’est-à-dire, à des prises de position qui induisent des changements par rapport à soi-même, par rapport à autrui. Par exemple : faut-il évacuer les passions tristes (regrets et remords) et aller de l’avant ? La proposition a été faite de se tourner vers l’avenir et de s’efforcer de toujours voir le côté positif des choses. Il s’agit de bloquer sa réflexion, sa sensibilité et de verrouiller sa volonté sur les objectifs que l’on se fixe. C’est un problème pour celui/celle qui a beaucoup de volonté. En effet, ce positivisme forcené est un piège, puisqu’il interdit le retour réflexif, il s’agit de toujours foncer, quoiqu’il en coûte, quoique votre sensibilité et votre système cognitif puissent à nouveau vous suggérer.
Se pose en fait la question des critères à partir desquels on juge d’une situation.
Comment je comprends mon acte, comment je me comprends (réflexivité) pour pouvoir comprendre mon acte ? Vais-je poursuivre dans la culpabilité, me trouver des excuses, ou atteindre une claire compréhension de moi-même et de la situation ?On voit trois plans (ou domaines d’observation) qui commencent à se dessiner :
1° celui des affects. Ne pas faire de la culpabilité (les regrets, remords) des référents intangibles (car ils impliquent des jugements). Mais apprendre à accueillir ses émotions, à les identifier, à les accepter),
2° celui du cognitif qui, en lien avec les affects, permet de construire une reconnaissance/compréhension intellectuelle de soi-même. (Se comprendre soi-même en intégrant un sentiment d’acceptation, une reconnaissance de soi, un cheminement vers une unité intérieure).
3° Celui de son environnement social. Les rapports sociaux demandent de comprendre ce qui se joue dans ses interactions, ce qui se joue avec les autres de son point de vue comme de leurs points de vue. En effet, la honte, le regret, le remords ont trait à des situations sociales, ce sont des émotions que l’on a intériorisées comme étant les siennes, alors qu’elles sont nées de nos interactions avec autrui : ce sont des émotions « partagées » qui s’acquièrent dès le plus jeune âge dans et par notre environnement social.Se pose dès lors la question de pouvoir se disposer à vivre sans regret, c’est-à-dire sans rien regretter à l’avenir.
Quelle condition faut-il réunir pour y parvenir ? Faut-il le souhaiter et, pour y arriver, faudrait-il toujours être aligné à soi-même, c’est-à-dire, se sentir en accord sur les différents niveaux qui nous composent (les affects, la connaissance-reconnaissance de soi et une compréhension des enjeux qui se opèrent dans nos interactions) ?L’idée est exprimée (c’est Benoit) selon laquelle, si j’agis en « pleine conscience » et avec tous les moyens de connaissance qui me sont donnés dans le moment, alors je peux ne rien regretter car tout a été fait au mieux.
Il vaut la peine de s’arrêter sur cette idée de « pleine conscience ». Elle témoigne de cet alignement où l’émotion, la conscience de soi et le rapport à l’autre ont été accomplis au mieux de nos possibilités du moment. À partir de là, peut-on encore regretter quelque chose ? A priori, non, car tout a été fait du mieux qu’il était possible de le faire.Mais précisément, le moment peut venir où je prends conscience, a posteriori, des limites de mon savoir, par exemple, après une situation où j’avais été particulièrement attentif (et où je prenais bien en compte l’ensemble des savoirs du moment). Se pose alors un tout autre questionnement, car la situation est inédite. En effet, compte tenu du fait que tout savoir est limité soit par ma connaissance, soit par l’état des savoirs du moment, je suis mis devant le fait d’une humilité singulière, un sentiment d’étrangeté où, faire de son mieux peut se révéler insuffisant au même titre que ce que l’humanité a fait de mieux jusqu’à présent. Il y a comme un rapport d’égalité qui s’établit entre soi et l’humanité, il n’y a plus de faute à porter en soi ou de faute à rechercher chez l’autre.
Parvenu à cette étape d’un cheminement, ce qui est nouveau, ce que je peux regretter ou me reprocher n’a plus aucun sens. Faire de son mieux est insuffisant, faire du mieux que l’humanité a pu le faire jusqu’à présent, ne suffit pas non plus.12 septembre 2020 à 16h51 #5924Post-réflexion….
Dans ce compte rendu, il est question d’alignement (émotions, cognition, interactions), on parle également de « pleine conscience », d’humilité singulière. D’une certaine manière, il est question d’un rapport à soi, d’un lieu de rencontre où la conscience a rendez-vous avec elle-même, comme si la conscience était auteur d’elle-même.
Dans le silence qui peut succéder à de tels moments de rencontre avec soi-même, se pose la question de ce qui se passe après.
J’ai appris, quant à moi, à méditer, sans pour autant en faire une « fin en soi », comme si on se donnait l’illusion que dans ce silence s’accomplissaient toute les « vérités ». Ne nous méprenons pas, ce n’est pas le silence qui « ferait » ou serait vérité… mais les moments de rencontre avec soi-même. C’est l’avènement de la rencontre avec soi-même qui donne accès à de nouvelles potentialités, et cet avènement doit pouvoir être mis à jour (re-estimé) au fur et à mesure que le chemin vers soi se taille. Cette aptitude à se rencontrer soi-même est à reconsidérer, à réinventer, à retrouver au fur et à mesure que des nouvelles informations, de nouvelles connaissances, de nouvelles prises de conscience ont lieu.J’ai longtemps cheminé « en souterrain ». C’est comme s’il fallait renforcer ou découvrir une conscience silencieuse à soi-même et dans le même temps, cultiver une attention à ce qui se joue en soi, dans le tréfonds, silencieusement. C’est comme si ça se passait dans des strates si profondes que notre conscience se révèle incapable de descendre plus loin, comme si, parvenu à ce stade, elle ne pouvait plus rendre compte à elle-même de ce qui se passe. Cette conscience de soi peut néanmoins rester présente à elle-même, comme si elle était à l’orée d’elle-même, sur le bord de son rivage. Ici, elle peut laisser faire ce qui échappe à elle-même. D’éventuelles émergences peuvent advenir.
C’est certainement un long travail, une longue pratique mais, à nouveau, l’attente des émergences ce n’est pas une fin en soi. Cette attente pourrait constituer un piège qui maintient la conscience comme fixée sur une strate de son voyage.
Ensuite, et afin de ne pas être pris dans l’étau d’une autre illusion, d’une condescendance suffisante, il me semble qu’il faut pouvoir rapporter les fruits de son silence à la lumière d’une communication, c’est-à-dire, à la possibilité d’une rencontre avec l’autre. Que cette rencontre s’exprime sous la forme d’écrits, de dialogues, de témoignages, de projets, d’actions coopératives, de créations artistiques, etc. Peu importe certainement.
Il faut juste faire en sorte que la réjouissance (toute personnelle, méritée et bienvenue) d’être parvenu à soutenir sa propre intensité avec une relative autonomie, que cette réjouissance puisse être à nouveau questionnée par autrui. En effet, il n’est pas interdit de penser qu’il y a une forme de résonance entre les limites que chacun rencontre avec lui-même et celles qui se dressent entre lui et autrui.
On observe ici et là, qu’il est facile de se laisser tenter par le seul plaisir de soutenir son autonomie (piège d’une suffisance, qui repose implicitement sur l’idée que notre ego est une essence en elle-même, alors qu’il le produit d’une relation, d’interactions et d’un devenir en transformation à toujours conduire en conscience). Il y a donc un intérêt à remettre en jeu ce que l’on a compris de soi, de la vie, du monde, ne serait-ce que pour éventuellement se trouver confronter à ses limites dans la possibilité de rencontrer autrui, de le comprendre dans ce qu’il dit, dans ce qu’il vit.De fait se rencontrer soi et rencontrer autrui est une sorte de voyage qui partage des accointances. On se construit et déconstruit avec autrui en cheminant par des entrelacs dont la toile de fond est sans cesse à recomposer.
Peut-être puis-je conclure par l’extrait de ce poème de Jean-Pierre Siméon (ci-dessous)
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