Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Avons-nous ce que nous méritons ? Sujet du 13.01.2013 + restitution
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8 janvier 2014 à 17h48 #4806Avons-nous ce que nous méritons ?
Les notions de mérite sont en rapport avec la manière dont nous interagissons avec autrui, mais au-delà des interactions immédiates, il y a des cadres de valeurs dans lesquels nous nous situons.
Trois grandes voies semblent se démarquer pour répondre à cette question :
1) La voie subjective intérieure : j’ai le sentiment de ne pas avoir ce que je mérite. Est-ce moi ou mes parents qui ont fauté ?
Sous question a) : La vie est-elle injuste ?
2) La voie de la justice sociale : au regard de ce que les autres ont, et à production d’effort équivalent, je n’ai pas ce que je mérite. Peut-on compter sur la seule bonne volonté de l’être humain pour créer une société « bonne » ?
Sous question b) : L’homme est-il suffisamment bon pour créer une société qui soit bonne ?3) La voie d’une justice républicaine et démocratique : selon les principes d’égalité et de liberté généralement prônés dans les démocraties, notre système produit trop d’injustice, et je n’ai pas ce que je mérite. A quoi doivent satisfaire nos lois ?
Sous question c) : Selon quels principes généraux peut-on construire une société juste ?Dans l’article de Philosophie magazine (il s’agit d’une interview de Yves Michaud à propos de son livre : Qu’est-ce que le mérite ?), l’auteur suit un parcours dans lequel il mentionne John Rawls (le penseur moderne de la justice) et Armatya Sen (prix Nobel d’économie) pour conclure à l’idée selon laquelle « l’égalité doit être pensée en terme de réalisation de soi ».
Parlons-en lors de notre prochain débat : Qu’est-ce que le mérite, comment le penser, et à l’aune de quels valeurs et principes ?
Liens qui m’ont « instruit » pour ce sujet 😉 :
L’article de Philomag (ici) : Qu’est-ce que le mérite ?
Un résumé succinct mais bien fait de la pensée d’Amartya Sen
Un résumé succinct également sur la pensée de John Rawls
Enfin, un cours clair mais approfondi sur la pensée de John Rawls (vidéo et résumé)10 janvier 2014 à 16h01 #4807Quelques éléments de précision :
- 1) De la pensée de John Rawls :
- Nous désirons tous poursuivre la satisfaction de nos propres intérêts.
- Afin d’y parvenir, nous travaillons ensemble.
- Cela requiert des règles.
- Pour être justes et équitables, les règles doivent s’appliquer également à tous, sans prendre en compte les différences de statut social (sans privilège particulier).
- En conséquence de quoi : Les principes de la justice doivent être choisis derrière un voile d’ignorance. C’est-à-dire, sans savoir à l’avance à qui elle profite, tout en imaginant que chacun peut se trouver à la place de l’autre, et en particulier, à celle du plus désavantagé. C’est l’un des principes forts de John Rawls pour définir une justice sociale juste et équitable.
- 2) De la pensée d’Amartya Sen : la parabole des enfants et de la flûte.
- Clara a fabriqué une belle flûte mais ne sait pas en jouer.
- Anna a appris à jouer de la flûte.
- Bob est pauvre, et n’a aucun jouet.
- Question : dans le cadre d’une justice sociale (d’une idée de société), à qui la flûte profiterait-elle le mieux ?
Amartya Sen ne donne pas de réponse définitive car tous les choix se justifient. Il développe en revanche l’idée de « capabilité », autrement dit, l’intérêt de la flûte est profitable à la société selon la capabilité que donne cette société à chacun de ses membres de se mettre en relation les uns avec les autres. Ainsi, la valeur de la flûte n’est pas dans l’objet elle-même, mais elle prend de la valeur selon les relations que sont capables d’établir les membres entre eux dans une société donnée ».
Rawls aurait donné la flûte au garçon le plus pauvre selon l’idée que « Les inégalités sont justifiées lorsqu’elles permettent d »améliorer la situation des plus désavantagés.
Dans une logique marchande basique, la flûte appartient à son créateur, à lui d’en tirer le plus grand profit pour lui : vendre le modèle de sa flûte à une multinationale :whistle:
Ps. Amartya Sen analyse les raisons pour lesquelles les aides-humanitaires et les fonds du FMI ne produisent pas leurs effets, outre les problèmes de corruption, ce qui est offert n’est pas utilisé selon les usages prévus. Ex. des moustiquaires sont distribuées à des villageois pour les protéger de la malaria, ces derniers les transforment en filets de pêche ou les vendent contre d’autres biens : la richesse n’est pas dans le bien offert, mais dans la capabilité des personnes : que leur est-il permis de faire de ce dont elles disposent ?
17 janvier 2014 à 14h49 #4812Une restitution de quelques séquences d’échanges du débatQuestion de départ : Avons-nous ce que nous méritons ?
– Le rapport immédiat à la question est l’idée que nous récoltons les fruits de nos actions.
– Il y a le sentiment de justice, certes, mais par ailleurs, une justice parfaite ne peut être rendue par des hommes imparfaits dans une société imparfaite. En conséquence de quoi, on ne peut obtenir parfaitement ce qu’on mérite.
– Certains ont ce qu’ils ne méritent pas, et d’autres ont beaucoup plus qu’ils ne méritent.
– Position 1 : autrui est impliqué dans ce qui nous arrive, il a un sentiment glorieux de son mérite. Position 2 : on est affligé car on ne comprend pas ce qui nous arrive Position 3: on trouve qu’on mérite en terme de punition ce qui nous arrive.
– Il y a une part importante de hasard dans ce qui nous arrive: par exemple, les bonnes et les mauvaises rencontres en font partie.
– A action égale, selon le hasard et les contingences, les réponses à nos actions ne seront pas égales.
– Je vois qu’il y a un but à atteindre d’une part et, d’autre part, un résultat qui fait office de sanction. Question : qui doit juger de ce que je mérite ? Je prône l’idée selon laquelle il faut être le seul juge de son propre mérite.Pause 1– Je pense à l’incroyable inégalité des conditions de départ dans la vie. Dans nos sociétés, où nos besoins primaires sont couverts, les écarts restent grands, et si on compare aux sociétés dans le besoin, la notion de mérite perd tout son sens.
– Méritons-nous de naître où nous naissons ?
– Dans l’article de Yves Michaud, il est question de ceux pour qui : « c’est foutu d’avance ». Ont-ils mérité de ne rien pouvoir espérer ?
– Peut-être que la notion de mérite repose sur l’idée que l’individu est à la source de tout ce qui lui arrive ; on peut se demander si ce n’est pas une illusion ?
– De quelle manière le milieu dans lequel je grandis affecte ma pensée ? Cela rejoint la question de la liberté.
– Si on est mal né, c’est mal parti. L’un des articles des statuts de l’école genevoise préconise de « compenser l’inégalité des chances ». L’égalité des malchances ne s’imposerait-elle malgré tout !Pause 2– Sartre : L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il fait de lui, il n’est rien d’autre que son projet.
– Le verbe « avoir », associé à la notion de mérite, suggère l’idée que les choses nous sont dues.
– L’homme et la société se conjuguent : l’homme est ce qu’il fait – dans la société qu’il se fait.
– Qu’ai-je fait, moi, pour vouloir ce à quoi je prétends – dans la société dans laquelle je vis ?
– Sur un plan plus collectif, nos sociétés sont en perte de droits (acquis sociaux, droit du travail, droit au logement, droit à la dignité…) Méritons-nous ces pertes car, visiblement, nous ne nous mobilisons pas beaucoup dans ce monde aujourd’hui globalisé.
– La justice sociale n’est pas un dû, elle est le produit d’une lutte et d’un travail collectif.Pause 3– Si sincèrement nous questionnions notre sentiment personnel : « Ai-je la vie que je pense mériter ? », nous ferions le constat selon lequel nous sommes tous travaillés par le manque. Le désir humain n’est-il pas insatiable ?
– « Avoir la vie qu’on mérite et mériter la vie qu’on a » ne signifie pas la même chose. « Je mérite ce que j’ai gagné et la vie qui va avec» sous-entend que je me suis battu pour cela. Par contre, si je demande : « est-ce que je mérite la situation dans laquelle je suis ? », je sollicite alors mon imagination, laquelle me renvoie naturellement au sentiment d’être insatisfait.
– Je crois qu’une grande partie des êtres humains est plutôt satisfaite de son sort, et tous ne veulent pas une Rolex pour leurs 50 ans. Beaucoup apprécient leur quotidien et aspirent seulement à être en paix avec la planète.
– Je me demande si la satisfaction affichée de soi n’est pas un vernis social, un masque pour ne pas exposer son propre vide ? On fait de nécessité vertu (Lafontaine) pour se convaincre de son bien-être.Pause 4– J’ai beaucoup plus que je ne mérite et pourtant je suis insatiable, je veux une voiture plus confortable, un appartement plus spacieux, de meilleurs soins, plus de temps pour moi, philosopher mieux et avec plus de personnes…
– On est tous travaillé par l’insatisfaction qui se compose d’une part, du sentiment de manquer, et d’autre part, de l’affliction causée par la comparaison : les autres ont-ils plus moi ?
– J’ai tellement conscience de ma chance (bien née, bien éduquée, un bon poste, etc.) que je je considère ne pas mériter tout ce que j’ai, notamment si je me compare aux démunis. J’ai pourtant travaillé pour payer mes études, chercher moi-même mon boulot, etc.Pause 5– Je crois que les choses sont fonction de l’idée que l’on a de sa propre valeur.
– Je m’ »hérite » : le mérite est fonction d’un héritage.
-En quoi ça pose problème de dire qu’on mérite ce qu’on a, et inversement, de dire ce qu’on ne mérite pas. Si on estime que l’on mérite ce que l’on a, ça a des conséquences, en quoi nous poseraient-elles problèmes ?
– Le mérite n’est pas une « récompense », sa qualification ne dépend pas du regard d’autrui. Le mérite est une construction qui enclenche un rapport de causes et d’effets.
– Pour moi, il y a une perte de temps à chercher si on mérite ou non ce qui nous arrive.Pause 6– Initialement, on fait tous l’expérience du manque. Par rapport à ce manque, on se sent incomplet et on attend tous quelque chose de la vie.
– Les enfants méritent-ils d’être aimés ? La question ne se pose pas car ils ont besoin d’être aimés, or on ne peut que faire le constat que beaucoup d’enfants n’ont pas les soins, l’estime, l’amour qu’il leur faut pour s’épanouir. Ces manques à l’enfance sont à l’origine d’une béance ancrée dans le sentiment de soi.
– Les causes de ce manque sont psychologiques ou en rapport avec une subjectivité intérieure. Mais Il y a des domaines du manque qui sont en rapport avec les instituions (la justice, l’éducation, l’emploi, l’environnement, etc.), lesquelles remplissent mal leurs fonctions.
– L’expression « c’est Mozart qu’on assassine » dit le gâchis humain pour chaque enfant qui n’a pas les mérites qui devraient découler de son potentiel initial.Pause 7– « A chacun selon son mérite », l’expression semble bien convenir aux sociétés à dominante religieuse, et où la figure de Dieu surplombant le tout donne le sentiment qu’une justice est à l’œuvre.
– Les révoltes et les révolutions (de Spartacus aux Lumières) n’éclatent-elles pas lorsque se solidarisent un certain nombre de personnes estimant vivre dans des conditions imméritées ?
– Même si le sentiment d’injustice et d’inégalité se creuse, on ne perçoit pas pour autant un consensus pouvant conduire à une révolte.
– L’humain n’est ni plus ni moins qu’un animal en compétition avec ses pairs : entre deux standardistes se présentant à un même poste, les chances d’être embauchées pour la plus gracieuse sont plus grandes, mais au nom de quel mérite (de quelle grâce) ?
– Ne doit-on pas, dans tous les cadres de la vie, apprendre à être gracieux ? Ne faudrait-il pas inscrire dans les programmes éducatifs l’apprentissage à être gracieux ?
– On apprend d’ailleurs aux chômeurs à se vendre.
– A partir de quel cadre de références j’estime avoir ce que je mérite ? Est-ce à partir de ma religion, à partir du concept d’égalité, à partir d’un droit des enfants, du droit des citoyens ?
-Le regard que l’on porte sur son propre mérite est fonction d’un cadre social, lequel s’inscrit également dans un dialogue social.
– Est-ce que je prends part au dialogue social ?Pause 8– Épictète recommande de définir ce qui dépend de nous et, par ailleurs, ce qui ne dépend pas de nous, le « mérite » est lié à cette part qui dépend de nous. Mais, et par ailleurs, à partir de ce qu’on estime dépendre ou non de nous, on définit également des frontières politiques, et son appartenance à un parti ou à un autre.
– Le fait est que je dois assumer un décalage entre le sentiment de ce que je mérite d’un côté, et ce que la société m’octroie de l’autre. Quelqu’un a dit plus tôt : tout est imparfait et ainsi de notre société. Soit! Acceptons-le ! Mais qu’advient-il de la part intime de l’être ? Quelles sont les pensées qui nous gouvernent ?
– Sur le plan intime, on peut se référer aux approches psychanalytiques, d’autres ont recours à la méditation, certains se résignent ou suivent des traitements, toujours est-il que ce qu’on mérite est alors fonction d’un « paradigme de pensée construit dans l’intime de soi».
– Le décalage entre ce qu’on mérite d’une part, et ce qu’on n’a pas d’autre part, dépend très souvent des aléas de la vie, c’est-à-dire de la non maîtrise des hasards et de la chance.
– Comment savoir ce qui dépend ou non de moi si je ne tente rien ?Schopenhauer (Le monde comme représentation) a une vision pessimiste de la vie, mais il a cette image où la vie est comme les pages d’un livre qu’on tourne. Le mérite est dans la curiosité à poursuivre et à parcourir les pages.
Fin de la retranscriptionUne précision par rapport aux idées : Le fait d’exprimer une reconnaissance par le mérite s’oppose au « fait du prince », c’est-à-dire aux faveurs qui récompensent selon le rang, l’affiliation par le sang et le bon vouloir du prince.
L’utilitarisme est une doctrine éthique qui prescrit d’agir de manière à maximiser le bien-être global de l’ensemble des êtres sensibles.
Le principe d’utilité désigne la tendance de quelque chose à engendrer le bien-être, des avantages, des biens, de la joie ou du bonheur.
John Rawls
• Pour être justes et équitables, les règles doivent s’appliquer également à tous, sans prendre en compte les différences de statut social (sans accorder de privilèges). En conséquence de quoi : Les principes de la justice doivent être choisis derrière un voile d’ignorance. Si des inégalités persistent, elles doivent se faire en avantageant les plus démunis.Critique de la pensée de Rawls :
Les compensations matérielles résolvent mal les problèmes d’inégalités, l’être humain ne se réduit pas à des besoins matériels.Autres points de vue à l’étude :
Les désavantages sociaux, éducatifs, la « capabilité » à utiliser des biens, à se construire, à se socialiser, à inter-échanger dans une diversité d’environnements sociaux sont à prendre compte (Amartya Sen).
Selon Yves Michaud et l’article qui nous a inspirés pour présenter ce sujet : « Il faut penser l’égalité en termes de réalisation de soi »
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