Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Ethique de conviction, éthique de responsabilité, de Onfray à Weber, sujet pour le 26.10.2015 + compte-rendu et schéma
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22 octobre 2015 à 12h31 #5305De l’éthique de conviction à l’éthique de responsabilité
Une interprétation de Michel Onfray, et un regard à la source : Max WeberPour une approche en 4 mn, Michel Onfray explique dans sa chronique (cliquer ici) ce que sont l’éthique de conviction, l’éthique de responsabilité, et comment elles s’opposent.
Au risque d’être simpliste, l’explication a le mérite d’être efficace, mais pensez-vous qu’elle puisse être « trompeuse » ?
Extrait : « quand on est dans l’opposition, on est très souvent dans l’éthique de conviction : on peut promettre la fin du chômage, le bonheur…, et quand on est au pouvoir, on se convertit à l’éthique de responsabilité, et on s’aperçoit que l’éthique de la responsabilité, c’est l’éthique de la déception.
Question : l’éthique de conviction est-elle une éthique de la promesse ? Et l’éthique de la responsabilité, est-ce ne pas promettre plus qu’on ne peut, comme le suggère Michel Onfray ?
Comment, par ailleurs, lire la contradiction de Weber dans ce que nous observons tous les jours ?Que révèle Max Weber derrière ces deux principes ? Par exemple, si en bon chrétien je suis convaincu qu’il faille tendre l’autre joue ((éthique de conviction), dois-je la tendre au risque d’en perdre la tête (éthique de responsabilité qui, elle, doit répondre du principe de réalité) ?
– Qu’entend Max Weber avec ses notions d’éthique de conviction et d’éthique de responsabilité ?Je vous propose pour notre prochain débat de situer en partie le raisonnement de Max Weber sur cette thématique qu’il développe lors d’une conférence intitulée : Le savant et le politique (1919).
En attendant, je vous laisse avec un excellent résumé, celui de Nicolas Rouillot, portant sur la conclusion de la conférence de Max Weber :
Celui qui veut faire de la politique sa vocation doit prendre conscience des paradoxes éthiques et de sa
responsabilité à l’égard de ce qu’il peut lui-même devenir sous leur pression. Il ne doit pas non plus
s’effondrer si le monde, jugé de son point de vue, est trop stupide pour mériter ce qu’il prétend lui offrir. Celui
qui veut le salut de son âme ou sauver celles des autres doit donc éviter les chemins de la politique qui « par
vocation », cherche à accomplir d’autres tâches très différentes et dont on ne peut venir à bout que par la
violence. Si l’on cherche à atteindre ces objectifs au cours d’un combat idéologique guidé par une éthique de
conviction, il peut en résulter de grands dommage parce qu il y manque la responsabilité des conséquences.
Ce n’est pas l’âme qui importe mais la souveraine compétence du regard qui sait voir les réalités de la vie sans
fard ; et ensuite, la force d’âme qui est capable de les supporter et de se sauver avec elles. On ne peut prescrire à
personne d’agir selon l’éthique de conviction ou de responsabilité, pas plus qu’on ne peut lui indiquer à quel
moment il faut suivre l’une ou l’autre. L’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité ne sont donc pas
contradictoires, elles se complètent l’une l’autre et constituent ensembles un homme qui peut prétendre à la
vocation politique : « la politique consiste en un effort tenace et énergique pour tarauder des planches de bois
durs » (p.221). On aurait jamais pu atteindre le possible si dans le monde on ne s’était pas toujours et sans cesse
attaqué à l’impossible.
Nicolas Rouillot sur son site philocom.pagespersoAutres ressources
– La chronique de Michel Onfray (cliquer ici)
– Raphael Enthoven, dans le même exercice que Onfray dans sa chronique, et sur ce même thème de l’éthique.
– La fiche de lecture d’une étudiante, Florence Capie du texte de Max Weber.
– L’excellent résumé, détaillé néanmoins de Nicolas Rouillot
– La conférence de Max Weber publiée : Le savant et le politique
– Comment les deux éthiques se vivent et se contredisent en sociologie ? Par Philippe Corcuff dans Sociologie.revues
– Le pluralisme de l’éthique en philosophie par Bruno Feillet (curé enseignant la philosophie) sur Discernement/com
– Les deux éthiques dans le champ de la bioéthique par Gilbert Hottois (philosophe, Laval) sur Erudit.com
– Les deux éthiques dans le champ de l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, un cours de Dominique Vermersch (Agronome et économiste)Extraits de textes (avec des […] pour le confort de notre lecture) de « Le savant et le politique » (Max Weber) :
Quiconque veut instaurer par la force la justice sociale sur terre a besoin de partisans, c’est-à-dire d’un appareil humain. Or cet appareil ne marche que si on lui fait entrevoir les récompenses psychologiques ou matérielles indispensables, qu’elles soient célestes ou terrestres. Tout d’abord les récompenses psychologiques : dans les conditions modernes de la lutte de classes, ce sont la satisfaction de ses haines, de ses vengeances, de son ressentiment surtout et de son penchant pseudo-éthique à avoir raison à tout prix : par conséquent assouvir son besoin de diffamer l’adversaire et de l’accuser d’hérésie. ensuite les récompenses matérielles : aventure, victoire, butin, pouvoir et prébendes. Le succès du chef dépend entièrement du fonctionnement de son appareil. […]
Nous en arrivons ainsi au problème décisif. Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s’orienter selon l’éthique de la responsabilité [verantwortungsethisch] ou selon l’éthique de la conviction [gesinnungsethisch]. Cela ne veut pas dire que l’éthique de conviction est identique à l’absence de responsabilité et l’éthique de responsabilité à l’absence de conviction. Il n’en est évidemment pas question. […]
Vous perdrez votre temps à exposer, de la façon la plus persuasive possible, à un syndicaliste convaincu de la vérité de l’éthique de conviction, que son action n’aura d’autre effet que celui d’accroître les chances de la réaction, de retarder l’ascension de sa classe et de l’asservir davantage, il ne vous croira pas. […]Au contraire le partisan de l’éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l’homme (car, comme le disait fort justement Fichte, on n’a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l’homme) […]
Mais cette analyse n’épuise pas encore le sujet. Il n’existe aucune éthique au monde qui puisse négliger ceci : pour atteindre des fins « bonnes », nous sommes la plupart du temps obligés de compter avec, d’une part des moyens moralement malhonnêtes ou pour le moins dangereux, et d’autre part la possibilité ou encore l’éventualité de conséquences fâcheuses. […]
Aucune éthique au monde ne peut nous dire non plus à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses.28 octobre 2015 à 12h31 #5306Mini compte-rendu du débat B)Ambiance
Nous étions plus d’une trentaine de personnes.
Je n’ai pas souhaité developper dans l’introduction tout ce que j’avais compris de l’éthique de conviction/responsabilité. Il s’agissait pour ma part d’avancer pas à pas avec les participants, et de proposer seulement ce que Michel Onfray avait rapporté des idées de Max Weber dans sa chronique (voir plus haut dans l’introduction).
La parole a plutôt bien circulé,l’intérêt pour le débat était manifeste, même si tout le monde n’a pas souhaité s’exprimer. Les participants ont essayé d’être concis.Un mot sur le contenu
– L’éthique de conviction ne doit pas être confondue avec des « promesses », l’éthique de conviction exprime avant tout un ordre de valeurs, des principes moraux que l’on se donne pour structurer sa conduite (valeurs de justice, d’amitié, de dignité, code d’honneur, déontologique…). L’éthique de responsabilité s’entend, elle, comme le principe de réalité qui s’impose de fait, et par lui-même. On ne peut agir « longtemps) comme si la réalité n’existait pas. B)
– Généralement, on s’accorde avec les idées de Max Weber, sur les « incohérences » de l’éthique qu’il souligne lui-même. En effet, d’une part, la diversité des éthiques est telle qu’elle dessine un champ de contradictions entre les êtres humains et, d’autre part, l’être humain étant également un être rationnel (de raison), chacun est tenté, au nom du principe de réalité, de tordre le cou à son éthique (de se compromettre plus ou moins, ou de se justifier sans vergogne).
Par rapport à l’éthique de responsabilité, celui qui s’en tiendrait qu’à celle-ci (à ne suivre seulement que le seul principe de réalité) serait à ce point cynique (prévisible et répétitif dans son fonctionnement, que la réalisation de son projet en perdrait toute valeur. Max Weber précise également que la réalité est si complexe qu’il est difficile de prévoir toutes les conséquences de ses actions.
Un exemple pour illustrer ces contradictions : jeter des bombes sur un pays pour le convertir à la démocratie (guerre en les USA et l’Irak).
1) Il y a contradiction entre la fin (les valeurs de la démocratie) et les moyens utilisés pour l’atteindre (jeter des bombes).
2) Il y a contradiction entre les « éthiques » : tout le monde ne partage pas les valeurs de la démocratie.
3) Enfin, il y a les conséquences désastreuses et contre-productives du résultat final qui, dans ce cas, illustrent également la bêtise et la cruauté des responsables politiques du moment (sans parler des intellectuels qui les soutenaient dans le cas de la seconde guerre déclarée à l’Irak, Finkielkraut, BHL, Bruckner…).En conclusion :
Aucune action ne peut être entreprise sans qu’elle ne se réfère à une éthique (une morale implicite ou déclarée) et, par ailleurs, aucun principe éthique n’est suffisamment « absolu » (universel, cohérent) pour conduire à lui seul à la réussite d’une action donnée… Si bien, comme le dit Max Weber : « Aucune éthique au monde ne peut nous dire non plus à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses ».
On peut néanmoins dessiner un diagramme et situer sur un axe vertical, les valeurs éthiques (elles sont plus moins universelles), tandis que sur un axe horizontal, se situeraient les principes de responsabilité (ils prennent en compte la réalité telle qu’elle est). Dans l’espace dessiné par ces deux axes, les actions conduites peuvent être évaluées à l’aune des deux principes.Accéder au schéma ici (pdf), si celui ci-dessous n’est pas visible. Merci de votre compréhension.
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