Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Faut-il réhabiliter l’ennui ? Par Elisabeth, sujet du 09.05.2022 + compte rendu + réflexion sur la méthode

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  • #6267
    René
    Maître des clés
      Retour chez Maitre Kanter, place de l’Hotel de Ville, Annemasse, tous les lundis à 19h00

      Merci à Elisabeth pour son sujet : FAUT-IL REHABILITER L’ENNUI ?

      Si l’on s’en réfère au dictionnaire, l’ennui c’est « l’impression de vide, de lassitude morale, de mélancolie vague, causée par le désoeuvrement ou par une occupation monotone ou dépourvue d’intérêt ». Cette notion semble toutefois beaucoup plus complexe qu’il y paraît et bien des philosophes et écrivains se sont intéressés à son ambivalence. L’ennui – parfois assorti du qualificatif de mortel- est-il un état, une émotion, une sensation, une pathologie, un sentiment qui nous englue dans ce qui nous apparaît comme la vacuité ? Ce « rien fécond » évoqué par Chateaubriand et tellement décrié est-il nécessaire au développement de l’être et recèle-t-il quelque(s) vertu(s) ? Dans une époque dominée par la suractivité et animée par la volonté forcenée de remplir le temps et de l’accélérer, l’ennui apparaît comme l’ennemi à combattre, la dimension pernicieuse à éliminer radicalement de notre quotidien.

      Quelques citations : « Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide ». Pascal
      « Ce vide épouvantable où la vie oscille comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui.». « L’ennui est à l’origine de la sociabilité » Schopenhauer
      «L’ennui nous englue dans le passé au détriment du présent et de l’avenir, c’est le mal du néant.» Jankélévitch.
      «C’est toujours par l’ennui et ses folies que l’ordre social est rompu.» Alain

      Extraits d’une tribune de Robert Redecker, professeur de philosophie :
      « Ordinateurs et smartphones, ces machines chronophages, font disparaître le temps, le dévorent, le remplissent ; l’ennui au contraire, en le ralentissant, profite du désoeuvrement pour rendre le temps quasi-palpable. Le « rien fécond » de Chateaubriand, c’est le « rien » que viennent habiter la rêverie, la flânerie, dans des mondes imaginaires aussitôt dissipés qu’apparus, le vagabondage sans boussole des idées et des sensations. N’est-ce pas dans ce seul à seul avec soi, cette vacuité du temps que naît puis se développe la vie intérieure ? L’ennui rend le monde à la vacance, il le dénude des oripeaux dont il est surchargé ; l’ennui est la rencontre avec le temps pur (….) On vole à l’enfant le droit au désoeuvrement dont il a besoin pour grandir. Rencontre avec le temps, l’ennui est aussi rencontre avec soi parce qu’il est la suspension du monde et de ses urgences (…) L’ennui possède une puissance de dévoilement : celles des réalités appartenant à notre vie intérieure (…) Plus qu’asocial, l’ennui est perçu comme une révolte contre la société, un insupportable séparatisme. Preuve que l’ennui est la subversion par excellence. »

      Quelques questions :
      L’ennui est-il l’expérience douloureuse de l’être, le révélateur de son absurdité, de son mal de vivre ?
      L’ennui est-il une manière fondamentale d’entrer en communion avec la totalité de son être ?
      Pourquoi notre société craint-elle tant l’ennui ? L’ennui est-il le contraire des passions et des désirs ?

      Des ressources
      L’ennui, par Géraldine Mosna-Savoye (Journal de la philo en 3mn)
      Vladimir Jankélévitch, L’aventure, l’ennui, le sérieux. Les Chemins de la philosophie. France Culture.
      Ennui. Article de boowiki.
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      Règles de base du groupe
      – La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
      – Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.

      Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
      – On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
      – Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
      – On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
      – On s’efforce de faire progresser le débat.
      – Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
      ————————————————–

      Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.

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      Le sujet de la semaine passé :
      Débat à partir de la citation de Platon : « Ce n’est pas de vivre selon la science qui procure le bonheur ; ni même de réunir toutes les sciences à la fois, mais de posséder la seule science du bien et du mal” (Critias)
      + son compte rendu est ici.
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      René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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      #6273
      René
      Maître des clés
        Un bref compte rendu, de mémoire, du sujet : FAUT-IL REHABILITER L’ENNUI ? B)

        L’introduction (message ci-dessus) pose bien le problème, et ses trois questions situent les problématiques :
        1° L’ennui est-il l’expérience douloureuse de l’être, le révélateur de son absurdité, de son mal de vivre ?
        > La dimension subjective et existentielle de la rencontre avec l’ennui. Comment composer avec ce qui est douloureux en soi ?

        2° L’ennui est-il une manière fondamentale d’entrer en communion avec la totalité de son être ?
        > La dimension conceptuelle, dialogique et empirique (phénomènologique) de l’affect et de la cognition. Quelle possibilité d’interpréter l’ennui ? Du lien entre l’affect et le concept.

        3° Pourquoi notre société craint-elle tant l’ennui ? L’ennui est-il le contraire des passions et des désirs ?
        > La dimension sociétale (voire économiste) de l’ennui + le rapport à l’usage, voire la fuite de l’ennui, et sa transformation en désir.

        Quant au verbe, l’idée de « réhabiliter » posait la question de qu’en faire ? Ce passage à l’acte, à la prise de décision, laisse supposer que l’on ait suffisamment clarifié ce qu’est l’ennui, la manière dont nous le faisons parler, si tant est qu’il est traduisible en des mots (qu’il contient un langage)

        Nous étions près d’une quinzaine de personnes. Il fallait donc commencer par des définitions, ce que nous avons fait essentiellement en reprenant celles de l’introduction, mais aussi en se situant par rapport à l’ennui (en évoquant son éprouvé).

        Le tour de table laisse supposer que chacun des participants accueille plutôt bien l’ennui, il sait comment le gérer. Fondamentalement, l’ennui ne semble donc pas faire problème pour les participants présents, en tous les cas, pas d’après leurs expériences et témoignages… En revanche, beaucoup estiment que la société (ainsi que leurs collègues) ont un problème avec l’ennui. En témoigne l’affairement incessant, la surcharge éducative des parents vis-à-vis des enfants, l’incitation permanente à se « bouger », mais aussi le fait que peu d’entre nous apprécient l’oisiveté. Correction : certains font publicité du plaisir à apprécier ces moments de promenade de la pensée dans le man’s land de l’inoccupation, d’autres l’acceptent, voire le subissent, en apprennent quelque chose, tout en doutant véritablement de sa « valeur » (de son intérêt ?).

        Dans les faits, nous devons bien observer des formes de paradoxes (les burn out, l’aliénation aux écrans, le fait de toujours se rendre utile, les agendas surbookés, la surcharge de la pensée, le besoin de débrancher). De fait, pour ceux qui acceptent l’ennui, la question se pose de savoir s’ils ne l’acceptent pas trop bien ? Et lorsque l’ennui se transforme en source d’inspiration, en quoi cette « source » ne serait pas une fuite, un palliatif aux questions existentielles plus profondes que nous ne saurions nous poser ?

        Donc, à partir de là, les choses deviennent délicates. En effet, passons outre le fait qu’il revient à chacun de juger en son âme et conscience ce qu’il/elle fait de cet état d’ennui (est-ce que je le fuis ? Est-ce que je me dispose à l’écouter, à l’accueillir ? Y vois-je le travail profond d’une transformation intérieure ? Est-ce que je me résigne et m’habitue à mon état, etc. ?), comment pouvons-nous nous assurer que nous parlons du même « ennui », que nous formulons sous le même mot, la même émotion, le même état d’âme ? Savons-nous, par ailleurs, ce que nous faisons véritablement de cette « émotion-affect-état » ?

        L’ennui occupe les philosophes depuis l’antiquité jusqu’à la modernité, en passant Pascal, Heidegger, Bergson, Jankélévitch (voir les ressources ici)… Ainsi on peut se demander s’il ne traduit pas une dimension « anthropologique » plus profonde en soulevant indirectement la question du sens de la vie, celui de notre rapport à la finitude, à l’intranquillité de l’âme ? Autrement dit, à une réponse pleine et entière à l’ennui devrait (pourrait) correspondre une philosophie de vie et sa méthode (si on est exigent avec soi-même :cheer: )

        Je ne l’ai pas exprimé durant le débat, mais j’ai bien aimé dans la pensée de Jankélévitch les trois modes d’aventure qu’il propose et qui engagent à la vie (et donc, à ne pas rester prisonnier de l’ennui, comme englouti par lui), car oui, il a été souligné par des participants que l’expérience de l’ennui pouvait être mortifère, dissolvante du sentiment de son identité. Les trois modes d’engagement à la vie de Jankélévitch sont :
        1° L’aventure mortelle de la vie (la mort est comme « omniprésente » à notre conscience, – en arrière-plan de celle-ci ou pleinement préoccupée par elle)
        2° L’aventure esthétique, et qui nous « ravit » à la vie, à la médiocrité du quotidien.
        3° L’aventure amoureuse… pour tout ce qu’elle contient de dépassement de soi.

        Autre idée que je gardais en tête, celle de Deleuze (in Pourparlers – 1972 – 1990), dont je reproduis ci-dessous, les images-textes :

        En résumé, le concept (voire, tout mot) contient beaucoup plus qu’une simple idée, il est beaucoup plus qu’une abstraction, il enroule en lui, des percepts (une phénoménologie) et des affects (une profondeur, des structures du ressenti qui ne sont pas dépourvues de significations).

        Une définition de concept : Du latin conceptus, le terme concept désigne l’idée perçue par l’esprit. C’est donc une abstraction qui subsume une réalité sous une généralité. Exemple, le mot « table » désigne toutes les tables, mais aucune d’elles en particulier.

        Un concept est donc une unité cognitive de sens. Il apparait comme une idée abstraite (c’est une construction mentale) permettant de saisir des idées (images mentales) derrière les mots qui naissent à la suite de nos interactions avec l’entourage.

        Autre idée que j’ai bien aimée, sur la méthodologie :
        On m’a gentiment, et à raison, fait remarquer que je ne cadrais pas assez le débat… En effet, les participants (certains) ont tendance à rester au niveau de l’expérience personnelle, et à y revenir, alors qu’on a passé cette phase.
        Oui, sans aucune doute. Si possible, j’essaie de ne pas inhiber la « pensée » des participants qui s’essayent… Certes, j’ignore si ces pensées (et les personnes qui les émettent) sont dans l’apprentissage de leurs pensées ou dans la répétition des « mêmes »… ou si encore, la répétition d’un même peut conduire à un apprentissage à la suite de quelques répétitions ?
        Je rechigne également à me situer comme un « professeur » ou un guide ou « je ne sais quoi » de ce genre. D’une part, je considère (postule) les autres participants, ainsi que moi-même, comme souverain de sa propre pensée et, d’autre part, je compte sur le groupe et sur les participants qui travaillent à structurer une pensée, à intervenir en vue d’apporter des éléments structurants pour le débat… d’où le fait que je me donne la parole au même titre que les autres participants… bien que parfois, je me la donne en tant qu’animateur (mais en vue de synthétiser ou de recentrer le débat). Il m’agrée également de découvrir les éléments structurant (les schémes structurant) que d’autres participants tentent de mettre en oeuvre.

        Le postulat selon lequel je considère les autres participants comme souverain de leur pensée est tout à la fois, un pari éthique, une condition d’apprentissage au dialogue, une condition d’apprentissage à l’appropriation de sa pensée, mais ce n’est pas une « effectivité ». On peut tourner longtemps dans sa propre pensée, s’y enliser, en resté prisonnier.
        Là où je peux me montrer moins tolérant (par faute d’un meilleur contrôle de mes émotions ou par incapacité à trouver d’autres réponses, comme une reformulation du problème posé), c’est avec des prises de paroles sans réserve, sans attention pour autrui, qui répètent trop systématiquement les mêmes schémas à longueur de débat. Je continue à me former et reste attentif aux suggestions et à celles/ceux qui souhaitent prendre des responsabilités dans la modération des débats. Il importe pour cela de s’intéresser à la didactique de la philosophie et aux travaux des pédagogues. Je m’inscris en cela dans une approche démocratique et à visée philosophique, théorisée par Michel Tozzi, tout en faisant usage de tout outil et réflexion produit par nombre de pédagoques (François Galichet, Mathieu Gagnon, le laboratoire Phileduc (Grenoble), Diotime, Philocité, etc.)

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        René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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