Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Flirt et mauvaise foi (Jean-Paul Sartre), sujet pour le lundi 2 mai 1016 + un bref compte-rendu

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  • #5346
    René
    Maître des clés
      Prochain débat
      Quelles questions vous suggère l’extrait de texte ci-dessous :
      L’être et le néant, chap. II, La mauvaise foi. Jean-Paul Sartre

      Voici, par exemple, une femme qui s’est rendue à un premier rendez-vous. Elle sait fort bien les intentions que l’homme qui lui parle nourrit à son égard. Elle sait aussi qu’il lui faudra prendre tôt ou tard une décision. Mais elle n’en veut pas sentir l’urgence: elle s’attache seulement à ce qu’offre de respectueux et de discret l’attitude de son partenaire… L’homme qui lui parle lui semble sincère et respectueux comme la table est ronde ou carrée, comme la tenture murale est bleue ou grise. Et les qualités attachées à la personne qu’elle écoute se sont ainsi figées dans une permanence chosiste qui n’est autre que la projection dans l’écoulement temporel de leur strict présent. C’est qu’elle n’est pas au fait de ce qu’elle souhaite: elle est profondément sensible au désir qu’elle inspire, mais le désir cru et nu l’humilierait et lui ferait horreur. Pourtant, elle ne trouverait aucun charme à un respect qui serait uniquement du respect. Il faut, pour la satisfaire, un sentiment qui s’adresse tout entier à sa personne, c’est-à-dire à sa liberté plénière et qui soit une reconnaissance de sa liberté.
      Mais il faut en même temps que ce sentiment soit tout entier désir, c’est-à-dire qu’il s’adresse à son corps en tant qu’objet. Cette fois donc, elle refuse de saisir le désir pour ce qu’il est, elle ne lui donne même pas de nom, elle ne le reconnaît que dans la mesure où il se transcende vers l’admiration, l’estime, le respect et où il s’absorbe tout entier dans les formes plus élevées qu’il produit, au point de n’y figurer plus que comme une sorte de chaleur et de densité.
      Mais voici qu’on lui prend la main. Cet acte de son interlocuteur risque de changer la situation en appelant une décision immédiate: abandonner cette main, c’est consentir de soi-même au flirt, c’est s’engager. La retirer, c’est rompre cette harmonie trouble et instable qui fait le charme de l’heure. Il s’agit de reculer le plus possible l’instant de la décision. On sait ce qui se produit alors: la jeune femme abandonne sa main, mais ne s’aperçoit pas qu’elle l’abandonne. Elle ne s’en aperçoit pas parce qu’il se trouve par hasard qu’elle est, à ce moment, tout esprit. Elle entraîne son interlocuteur jusqu’aux régions les plus élevées de la spéculation sentimentale, elle parle de la vie, de sa vie, elle se montre sous son aspect essentiel: une personne, une conscience. Et pendant ce temps, le divorce du corps et de l’âme est accompli; la main repose inerte entre les mains chaudes de son partenaire: ni consentante ni résistante; une chose.»
      SARTRE, L’être et le néant, pp. 94-95

      Dispositif du débat
      – Trois personnes lisent le texte, chacune un paragraphe.
      – On procède à un tour de table pour récolter les questions que le texte suggère.
      – On organise les questions (par exemple des plus simples aux plus complexes) pour construire notre débat, ou on sélectionne la question qui semble retenir l’intérêt du plus grand nombre.

      Des ressources
      Un lien pour imprimer le texte ci-dessus de Jean-Paul Sartre
      L’en-soi, le pour soi, la mauvaise fois séductionnelle (Sartre). Les explications d’un blogueur (étudiant science Po.)
      La critique sartrienne de l’inconscient. Le cours de Remi Navaron, prof de philo
      Un cours sur la vérité (avec de nombreux extraits de texte, voir le sommaire) Jean-Marie Nicole dans Google book.
      Le garçon de café (Jean-Paul Sartre) sur France Culture.
      Des extraits d’un cours sur la vérité (Google book), Jean-Marie Nicolle (Prépas commerciales)
      L’invention du flirt dans la Fabrique de l’Histoire. France Culture.

      #5347
      René
      Maître des clés
        Un bref compte-rendu


        Ambiance et orientation générale

        – Une vingtaine de personnes étaient présentes.
        – Les interventions des participants s’étageaient sur plusieurs niveaux : les enjeux de la séduction, les rapports hommes-femmes, les attendus de Sartre (la jeune femme courtisée mise en scène serait-elle révélatrice de la psychologie de Sartre ?). Mais pour l’essentiel, on a pu observer une dimension exploratrice dans le débat, elle prend la forme de questions que l’on se pose, d’hypothèses que l’on formule. Concernant le fil conducteur de la discussion, nous nous sommes efforcés de distinguer ce qui différenciait la « mauvaise foi commune » de la « mauvaise foi » du point de vue sartrien.

        Quelques questions posées lors du débat
        – Qu’est-ce que se mentir à soi-même ?
        – La jeune femme renonce-t-elle à exprimer ses valeurs en ne prenant aucune décision ?
        – Peut-on abandonner la conscience de soi-même ? (par exemple, se laisser prendre la main par un courtisan inconnu, et ne plus être attentif à ce qui se passe dans sa main ?)
        – Hypocrisie, mensonge, mauvaise foi, que recouvrent ces termes, qu’est-ce qui les différencie ?
        – Sartre est-il de mauvaise foi en prêtant à son personnage des attentes qui ne correspondent pas aux siennes ?

        La mauvaise foi sartrienne et la mauvaise foi commune :
        – Le jeu de la séduction consisterait à éveiller l’intérêt de son partenaire, à susciter le désir, à l’attiser. En quoi cacherait-il de la mauvaise foi ?
        – Dans un jeu de séduction, la mauvaise foi commune consisterait à manipuler le prétendant, à retarder à l’infini le moment de la rencontre des corps (par exemple, pour décevoir le/la prétendante, se réjouir d’une petite vengeance, satisfaire un sentiment de domination).
        – Dans la logique sartrienne, que l’on séduise ou que l’on offre son corps, dans les deux cas, on se réduit à n’être qu’un objet de désir. En tant que tel, l’être humain n’est qu’une chose, c’est-à-dire, un néant. En effet, selon Sartre, rien ne préexiste à l’être humain que « l’en soi » de son désir. D’après cette philosophie, la mauvaise foi résiderait dans l’idée que l’être humain refuse d’assumer le fait que son « en soi » est un « néant ». En conséquence, l’être humain se donne des projets, des désirs, un « pour soi » qui serait la dimension transcendant sa personne, qui serait une manière de se donner du sens.
        – L’expression « mauvaise foi » pourrait être mise en parallèle avec la notion « d’inconscient » de Freud : c’est ce que l’on met entre la conscience de soi, et ce que l’on est « véritablement », mais que l’on refuserait d’admettre. En effet, Sartre rejetait la notion d’inconscient. Pour le philosophe, l’inconscient freudien serait l’expression même de la « mauvaise foi » : il s’agirait d’histoires qu’on se raconte pour échapper à son propre néant. On échapperait ainsi à l’angoisse de la pleine liberté d’exister car, encore une fois, selon Sartre, nous ne sommes déterminés que par nos proches choix.

        Une objection au concept sartrien de « mauvaise foi »
        – Si on garde l’exemple de la séduction, cette dernière peut être vue comme un jeu qui nous permet non pas de nous cacher, mais de nous révéler à nous-même.

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