Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › La question du désir, je t’aime, moi non plus. Présenté par Marielle pour ce lundi 19.12.2022 + compte rendu du sujet
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15 décembre 2022 à 20h04 #6417La question du désir, je t’aime moi non plus.
Merci à Marielle pour sa propositionSelon Platon, le désir est avant tout l’expression d’un manque, un bien à atteindre : « On ne désire les choses que lorsque nous en sommes privés ».
Mais selon, Spinoza, le désir est un élan vital, il est ce mouvement qui permet de persévérer dans son être.« Le désir est l’essence même de l’homme, c’est-à-dire l’effort par lequel l’homme s’efforce de persévérer en son être »
Pour Schopenhauer, l’Homme est dans un cycle continu de désir entrecoupé de courtes satisfactions, car il est un éternel insatisfait.
Mais comment comprendre ces contradictions sur le thème du désir des philosophes ? Dans la vie réelle, n’avoir pas de désir s’apparente à de la déprime, en avoir trop, à de la folie. La moyenne entre les deux passerait pour de la sagesse, non de l’indécision ou de la médiocrité, n’est-ce pas ?
Quelques références
Schopenhauer. Parerga et Paralipomena
« Le désir sexuel — spécialement quand, se fixant sur une femme déterminée, il se concentre en amour — est la quintessence de toute la duperie de ce noble monde. Il promet en effet si indiciblement, si infiniment, si follement tant de choses, et il tient si misérablement sa promesse.Platon, Phédon, 66b-66e.
Aussi longtemps que nous aurons notre corps et que notre âme sera pétrie avec cette chose mauvaise, jamais nous ne posséderons en suffisance l’objet de notre désir. Or cet objet, c’est disons-nous, la vérité. Et non seulement mille et mille tracas nous sont en effet suscités par le corps à l’occasion des nécessités de la vie ; mais, des maladies surviennent-elles, voilà pour nous de nouvelles entraves dans notre chasse au réel ! Amours, désirs, craintes, imaginations de toute sorte, innombrables sornettes, il nous en remplit si bien, que par lui (oui, c’est vraiment le mot connu) ne nous vient même, réellement, aucune pensée de bon sens ; non, pas une fois ! Voyez plutôt : les guerres, les dissensions, la bataille, il n’y a pour les susciter que le corps et ses convoitises ; la possession des biens, voilà en effet la cause originelle de toutes les guerres, et, si nous sommes poussés à nous procurer des biens, c’est à cause du corps, esclaves attachés à son service ! Par sa faute encore, nous mettons de la paresse à philosopher à cause de tout cela.
Mais ce qui est le comble, c’est que, sommes-nous arrivés enfin à avoir de son côté quelque tranquillité, pour nous tourner alors vers un objet quelconque de réflexion, nos recherches sont à nouveau bousculées en tous sens par cet intrus qui nous assourdit, nous trouble et nous démonte, au point de nous rendre incapables de distinguer le vrai. Inversement, nous avons eu réellement la preuve que, si nous ne devons jamais savoir purement quelque chose, il nous faudra nous séparer de lui et regarder avec l’âme en elle-même les choses en elles-mêmes. C’est alors, à ce qu’il semble, que nous appartiendra ce dont nous nous déclarons amoureux : la pensée ; oui, alors que nous aurons trépassé, ainsi que le signifie l’argument, et non point durant notre vie !Spinoza, Éthique (1675).
Toute chose s’efforce – autant qu’il est en son pouvoir – de persévérer dans son être. L’effort par lequel toute chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien d’autre que l’essence actuelle de cette chose. Cet effort, en tant qu’il a rapport à l’âme seule, s’appelle : Volonté. Mais lorsqu’il a rapport en même temps à l’Âme et au Corps, il se nomme : Appétit. L’appétit, par conséquence, n’est pas autre chose que l’essence même de l’homme, de la nature de laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement ; et par conséquent, ces mêmes choses, l’homme est déterminé à les accomplir.
En outre, entre l’appétit et le désir il n’existe aucune différence, sauf que le désir s’applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu’ils ont conscience de leur appétit et, par suite, le désir peut être ainsi défini : « Le désir est un appétit dont on a conscience. » Il est donc constant, en vertu des théorèmes qui précèdent, que nous ne nous efforçons pas de faire une chose, que nous ne voulons pas une chose, que nous n’avons non plus l’appétit ni le désir.Autres citations
« Si le désir est manque, le bonheur est manqué » – André Comte-Sponville« Toute vie oscille, comme un pendule, de la souffrance à l’ennui » – Schopenhauer
« Il y a 2 tragédies dans la vie. L’une est de ne pas obtenir ce que l’on désire ardemment, l autre est de l’obtenir . Georges Bernard Shaw ou Oscar Wilde
Des ressources.
– Maxime Rovère. Ethique de Spinoza. Interview chez Mollat.
– Podcast de France Culture sur les paradoxes du désir. Ici. (Adèle Van Reth
– Le cours d’Annick Steven sur Platon. Ici.
– Le site de Schopenhauer, ici.————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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Nous étions une dizaine de personnes, tous des habitués.
Quelques questions de départ :
Cécile : peut-on distinguer différents types de désir ? Ceux se rapportant à des objets et à des projets, ceux induits par la société de consommation et le désir amoureux qui, dès que l’intime est impliqué, rend confus les rapports à l’identité de soi et de l’autre : le désir de l’autre se mêlant aux désirs sur l’autre.Nikky : à partir de quoi désire-t-on ?
Après quelques tours de table, on observe dans la diversité des propositions, que le désir est pensé à partir de « références » (Spinoza ou Freud), à partir d’expériences (ce qui s’éprouvent), à partir d’une lucidité (ce dont j’ai conscience ou pas) ou à partir d’une « philosophie » (une théorie plus ou moins bien ficelée sur les désirs).
Ce premier regard laisse entrevoir une dynamique, elle montre que le désir s’élabore à partir d’un ressenti des affects, lesquels sont projetés en désirs-représentés sur des objets, des sujets, des projets. A partir de là, le désir-représenté s’inscrit dans une volonté d’accomplissement plus ou moins conflictuelle (on veut, on ne veut pas, on sait ou pas ce que l’on veut) et, éventuellement, en une philosophie de vie.
La problématique de départ :
Au désir pensé comme un manque s’oppose le désir pensé comme un plein. Comment comprendre ces deux points de vue apparemment contradictoires ?
Une réponse possible :
D’un côté, le désir conscient, qui se réalise, parvient à satiété et cède la place à une phase d’ennui. Ce point de vue phénoménologique et empirique correspond bien aux observations de Schopenhauer, ce à quoi il ajoute, la souffrance des déceptions et des désillusions. De là, l’auteur construit sa philosophie : Le monde comme volonté et comme représentation.D’un autre côté, le désir peut être conçu comme résultant d’une architecture profonde, inconsciente, dont les objets-représentés dans le réel mettent en résonnance une symbolique intérieure, laquelle suggère le sentiment d’un sens. Les désirs représentés s’inscrivent ainsi dans un parcours guidé, il égrène des étapes le long d’un processus d’accomplissement. Par exemple, je désire une voiture ou j’aspire à une profession non en vue de leur valeur éthique, mais en vue de la valeur de prestige que la société leur attribue. Puis, la maturité venant, je comprends la velléité de mes désirs, et j’aspire à m’attacher à ce qui a plus de valeur en soi.
De fait, la contradiction apparente des points de vue, désir plein ou désir comme manque, est relative à un niveau d’expérience, mais aussi à l’angle de vue adopté pour l’observer.
– soit un processus est à l’œuvre, et il faut apprendre à se repérer le long de ses étapes : objet-désiré-représenté > réalisation ou déception > phase d’ennui-petite mort > prise de conscience d’une symbolique, de son sens et transformation pour passer à une autre étape ;
– soit rien n’est à l’œuvre, sinon l’illusion de nos représentations, il faut alors apprendre à « renoncer » (à dépasser, se résigner ?) à son destin et, peut-être, rester dans le trauma de l’ennui ou/et de la « mort » ?De la liberté
Il semble a priori que l’adoption de l’un ou l’autre des points de vue (sens vs non-sens) est fonction d’un choix. Il faut faire acte d’une prise de recul et se disposer à penser le désir selon des « arrière-plans » conceptuels (en sciences humaines, en philosophie de vie, voire en psychanalyse ou en métaphysique) et/ou selon ses attentes déçues. Dans l’un et l’autre cas, des conséquences s’en suivront sur l’éprouvé ressenti et sur la philosophie adoptée, précisément pour intégrer/interpréter l’éprouvé.La difficulté, dans ce débat, tient dans le fait de savoir si l’on parle du désir avec les mêmes arrière-plans. Ce qui pose les questions suivantes :
– à partir de quelles références le désir est-il pensé ?
– puis-je me représenter le désir à partir des références de l’autre (livresques ou expérientielles) ?
– Comment je mets en lien ma façon de concevoir le désir et la façon dont l’autre le conçoit ?
Ps : on se rend compte que ce travail est difficile quand notre propre conception du désir n’est pas suffisamment bien définie…tandis que la mise en mots au sein du café philo nous met également en situation de mieux définir ce que nous pensons. De fait, c’est un triple travail qui s’opère au café philo, celui de clarifier sa pensée autant que de comprendre celle de l’autre, tout en essayant d’établir des rapports entre sa pensée et celle des autres, qu’elle soit livresque ou expérientielle. La liberté ici se mesure dans l’aptitude (ou la volonté ?) à déplacer son regard et à en embrasser de multiple.Apprendre à mourir pour apprendre à vivre ?
Le point nodal semblait se situer là : entre ceux qui semblent se convaincre, voire se résigner dans le fait que tout est désillusion et ceux qui, à l’inverse, semblent inspirés par l’idée d’un sens plus profond, plus général. A priori, nous n’avons pas les moyens de déterminer qui peut être dans le vrai ou pas, puisque les positionnements des uns et des autres relèvent d’un angle de vue. Après tout, l’arc-en-ciel n’est visible que d’un certain point de vue, et s’en réjouissent ceux qui se disposent à l’observer (à adopter le regard de l’autre l’espace d’un instant).Toutefois, on peut observer les conséquences sur soi de la philosophie de vie adoptée.
Exemple cité par Benoit : « le bonheur, c’est continuer à aimer ce que j’ai déjà »
Ce regard suggère un retour sur soi (savoir ce qui a donné du bonheur), ce qui suppose un principe de reconnaissance, autrement dit une volonté sinon une curiosité d’apprendre à voir, à découvrir, à sentir ce que l’on porte en soi. Il s’agit éventuellement de mobiliser son attention (sa volonté) sur le fait d’apprendre à se réjouir de ce que l’on porte en soi, voire d’apprendre à faire face à ce qui s’éprouve en soi. Cela peut requérir une volonté de prendre le temps, de ne pas se disperser, l’idée de se déterminer en vue de décrypter le sens et les raisons profondes de ce qui nous anime, éventuellement de ce qui nous fait souffrir.
D’un autre côté, il y aurait ceux qui restent dans la déception, la désillusion blessée, ceux qui renoncent trop tôt aux désirs, ceux qui se mettent en mode « survie » ou qui, psychologiquement parlant, meurent trop tôt. Ceux-là semblent, dans le même temps, nourrir une nostalgie ou des regrets, de l’amertume, conserver des colères et s’exprimer sur le registre des frustrations… Mais est-ce bien entre ces deux alternatives qu’une philosphie du désir se conçoit : être habité de sens ou ne pas l’être, et selon un angle de vue (une phénoménologie) délibéré que l’on adopterait ou pas ?
Pour ne pas conclure trop rapidement
Il apparait que, penser le « désir », c’est en même temps, être pensé par son désir. Autrement dit, notre façon de penser le désir peut résulter de la façon dont il nous fait penser. Penser et désirer sont en miroir l’un de l’autre. Et cela peut s’entendre car nos affects, de même que notre environnement, ne sont pas choisis délibérément, ils nous sont donnés, on en hérite. Il s’agit d’être conscient de la façon dont nos affects et notre environnement interagissent et forment notre conscience. Par rapport à notre débat, il reste à clarifier la façon dont la pensée transforme le désir et inversement, comment le désir transforme la pensée. Ce mode d’interaction en miroir pose la question du recul effectif à partir duquel nous pensons le désir.
Sur un plan philosophique, cette approche invite à penser à la fois sur un plan « pragmatique » (au sens noble du terme, voir plus bas), mais aussi en termes « conséquentialistes », c’est-à-dire, à partir des effets ressentis à la suite de sa philosophie du désir (celle mise en pratique). De là, probablement peut-on déduire si on est au clair avec soi d’après les effets ressentis à la suite de sa pratique : suis-je amer, en colère, dans la dérision permanente ? Dans l’affirmative, serait-ce quelque chose que je digère mal de mes émotions et de mes désirs ?
Serais-je, au contraire, détaché, léger ? Mais, être détaché signifie-t-il que l’on est accompli ou que l’on a résolu le problème qui nous affectait ? Ce n’est pas certain.
Le fait d’être détaché peut indiquer que j’ai su appliquer une méthode de déconditionnement, que j’ai pu, grâce à des pratiques sur mes représentations, dignes des meilleurs stoïciens de l’époque antique, su opérer des renversements dans ce qui me dérangeait. Il est possible également que le fardeau de mes peines se soit allégé par lassitude. Ainsi, être allégé ou détaché ne sont pas synonymes de compréhension, d’accomplissement, de réalisation.
Dis-moi comment tu désires et je te dirai de quelle philosophie de vie tu es animé, celle d’un renoncement détaché ou celle d’un accomplissement plein et heureux. Hippocrate aurait-il repris la formule pour lui ?Pragmatisme, une définition :
Du Grec : pragma, l’action.
C’est une doctrine qui prend pour critère de vérité sa possibilité d’action sur le réel. Elle relève d’une méthode-attitude qui articule « connaissance et expérience », les conceptions sont liées à des conséquences observables.Attention : le pragmatisme est caricaturé : « est vrai ce qui marche », ce qui renvoie à l’attitude d’une personne qui ne se soucie que d’efficacité.
Les contraires de pragmatique sont ce qui relève du théorique, de l’idéologie, du spéculatif, mais aussi de l’utilitarisme.Le pragmatisme ne statue pas sur la « vérité » des choses, mais pose comme principe que le discours sur la chose agit en retour sur la chose, de la même manière que la chose sur le discours. Il y a un dialogue (des interactions permanentes) entre la chose et l’objet pensé, de sorte que les deux interagissent et se transforment l’un par l’autre.
Voir éventuellement l’article Cairn de Jean Foucart : Pragmatisme et transaction. La perspective de John Dewey. Cliquer ici.Une référence : Jean-Hugues Barthélémy, philosophe – Manifeste de l’écologie humaine – 29 avril 2022. (Cliquer ici)
Jean-Hugues Barthélémy intègre complètement l’approche pragmatique dans un projet philosophique qui se veut très actuel et écologique.Une remarque par rapport à ce compte rendu : en raison du fait que nous nous connaissions tous pour ce débat, presque naturellement, nous avons fait l’impasse sur les objets du désir et leurs pyramides (type Maslow), ni nous ne nous sommes attardés sur une classification des désirs, naturels, non naturels, nécessaires, etc. que relève, par exemple, Epicure :
– désirs naturels et nécessaires (boire, manger, dormir)
– désirs naturels et non nécessaires (sexe)
– désirs non naturels et non nécessaires (richesse, gloire…)
Nous avons privilégié l’angle de questionnement sur la manière de désirer et de concevoir le désir en soi : comment il nous habite ou comment nous le laissons habiter en nous.
Merci Laurent pour m’avoir fait remarquer ce manque. B)
La société crée des besoins, dit-on. Non, elle crée des désirs,
qu’elle sont fait passer pour des besoins. Jean-Hugues Barthélémy. Philosophe————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)27 décembre 2022 à 23h14 #6425Post-réflexion.
Finalement, par rapport à la conclusion, c’est comme si je posais la question :
– Y a-t-il des preuves ou des indices extérieurs à une personne qui témoignerait du fait qu’elle est détachée, habitée, accomplie ou réalisée ?
Question qui serait suivie d’une autre :
– Y a-t-il des signes et indices intérieurs qui indiqueraient que l’on se trompe soi-même ou, à l’inverse, qui témoigneraient de notre authenticité ?
– Peut-on savoir si l’on est honnête avec soi-même si l’on se réfère qu’à sa seule subjectivité, à la jouissance de son propre détachement ?
– En vue de quoi travaille-t-on sur ses désirs ? -
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