Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Le désir est-il nécessairement paradoxal ? Sujet du 23.03.2015 + restitution + schémas
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18 mars 2015 à 3h47 #5208Le désir est-il nécessairement paradoxal ?
Le mot désir a une origine proprement… sidérante : en effet, désir vient du verbe latin desiderare, lui-même formé à partir de sidus, sideris, qui désigne l’astre − étoile ou planète, ou la constellation (d’étoiles). Rattaché à l’étymologie, de-siderare signifie « avoir la nostalgie de l’astre, c’est désirer revoir l’étoile ». Pour Alain Rey (lexicographe) c’est « constater l’absence », puis « regretter l’absence », ce qui peut arriver après avoir « demandé la lune ».
Dans le style de Karine B) , je propose une problématique (c-à-d. deux propositions contradictoires à partir desquelles on se débrouille pour trouver une solution) :blink: :
➡ La jouissance est dans le désir.
« Tant qu’on désire on peut se passer d’être heureux ; on s’attend à le devenir : si le bonheur ne vient point, l’espoir se prolonge, et le charme de l’illusion dure autant que la passion qui le cause. Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l’inquiétude qu’il donne est une sorte de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être. Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux. »
➡ Mais la satisfaction du désir est comparable à une mort.
« Vivre sans peine n’est pas un état d’homme ; vivre ainsi c’est être mort. Celui qui pourrait tout sans être Dieu serait une misérable créature ; il serait privé du plaisir de désirer ; toute autre privation serait plus supportable. »
Jean-Jacques Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761), 6e partie, Lettre VIII, Flammarion, « coll. GF », 1967De Platon à Lacan en passant par Epicure, Alain, Schopenhauer, Nietzsche ou Freud, il semble qu’on ne ressorte pas « vivant » de nos tribulations avec le désir.
Question 1 : le désir est-il nécessairement paradoxal ?
Question 2 : peut-on sortir vivant des paradoxes du désir ?_____________________________Les ressources sur la question du désir sont nombreuses, en voici quelques unes :
– Le dossier de Philia sur le désir (Philia)
– Le désir en psychanalyse freudienne et lacanienne (un résumé clair et concis de Larousse)
– La philosophie du désir ( Un panorama bien vu par philocours)
– Une explication du texte de Rousseau (le blog de Eric Chevet, prof de philo)
– Platon et le désir amoureux Adèle Van Reeth sur France-Culture
– Le désir (wikipedia)
– Ci-dessous, une vidéo avec Etienne Klein : Les paradoxes du désir.Organisation du débat
– Caroline distribue la parole, ou en cas d’absente, une remplaçante (Wedad, Catherine, Karine,…)
– Nadège modére le débat.
– René (coucou c’est moi) introduit le sujet
– Le rôle de l’observateur est ouvert à toute personne. On peut s’inspirer des consignes ici (vers le bas du message), ou en proposer d’autres..__________________________
Le café philo d’Annemasse est ici16 avril 2015 à 14h28 #5226Restitution de quelques problématiques évoquées lors du débat– Sur un plan séquentiel, le désir se présente au premier abord comme une sensation-émotion, laquelle est symbolisée par une image, une idée, que l’on projette sur un objet désiré, et vers lequel on se met en quête.
Paradoxe
– Le paradoxe se dit d’une chose ou d’une situation qui semble contradictoire. Le paradoxe du désir tiendrait dans le fait que, dès lors qu’il est satisfait, il ne serait plus aussi satisfaisant qu’il promettait de l’être, pire encore, la satisfaction pourrait conduire au sentiment d’expérimenter une sorte de mort, de désarroi. D’autres attitudes paradoxales peuvent en découler, par exemple, cultiver des désirs sans vouloir les assouvir, passer de désir en désir sans jamais rien approfondir, aspirer au dépassement de tous ses désirs tel le stoïcien de l’époque antique, et cliver sa personnalité dans les contradictions de celui qui nie son désir. Et, pour J.J. Rousseau, on peut finir par ne plus rien désirer du tout, ce qui est plus grave que mourir.
Des besoins, des désirs, des valeurs
– Il est classique de distinguer les besoins des désirs : les besoins relèveraient de la demande biologique du corps, et les désirs, d’une recherche de plaisirs associés à notre activité psychique.
– Mais la séparation entre besoins et désirs n’est pas si nette. Lorsqu’on se nourrit, s’habille, se loge ou se déplace, on ne se contente pas du minimum biologique requis, on y surajoute des plaisirs. Par exemple, on souhaitera un repas plus savoureux, des vêtements plus élégants, une voiture moins polluante, un logement avec une plus belle vue, etc.
– On peut hiérarchiser ses désirs selon la « Pyramide de Maslow » (allant du besoin de sécurité au désir d’accomplissement de soi, en passant par le besoin de reconnaissance).
– On peut construire une hiérarchie de valeurs qui se réfère à une éthique, une religion, ou se déterminer selon une approche économique, ou encore être à l’écoute d’un besoin de réalisation personnelle, etc. Autant d’êtres humains, autant de désirs, autant de valeurs.
– Les besoins de base peuvent être satisfaits, les désirs, jamais.
Que désire le désir ?
– Saint-Exupéry fait dire au Petit Prince : Préviens-moi quand tu arriveras afin que je commence à me réjouir.
– L’alpiniste qui, de son côté, savoure sa victoire du sommet tout juste conquis, pense bientôt déjà aux défis que lui révélera le prochain pic à gravir.
– Que demande le désir, celui de l’attente de l’être aimé, celui de l’alpiniste ?
– Il y aurait à distinguer les buts et le cheminement vers le but.
> Le but, c’est l’objectif formulé comme fin à atteindre (vouloir être président de la République, fleuriste ou enseignant..).
> Le cheminement représente l’action tournée vers le réel, ce par quoi il faut passer pour atteindre le but.
– Dans notre exemple, qu’est-ce qui compte le plus pour l’amoureux, ou l’alpiniste, arpenter le chemin qui conduit vers le but, ou atteindre directement le but sans avoir à cheminer ?
– Est-ce que le but est fonction d’une représentation sociale, d’une idée de la réussite (on veut réussir au regard d’autrui), tandis que le cheminement reste tourné vers l’action, la prise de décision, l’apprentissage du réel, le développement de compétences ?
– Il faudrait s’enquérir des causes qui motivent nos désirs.Théoriser les structures du désir
– Pour les psychanalyses, le désir compense le manque créé par la séparation d’avec la mère. Un parent bienveillant substituera à son absence des « objets transitionnels » (des doudous, des peluches) auxquels l’enfant s’attachera. Les objets transitionnels facilitent en somme l’apprentissage à désirer autre chose que la «mère initiale », ils orientent l’attention vers le monde extérieur.
– Pour la psychanalyse, le désir est toujours symbolique, voire illusoire : ce qu’on en attend ne compensera jamais le sentiment de perte du paradis perdu (le sentiment d’unité ressenti durant la vie fœtale). De ce point de vue, le désir ne représente rien d’autre que les stratégies du Moi cherchant à échapper au traumatisme de la naissance
– On peut rapprocher ce traumatisme de la séparation à celui évoqué dans le mythe antique que rapporte le poète Aristophane (- 445 à – 380). Selon l’auteur, avant que les dieux ne séparent les êtres humains en les individus seuls que nous sommes aujourd’hui, nous existions en tant que couples androgynes, homosexuels et hétérosexuels formant une « entité », totale et complète. De cette «époque originelle», nous garderions la nostalgie d’un double perdu, que nous rechercherions sans cesse en l’autre.
– Dans le « Réel et son double » (1976), le philosophe Clément Rosset défend l’idée, que notre finitude étant impossible à « soutenir », le recours de la psyché consiste à se « représenter » le monde selon les désirs que l’on projette sur lui. Les désirs seraient à ce titre des illusions.Choisissons-nous nos désirs ?
– Choisissons-nous de tomber amoureux, choisissons-nous de croire en Dieu ?
– Les représentations s’imposent à nous, et il arrive que nos désirs suivent le même chemin.
– Sans doute, est-ce à ce moment-là qu’intervient la liberté de céder à notre désir, de le refouler, de le prendre pour vrai, de le repenser, de prendre du recul, de l’exprimer sous une forme ou une autre, de le transformer.Les dynamiques du désir
– De façon générale, le désir est perçu comme « négatif » par de nombreux intellectuels et philosophes, Platon (428 – 348 av. j.C.), Marc Aurèle (121 – 180), Descartes (1596 – 1650), Schopenhauer (1788 – 1860), etc. tous lui donnent un statut à part, comme s’ils voulaient l’écarter de la vie. A cette approche s’oppose une vision « positive » (intégrante) que représentent d’autres philosophes comme « Spinoza », Hegel ou Nietzsche. Par exemple, Spinoza formule le concept de « conatus », qui est une force qui s’affirme et poursuit sa propre croissance en ce qu’elle est vécue comme une Joie originelle.
– Entre le désir satisfait, et qui s’éteint, et celui qui n’est pas satisfait, et qui nous frustre, quelle place laissons-nous à la transformation, à la sublimation ?
– Oui, ce serait une autre manière de formuler la question, le désir est-il une invite à la transformation de soi ?En guise de conclusion
– Nos pulsions sont un moteur désirant, le désir est une puissance qui prend forme dans des symboles plus ou moins ciselés, et par lesquels nous nous mettons en rapport avec autrui et la réalité.Autres questions
– Aujourd’hui, dans un monde plus ouvert, nos désirs doivent s’ajuster à des paramètres différents de ceux qui structuraient le monde d’avant (de l’antiquité à la modernité). Avons-nous la même structure de désir que nos aïeux ? Désirons-nous aujourd’hui comme hier ?
– Savons-nous lire aujourd’hui la symbolique qui incarnera les désirs de demain ? Le bonheur sera-t-il, par exemple, dans «l’homme augmenté», ou dans l’homme traditionnel ? Le bonheur sera-t-il dans un mode de vie plus solidaire, ou encore plus individualiste ?– « J’ai un désir de cohérence », dit un participant, « et comme il y a sans cesse des éléments nouveaux à intégrer, je suis tenu d’apprendre toujours plus, de comprendre toujours mieux ».
– Les contradictions se résolvent-elles dans une volonté de tout comprendre, dans un désir d’absolu ?– Selon certains témoignages, le désir suit un parcours : il naît, se réalise ou non, se perd parfois dans quelques méandres, meurt, mais il peut également renaître sous une autre forme, plus entier, plus serein, différent.
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