Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Le vide a-t-il quelque chose à nous dire ? (Nicolas Grimaldi) pour lundi 08.02.2016 + un compte-rendu qui est loin d’être vide ;-)
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3 février 2016 à 15h50 #5329Le vide a-t-il quelque chose à nous dire ?
A partir du texte de Nicolas Grimaldi : L’effervescence du vide (2012)
Extrait de L’effervescence du vide de Nicolas Grimaldi
« Parce qu’il n’y a pas d’objet qui puisse satisfaire notre désir, nous découvrons jusque dans la satiété l’exaspération de désirer encore alors que nous ne savons pas même quoi désirer. Tel est l’ennui, cette indigence de la satiété, et qui consiste à sentir qu’il ne suffit pas de tout avoir pour ne manquer de rien. Le propre de l’ennui consiste en effet dans le malheur de désirer sans savoir quoi désirer. Il est donc à la fois l’évidence et la douleur d’un désir sans objet. »
Questions pour notre thème :
– Le vide est-il une expérience commune à chacun ?
– Le vide naît-il de l’ennui, de « l’indigence de la satiété » (comme l’évoque N. Grimaldi ?)
– Qu’appelle-t-on le vide ? Y-a-t-il quelque chose tel que le vide ?
– Le vide a-t-il une utilité ?
– Le vide a-t-il quelque chose à nous dire (doit-on attendre/entendre quelque chose du vide ?)Citations
– « L’angoisse est le vertige de la liberté. » Søren Kierkegaard (1844)
– « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux. » Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse. (1761) VI° Partie, LettreVIII
– Tout l’ordre social, pour aléatoire et injuste qu’il soit, si absurde et même si scandaleux qu’il puisse être, n’est fondé que sur une ordinaire, diffuse et commune persuasion. Grimaldi
– Notre identité n’est pas chose faite, toujours déjà constituée, mais une perspective toujours ouverte, l’attente de possibles indéterminables. GrimaldiSuite d’extraits du texte de L’effervescence du vide :
[…]
S’agissant par conséquent d’un désir qu’aucun objet ne peut satisfaire, il va de soi que la conscience ne peut attendre du monde ni d’aucune transformation du monde cette réconciliation qui la réunirait à soi en ne lui laissant plus rien à attendre. On comprend, dans ces conditions, que le malheur de la conscience puisse consister d’une part à s’éprouver séparée de tout ce qu’elle se représente, fût-ce de l’absolument infini; et d’autre part dans cette sorte d’irrémédiable échec qui consiste à attendre toujours en vain ce qui nous délivrerait d’attendre.
[…]
Or en quoi consiste cette ultimité que toute attente semble nous promettre autant qu’elle nous en sépare? Pour ne plus rien laisser à attendre il n’y a que l’infini (qui n’a pas d’au- delà), l’éternité (pour laquelle rien n’est plus à venir), la perfection (si définitive qu’il n’y faut rien changer), la plénitude (à laquelle on ne peut plus rien ajouter), et la béatitude (que les théologiens identifient à cette plénitude que procure la contemplation de l’infini et de l’éternité).
[…]
Mais il n’y a pas que l’absolu pour ne plus rien nous laisser attendre, il y a aussi la mort. Aussi religions et mythologies les ont-elles si intimement associés qu’elles nous ont fait imaginer la mort comme le tout simple enjambement qui nous ferait passer du relatif à l’absolu, et de l’attente à l’accomplissement. Voilà sans doute pourquoi on ne peut se vouer ni se dévouer à l’absolu sans avoir déjà consenti à s’effacer dans la mort ».
Nicolas Grimaldi.L’effervescence du vide. Grasset, 2012, p. 16 à 20.Ressources (Merci Nadège pour ta recherche)
– L’effervescence du vide (Nicolas Grimaldi) sur le site de Simone Manon par qui nous avons pris connaissance du texte.
– Vidéo (12mn) de Grimaldi sur l’Effervescence du vide.
– « Ce que l’on ne sent pas, on ne le comprend pas. » Une courte interview retranscrite de Grimaldi sur Psychologie
– « L’esprit est l’ultime efflorescence de la vie. » Une interview plus substantielle de Grimaldi dans Le MondeAutres ressources sur Grimaldi
– L’éclatement identitaire (voir la vidéo ou sa retranscription) dans euskonews
– Socrate, le sorcier, par Grimaldi (conférence de 1h.18)
– Grimaldi invité par Enthoven sur Arte sur le thème de l’amour.Autres ressources sur le vide
– Histoire du vide sur Iphilo
– Le vide selon la philosophie chinoise
– Le vide en littérature et philo sur la revue Alkemie15 février 2016 à 18h34 #5332Une sélection de quelques problématiques évoquées lors de notre débat
Le vide dit-il quelque chose de nous ?Ambiance, point de vue général
Environ une quarantaine de personnes étaient présentes.
Le débat, dans sa première partie, est de type « exploratoire », il s’agit d’entendre comment « résonne » la notion de vide pour chacun. Derrière la diversité des expériences et perceptions rapportées, se profilent plusieurs questions : Le vide peut-il nous perdre ? Est-il toujours douloureux ? N’est-il qu’un passage ?
> Dans une seconde partie du débat, il s’agit d’interpréter le vide ressenti, de le comprendre, de voir ce qu’il implique ? Est-il, par exemple, le résultat d’une dislocation du moi ?
> Enfin, dans une dernière partie du débat, nous avons tenté de situer des perspectives, d’élaborer éventuellement du sens, de questionner des méthodologies d’approche du « vide ». Y a-t-il des attitudes-clés à adopter par rapport au vide ? Faut-il gérer le vide comme un espace de disponibilité, comme un lieu où se joue notre créativité ? Faut-il dissocier le sujet (celui qui pense) de son expérience (de ce qui se vit comme étant le vide) pour comprendre le vide ?
> De toute évidence, le vide n’est pas « vide », la conception que nous en avons, et notre manière de le vivre, seraient révélatrices d’une façon d’être au monde.Définition : vide, rien, néant
– La notion de vide existe dans différents domaines tels que la physique, la religion, la psychologie.
– Pour Etienne Klein (physicien, philosophe), le vide, c’est ce qui reste lorsqu’on retire tout, sauf, précise-t-il, qu’on ne peut tout retirer de façon absolue, ainsi les bosons de Higgs, un substrat qui préfigure les particules, demeureront.
– Etienne Klein suggère de retirer tous les bosons de Higgs, et de nommer ce qui reste le « néant ». Le vide, le rien, le néant désigneraient alors des choses très différentes.
– Et Karine, une participante, de préciser : Nous connaissons seulement 4% de l’univers, ils représentent la totalité de la matière que nous sommes capables d’observer (des galaxies jusqu’aux particules de la physique quantique). Il reste par ailleurs 74% d’énergie « noire » et 22% de matières noires qui nous sont totalement inconnus. On qualifie ces matières de « noires », non en raison de leur couleur, mais parce qu’on ne peut ni les voir, ni se les représenter. L’existence de ces « forces » est déduite de calculs savants portant sur la masse et la gravitation de l’univers.
> Le vide des sciences de la physique n’a donc rien à voir avec le vide subjectif, celui que l’on ressent en soi. Le vide est un « bruit », une effervescence non encore traduite dans un langage.Perceptions du vide, témoignages.
– Le vide se présente pour moi comme un mal nécessaire pour se construire, mais que l’on cherche à fuir le plus souvent.
– Les personnes dépressives sont-elles dans une sorte de vide, en ce sens où elles perdent le désir de combler leurs manques ?
– Pour moi le vide se présente comme un néant, c’est un gouffre, une menace, et il faut s’accrocher pour ne pas tomber. Les personnes dépressives se laissent-elles piéger par le vide, ne sauraient-elles pas s’en protéger ?
– J’ai un ami qui s’est suicidé il y a trois jours. De son point de vue, sa vie était vide de sens. Le vide résulte-t-il d’un manque de sens ?
– Je pratique la méditation qui suggère de faire le vide en soi, pour moi, c’est une expérience riche de potentiel.
– De ma propre expérience, le vide s’impose comme une phase qui précède d’éventuelles renaissances.
– Je suis danseuse, j’ai besoin de créer du vide pour me donner au mouvement, à la danse.
Questions :
– Faut-il vivre le vide, ou faut-il s’en protéger ? Pour ne pas sombrer dans le vide, faut-il s’accrocher au réel comme l’alpiniste à sa paroi ?
– Faut-il faire confiance au vide ? Conduit-il systématiquement à une renaissance ?
– Que propose, par exemple, la méditation ? Est-ce simplement une méthode pour apprendre à gérer le vide ? Présuppose-t-elle de se laisser happer par lui ? Faut-il simplement l’accueillir et ne rien faire ?
– A vouloir faire le vide en méditation, ne sommes-nous pas en train de le remplir ? (Rires)Positif ou négatif ?
– On peut ressentir le besoin de faire le vide, notamment lorsqu’il y a un trop-plein. Dès lors, le vide est un besoin, une hygiène de la pensée, il s’agit de se vider la tête.
– En pédagogie, on recommande de ne pas surcharger les programmes, de façon à ce que les enfants investissent le vide au moyen de leur imaginaire. L’espace ainsi aménagé stimule la créativité, et incite la personnalité à se développer.
– L’expérience du vide surgit également à la suite de la réussite d’un projet, après un moment d’accomplissement. Que faire alors du sentiment de satiété, parfois d’écœurement, de perte de désir, ou d’angoisse, qui suit une réalisation ?
– Il y aurait un vide perçu comme positif, et un autre, perçu comme négatif, mais à mon avis, nous ne devrions pas approcher le vide dans ce type d’appréciation.
– D’un point de vue freudien, l’inadéquation entre le désir et l’objet désiré aurait pour origine le traumatisme de la séparation du nourrisson d’avec la mère, de là découlerait une empreinte du vide, l’angoisse que nous en éprouverions. Dans ce cas, le vide contiendrait une mémoire émotionnelle enkystée dans des structures profondes de la psyché.
– Qu’il s’impose de lui-même avec un contenu émotionnel sous-jacent, ou qu’il soit recherché pour ses qualités, le vide offre l’espace nécessaire à l’expression de notre liberté, de notre créativité. Dis-moi comment tu gères ton vide, je te dirai qui tu es.Une expérience inévitable ?
– Clément Rosset (philosophe) fait ce constat d’une distance entre soi et soi-même (entre un réel et son double que l’on fantasme), ce qui oblige à un saut interprétatif. La prise de conscience de cette distance serait à l’origine d’une expérience d’avec le vide.
– A ce stade de la discussion, il semble que l’expérience avec le vide revêt trois aspects :
1° décalé : le décalage serait fonction de la distance que l’on ressent entre nos représentations et la réalité (ne pas être en phase avec notre entourage, le monde alentour),
2° affectif : le vide se présenterait comme un contenu émotionnel non verbalisé, il contiendrait, dans les strates profondes de notre ressenti, des carences affectives,
3° structurel : cela résulte d’une conscience selon laquelle les représentations que nous nous faisons du monde restent, par définition, toujours partielles, incomplètes, biaisées.
– Sommes-nous ainsi faits que nous sommes incapables de construire des représentations adéquates ? Faut-il chercher à réduire cet espace par un effort supplémentaire de réalisation de soi ? Ou faut-il, au contraire, renoncer à s’accomplir, à rechercher une ou des « vérités ultimes » ?
– Pour ne pas prendre le risque de se perdre dans le vide, faut-il se contraindre à ne plus désirer ? Ou, au contraire, faut-il ne pas avoir peur du vide et l’inviter à nous transformer ? Le vide détient-il en lui-même un potentiel de transformation ?
– Il semble que pour répondre à ces questions, il faille s’engager dans une écoute de soi très intime, profonde. Il y aurait des ponts à construire par delà l’espace entre soi et soi-même.
– Il ressort de ces expériences que si l’on gère des sentiments de vide momentané, cela relève d’un savoir-faire ponctuel, qui peut s’apparenter à une succession de points clairsemés dans l’espace. En revanche, si le vide est porteur de sens, et que l’on parvienne à le faire parler , alors une transformation se met éventuellement en place, une perspective semble se dessiner.
– De quoi relève notre expérience avec le vide ?Interpréter, chercher à se positionner
– Selon le philosophe contemporain Nicolas Grimaldi, le vide est corrélé à une attente d’absolu, laquelle suppose de s’affranchir de la peur de la mort.
– Les religions se sont emparées à la fois de ce vide, d’un au-delà, et d’une promesse de vie éternelle. Que reste-t-il à ceux qui n’ont pas de croyances ?
– Au Moyen Age, tout faisait sens : l’imaginaire médiéval, tout entier dirigé vers la transcendance, donnait le sentiment d’un monde « plein ». Aujourd’hui, le vide semble plus radical, absolu. Ne sommes-nous pas bien davantage dépourvus de perspectives ?
– Plus personne n’attend une Jérusalem terrestre, la dernière grande eschatologie est morte (le rêve marxiste est mort).La société du vide
– Le monde hyper-connecté d’aujourd’hui produit trois effets majeurs :
1° l’immédiateté avec laquelle nous avons accès à une masse d’informations génère un brouillage d’interprétations,
2° l’instantanéité avec laquelle nous pouvons répondre à la multiplicité de nos désirs provoque, elle, une saturation des possibles.
3° chaque individu connecté se construit un monde virtuel (l’ensemble de ses connexions), qui constitue sa « référence », à l’égard de laquelle il agit comme si elle était la quasi réalité.
Tout cela conduit paradoxalement à ressentir autant de vide que d’absence de sens. Or, c’est dans l’attente que se construit du sens.
– Est-ce qu’une nouvelle notion de sens, des façons plus originales de concevoir le « vivre ensemble » pourraient émerger de nos sociétés de l’immédiat ? Ou, est-ce que l’incapacité à percevoir du sens exaspère le sentiment de solitude, et souligne celui du chaos ?
– Et si le vide était un substrat ? Par exemple, de même que la page blanche permet à l’écriture de s’y poser, le vide serait la matière première au-dessus de laquelle l’être humain jette des ponts. Ces derniers n’annulent pas le vide, ils permettent de jouer avec lui, de porter un peu plus loin notre regard.Quelques autres interventions en vrac
– Dans nos villes éclairées, on ne voit plus le ciel étoilé. L’absence de beauté, d’émerveillement renforce-t-elle pas le sentiment d’absence de sens ?
– Le vide est un espace de réalisation de soi. Il est un lieu où l’on peut soit s’oublier, soit rencontrer l’autre.
– Nommer ce que contient le vide, est-ce trahir ce qu’il contient ?
– Le vide permet aux potentialités d’exister, toutefois, elles se trouvent vite empêchées, ne serait-ce que par notre empressement à y répondre.
– L’homme est mû par différents besoins (physiques, affectifs, intellectuels, sociaux, religieux,…), et le vide serait fonction de ces différents aspects que l’on ne comble jamais réellement.
– Nous sommes des êtres sociaux, le vide serait une anti-expérience, il témoignerait dans ce cas de l’absence de relation avec l’autre.
Un sentiment personnel ressenti au cours du débat
J’ai eu l’impression que le vide nous faisait danser autour de lui. De par sa nature, il ne se laisse pas facilement saisir, et de par son contenu (effrayant éventuellement), il invite à la fuite. -
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