Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › L’instinct de survie, jusqu’où ? Sujet proposé par Karine pour le lundi 05.01.2015 + mini compte-rendu
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31 décembre 2014 à 21h36 #5163L’instinct de survie, jusqu’où ?
(L’introduction du débat)L’enjeu de notre discussion :
– Si la survie est un instinct, alors cela nous ouvre la porte au meurtre ou à toutes sortes d’exactions pour sauver notre propre existence. Nous sommes complètement dédouanés de rendre des comptes car nous sommes mus par notre instinct, qui serait incontrôlable.
– Si la survie n’est pas un instinct, alors jusqu’où pouvons-nous aller pour sauver notre propre existence ?Une source éventuelle d’inspiration
Dans son livre ‘Les survivants’, Piers Paul Read relate l’histoire d’hommes mus par la volonté (l’instinct) de survie, qui affamés finiront par tomber dans le cannibalisme.
Dans son dernier film ‘Interstellar’, Christopher Nolan nous emporte dans la science-fiction, et raconte comment l’un de ses personnages arrive à trahir et assassiner pour sauver sa propre existence.Question N°1 :
Qu’est-ce que l’instinct au sens rigoureux du terme ?
Proposition de définition :
Il s’agit de comportement inné, uniformes chez tous les êtres vivants d’une même espèce, parfaitement adaptés à leur objectif et non susceptibles d’évoluer sous l’effet d’un apprentissage. L’exemple type est celui de l’araignée qui tisse sa toile hexagonale depuis sa naissance, composés de fils successifs dont alternativement, l’un adhère aux pattes de l’insecte et l’autre non, ce qui explique que l’araignée en question ne se rend pas prisonnière de sa propre toile. L’instinct renvoie donc à des comportements complexes, précis, incarnant une mémoire héréditaire. (Castors qui construisent des barrages, abeilles construisant les alvéoles)Citations / Arguments :
– Selon Nietzsche : l’instinct de survie est la tendance à se conserver, à persister dans son être.
– Selon Pascal : ‘Le bec du perroquet qu’il essuie, bien qu’il soit net ‘
– Selon Marx : ‘Une araignée accomplit des opérations qui ressemblent à celle du tisserand ; une abeille par la construction de ses cellules de cire confond plus d’un architecte. Mais ce qui distingue d’abord le plus mauvais architecte et l’abeille la plus habile, c’est que le premier a construit la cellule dans sa tête avant de la réaliser dans la cire’.
– Selon Marx : ‘Par son instinct un animal est déjà tout ce qu’il peut être, une raison étrangère a déjà pris soin de tout pour lui, mais l’homme doit user de sa propre raison. Il n’a point d’instinct et doit se fixer lui-même le plan de sa conduite’
– Selon Rousseau : ‘Un animal est au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie et son espèce au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans’.Instinct & raison / Instinct & intelligence :
Au fur et à mesure du développement du système nerveux, la part de l’intelligence et donc la capacité d’apprentissage croissent et la part d’instinct ou de comportements innés et rigides décroît.
Une distinction est maintenant faite entre les comportements proprement dit instinctifs et ceux qui découlent de certains actes réflexes modulés par les stimuli de l’environnement (retirer sa main devant une source de chaleur)L’instinct se caractérise par sa rigidité de telle sorte que si la situation change, les gestes ne sont plus appropriés. L’intelligence se reconnaît à sa souplesse, à sa possibilité d’essayer des solutions nouvelles si les précédentes manquent d’efficacité (adaptation, apprentissage)
Si on poursuit cette logique, il semblerait que le seul instinct chez l’homme moderne est la SUCCION. En effet un enfant, dès la naissance doit être capable de téter sa mère, de se nourrir sans passer par le préalable d’un apprentissage en la matière.
L’instinct maternel n’existe pas car il n’est pas inné, il se construit ou non, au fil de l’histoire de chaque femme
L’instinct sexuel n’existe pas, car nous ne faisons pas l’amour juste pour la reproduction (utilisation de préservatifs) – L’amour est un désir, rien à voir avec l’instinct.Arguments contraires :
L’homme n’est-il pas un animal ? Inconsciemment, n’écoutons-nous pas notre instinct ? Faudrait-il plutôt parler d’inconscient ? Renier ses instincts, n’est-ce pas renier une partie intrinsèque de nous-mêmes ?Question N°2 (à la vue des arguments ci-dessus) :
La survie est-elle un instinct ?
1) ‘Il y a bien des choses que le vivant apprécie plus haut que la vie elle-même’ (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, II, « De la victoire sur soi-même »)
Exemple : L’honneur sur le champ de bataille
2) Malgré la volonté de survivre nous pouvons nous suicider volontairement
L’enjeu de notre réponse reste le suivant :
– Si la survie est un instinct, alors cela nous ouvre la porte au meurtre ou à toutes sortes d’exactions pour sauver notre propre existence. Nous sommes complètement dédouanés de rendre des comptes.
– Si la survie n’est pas un instinct, alors jusqu’où pouvons-nous aller pour sauver notre propre existence ?Ressources éventuelles :
– Les antibiotiques, 1ère cause de mortalité dans le monde. Chronique de 3 mn sur France-Culture
– La démographie, demain 10 milliards de personnes (France-Culture)
– Comment s’organisent les groupes, les clans, les tribus…? (une conférence Ted de 16mn, avec sous-titres)
– Nourir l’humanité (conférence de 26mn), Bruno Parmentier__________________________
Le café philo d’Annemasse est ici6 janvier 2015 à 19h07 #5164Mini compte-rendu du débat
Quelques éléments relatifs au contexte du débat– Le débat tendait parfois à s’attarder sur la question : qu’est-ce que l’instinct ? Mais l’enjeu n’a pas été oublié : que ferions-nous au nom de l’instinct ?
– Entre 25 et 30 participants étaient présents.
– Une poignée de nouveaux participants.
– Une ambiance et une écoute plutôt attentive.PréalableDu concept de notion à la notion de concept, question de définition
– Un concept est une représentation mentale d’un objet abstrait ou concret. Il est stabilisé dans une communauté de savoirs à un moment déterminé (concept de poids en physique, de raison en philosophie, de verbe en grammaire). Aussi, rigoureusement parlant, le concept circonscrit clairement son objet, lequel est défini dans le monde savant.
– Une notion est une connaissance intuitive, générale (Le nouveau Petit Robert,2008) qui synthétise les caractères essentiels d’un objet, mais ne prétend pas à la scientificité, ni à une conception rigoureuse.En résumé
Le concept se distingue de la notion qui n’a besoin, étymologiquement parlant, que d’être connue ou reconnue. Le concept, quant à lui, doit être clairement conçu. Les deux, concept et notion, sont des constructions.Mise en garde pour le débat
Ainsi, l’instinct, lorsqu’il fait référence à l’être humain, est davantage une notion, plutôt qu’un concept reconnu par la communauté scientifique. On peut cependant s’entendre sur une définition de l’instinct et le circonscrire dans des limites : Relèvent de l’instinct toutes les réactions innées (non apprises) qui s’apparentent néanmoins à des savoirs (des aptitudes) permettant de vivre ou de survivre.
Exemple (pour l’être humain) : le réflexe de succion, le réflexe de marche, d’agrippement, le réflexe d’apnée, le besoin d’apprentissage, d’attachement….
Bon à savoir : Ces réflexes ( ainsi dénommés, et non pas « instincts ») se perdent rapidement, ou se développent mal lorsqu’ils ne sont pas renforcés par des apprentissages, ou s’ils ne conduisent pas à des satisfactions immédiates.
Par définition, le réflexe utilise des voies nerveuses et forme une boucle entre le canal rachidien/tronc cérébral et les muscles moteurs, il n’effectue aucun détour par les activités cognitives du lobe frontal (siège de la conscience réfléchie).
A vrai dire, tout n’est pas si simple, voir par exemple le rapport entre la peur et les activités cognitives dans notre sujet : Peut-on et faut-il se débarrasser de nos cauchemars ?Difficulté
La notion d’instinct est associée par ailleurs à l’idée de survie, de pulsion, au désir de donner satisfaction à ses besoins premiers, immédiats. La difficulté du débat réside alors en partie dans le choix des termes adéquats. En fait, il faut distinguer l’instinct du réflexe, du besoin irrépressible de se satisfaire, d’un comportement lié au manque d’éducation ou de civilité. L’emploi du mot instinct, étant souvent mal défini quand il se rapporte à l’être humain peut empêcher autrui de comprendre clairement la teneur de notre pensée.
Reformulation de la question de départL’instinct de survie, jusqu’où ? Autrement dit : jusqu’où peut-on se comporter comme un animal (laissant libre cours à ses pulsions) lorsqu’on se trouve en situation de survie ?
Comment le problème s’est posé durant notre débatEn situation de survie, nos comportements s’inscrivent dans un cadre de références sur plusieurs niveaux :
1) La référence du contexte de survie: urgent, non urgent ; situation de long terme, ou de court terme.
Exemples : personnes prises au piège dans un immeuble en feu, rescapés sur un radeau de survie à la dérive en plein océan, prisonniers dans un camp de concentration, groupe de survivants se retrouvant sur une île, population sur un territoire avec des ressources se raréfiant….
2) La référence « instinctive » : De quoi relève cette urgence de vivre qui s’impose soudainement à nos décisions, sans qu’on puisse réfléchir à leurs conséquences ? Est-ce de la pulsion, du réflexe, un manque de contrôle de soi, un manque d’éducation, de la lâcheté, de la pathologie ? Est-ce un désir de se satisfaire le plus rapidement possible ? Est-ce l’héritage de bases instinctives mal construites ?
3) La référence à soi, ou à autrui : Suis-je guidé uniquement par ma propre survie, ou par celle survie du groupe ?
4) La référence « civilisationnelle » : De quelle manière je tiens compte de mon appartenance à l’humanité, de façon à me comporter dignement en chaque occasion ?Autres questions :
– Puis-je réellement savoir de quoi je suis capable en situation de survie si je n’en connais pas l’expérience, ou si je ne me connais pas moi-même ?
– Au nom de sa survie, peut-on abandonner toute valeur ?
– Pouvons-nous vivre ou survivre longtemps dans une communauté sans valeurs ?
– La survie d’un groupe est-elle d’autant plus assurée et stable que ses membres se montrent solidaires les uns des autres ?
– Comment comprendre le suicide ? Est-ce « l’instinct » de survie qui abandonne celui à qui la difficulté de vivre paraît insurmontable ?
– Peut-on pâtir d’un « instinct » de survie trop faible, pour avoir subi des carences en soins, en affection, durant les premières années de la vie ?
– La curiosité et le plaisir d’apprendre sont-ils des « instincts » (des aptitudes innées) ?15 janvier 2015 à 20h47 #5168Lien supplémentaire :
J’ai écouté avec intérêt « Les souffrances de l’âme : comment y remédier avec Boris Cyrulnik, sur France-Culture (Révolution médicale).
Il y évoque la notion d’instinct, et celle de résilience sur plusieurs niveaux en fonction des stades de développement de l’enfant.
Il est interviewé par René Frydman, cliquer ici pour accéder à l’écoute. -
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