Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Marie-Thérèse présente : Nos émotions sont-elles des repères, des vigies ou des obstacles sur les chemins qui mènent à la rationalité ? ce lundi 06.02.2023 + compte rendu
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2 février 2023 à 16h04 #6467Nos émotions sont-elles des repères, des vigies ou des obstacles sur les chemins qui mènent à la rationalité ?
Merci Marie-Thérèse pour l’introduction de ce sujetLes émotions semblent avoir suscité essentiellement de la méfiance dans l’histoire de la philosophie, ceci jusqu’au 18ème siècle, et parfois même au delà . Ainsi les stoïciens par exemple concevaient certaines d’entre elles comme des états mentaux irrationnels, susceptibles de conduire à de faux jugements sur autrui et sur le monde . De nombreux philosophes
ont mis l’accent sur le caractère subjectif, donc trompeur des émotions. Mais pour d’autres, elles constituent une source fiable d’informations, tout en étant dépendantes des valeurs auxquelles on souscrit. Et surtout , elles seraient indispensables à notre aptitude à tisser des liens avec nos semblables.Définition (s)
L’émotion une manifestation de la vie affective, qui se traduit par un état de conscience agréable ou pénible. C’est un trouble d’une durée variable , une sorte de rupture d’équilibre, qui agit tantôt à la façon d’un excitant, tantôt à la façon d’un stupéfiant: ainsi la colère , la peur … peuvent avoir des répercussions sur le corps jusqu’à la syncope. C’est le plus souvent une réaction à une situation inattendue. L’émotion diffère du sentiment qui, lui, s’inscrit dans la durée. Les sentiments sont des états affectifs durables (amour, haine, jalousie, compassion …) qui impliquent une sensibilité d’arrière-plan, un état d’esprit préexistant, par exemple l’aversion pour la souffrance animale.Les émotions de base: joie, tristesse, peur, dégoût, colère, surprise .
Les émotions secondaires: émerveillement, fierté, mépris, envie, gêne, honte, angoisse, excitation, antipathie, culpabilité,
…. et beaucoup d’autres !Quelques citations d’auteurs (librement résumées) , pour alimenter le débat:
Pour Sartre, toute émotion a un sens , et révèle une intention qui est consciente. Nous sommes responsables de nos émotions, elles expriment les choix que nous faisons dans notre « être-au-monde ». Les émotions seraient davantage tributaires de la personne qui les ressent que du monde extérieur vers lequel elles seraient dirigées.
Pour Kant, l’émotion ne laisse pas le sujet parvenir à la réflexion , le sujet « perd l’empire sur lui-même ».
Pour Alain, l’émotion est un affect qui surgit dans le corps sous la pression de la volonté.
Hume insiste sur le fait que la morale serait le fruit non pas de la raison, mais de nos réactions affectives.
Freud met l’accent sur le vécu antérieur du sujet, et bien sûr, sur le rôle de l’inconscient.Suggestions de questions :
– Quel est l’impact du registre émotionnel dans nos décisions ?
– Quelle est la place dévolue à l’émotion dans le compte-rendu des faits divers?
– Dans quels cas faudrait-il opposer émotion et raison ?Des ressources:
–L’émotion en philosophie. La-Philo.
– Emotions. Un article de l’Encyclopédie Philosophique
– Les émotions versus la raison . Un article du Temps 2009.
– France culture . Les émotions: s’y fier ou s’en méfier. Ilaria Gaspari invitée de la Grande Table.————————————-
Règles de base du groupe
– La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
– Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
– On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
– Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
– On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
– On s’efforce de faire progresser le débat.
– Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
—————-Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.———————————–
Le compte rendu du sujet de la semaine passée, introduit et animé par Eva : L’homme a-t-il besoin d’esthétique ? Cliquer ici
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René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)8 février 2023 à 17h44 #6480Compte rendu de quelques éléments du débat.Nous étions 17, on va se croire revenu à l’époque d’avant covid, où la fréquentation du café philo variait entre 15 et 25, atteignant parfois les limites de la salle (plus de 30 en se serrant bien).
Nous avons le plaisir de voir participer Maryline et Philippe, de Chambéry, des adeptes d’une philosophie qu’ils confrontent également à la pratique.Quelques problématiques.
Elles sont nombreuses, mais nous n’identifierons que celles qui nous semblent les plus importantes par rapport à la question :
Nos émotions sont-elles des repères, des vigies ou des obstacles sur les chemins qui mènent à la rationalité ?> Le rapport à l’émotion, dans cette question, se pose comme un regard à ce « quelque chose » qu’est l’émotion. C’est une mise à distance dont on peut se demander si elle fait de l’émotion, un animal étrange et autonome. Quant à la question des repères, elle demande de quoi les émotions seraient-elles le signe, ce qui souligne à nouveau cette mise à distance-méfiance entre l’émotion et la raison, qui la regarde, suspecte. Reformulons la question : les émotions sont-elles des repères, c’est-à-dire, des indicateurs ? Oui, mais par rapport à quoi ?
– Des vigies, autrement dit, des gardiennes, oui mais de qui, de quoi ?
– Des obstacles, mais est-ce des empêchements, des interdits, des épreuves, et par rapport à quoi ?
En tout état de cause, ce qu’est l’émotion, en tant que telle, demeure assez lointain et presque difficile à bien « définir-circonscrire ». De fait, très souvent, les débats sur l’émotion sont presque systématiquement distanciés de celle-ci, comme si l’émotion n’était pas un tout intégré à la raison, aux sentiments, à l’identité, à la physiologie. Or quasiment tout nous montre que l’émotion interpénètre l’être humain dans toutes ses fonctions, comportements et raisons.
Nous essaierons de clarifier cet aspect lors de notre débat tout en évitant le piège de l’analyse, à savoir, en s’efforçant de rendre compte des articulations entre raison et émotion, on tend à les concevoir comme des entités ou facultés « séparées », alors que nous nous accordons de les concevoir dans le même temps, comme intrinsèquement liées.
L’une des autres problématiques soulignées tient à la rationalité mise en avant dans la question. Faut-il effectivement tendre à la rationalité ? Ce qui pose la question d’une possible rationalité pure et si, à nouveau, il nous faut entendre que toute décision doit exclure toute émotion ?
On réalise encore une fois la contradiction qui se tient dans la question (et que Marie-Thérèse a relevé également), il n’empêche que nous comptons sur notre aptitude à discerner les choses pour avancer dans notre débat.Raison et émotion sont-elles coupées l’un de l’autre ?
Nadège a insisté, avec raison, sur cette idée selon laquelle on pouvait penser que l’émotion était séparée de la raison, notamment parce que depuis l’antiquité jusqu’à Kant, les affects sont tenus comme étant des perturbateurs (à l’exception peut-être de Spinoza) de la raison. L’interpénétration « émotion-raison » demande que nous affinions notre vocabulaire lors de nos interventions, car l’idée semble acquise.Une intervention d’un participant : Les émotions sont au fondement de ce par quoi l’être humain institue une morale ; de son côté, la raison, l’explique ou la justifie après coup.
Une réponse lui est apportée : « Si l’on suit ce chemin-là, on sépare d’ores et déjà raison et émotion : l’émotion fonde une morale, que la raison explique, justifie ou met en forme après coup. Or, on tient l’idée selon laquelle, émotions et raisons fonctionnent de concert. »
La remarque est intéressante, car on peut le constater, les débats sont sans fin dans quelque domaine ce que soit : physique, politique, éthique ou dans les relations amoureuses. Les positions des protagonistes peuvent se justifier/s’expliquer sans fin (ou être mise de côté par courtoisie). Or, si la raison était claire et distincte (comme une démonstration cartésienne), la discussion pourrait se résoudre par la solution trouvée, mais ce n’est pas le cas.Exemple : lorsqu’on reprend avec Hannah Arendt que c’est la raison (la rationalité) qui conduit au totalitarisme, comment penser qu’un processus raisonné n’est pas sans émotion ? Il est sous-tendu par une violence faite à l’émotion, laquelle s’exprime, comme par retour, dans le process même de la prise de décision et de sa mise en œuvre.
D’une certaine manière, la raison peut exercer une capacité critique (opérer des distinctions, du discernement), mais fondamentalement, lorsqu’elle s’attache à sa fonction critique (Kant), elle n’est qu’analyse, description. Autrement dit, la raison n’incite à rien, elle est factuelle et démonstrative comme une équation. Quand on dit, par excès, que la raison pousse à la barbarie, c’est l’émotion qui est à l’œuvre (associée à une idéologie), non la raison.Et la sensibilité dans tout ça ?
> Dans ce couple « raison et émotion » que l’on tient ensemble, quelle est la place de la « sensibilité », en tant que perception (aptitude à percevoir avec plus ou moins d’acuité) ?
Ici, il convient de distinguer la sensibilité comme émotivité et comme « perception ». Le premier sens renvoie à l’expression « être à fleur de peau » où le sujet se laisse submerger par ses émotions. Le second sens fait référence à la perception par elle-même. Dans ce cas, il s’agit de distinguer d’où vient le perçu (du dedans ou du dehors), à quoi renvoie le perçu (comme contenu et champ référentiel) et comment on y réagit (réflexivité, méta-conscience). Or, il ne peut y avoir de « conscience » sans un perçu (Husserl), que ce perçu vienne de l’intérieur (les rêves, l’imaginaire, les sentiments, des souvenirs), ou qu’il provienne de l’environnement extérieur à soi via les cinq sens (l’ouïe, la vue, le toucher, le goût, l’odeur) ou qu’il se réfère à tel champ référentiel ou à tel autre.
De fait, c’est une condition de la réflexivité partagée avec autrui qui est en jeu, autrement dit, réunissons-nous les conditions de réflexivité partagée pour penser ? Notre monde est-il suffisamment « commun » pour co-élaborer des pensées, pour éventuellement co-construire quelque chose ? Nous entendons-nous sur une certaine éthique, sur l’idée et la pratique d’une certaine empathie (ou pitié au sens de Rousseau) ? Nous entendons-nous sur l’idée d’une certaine connaissance de soi (de respect de l’intimité de l’autre, de son intra-subjectivité), nous accordons-nous sur des règles de la pensée qui peuvent permettre de nous entendre en raison ? En bref, savons-nous accorder nos raisons et nos émotions pour sortir des impasses d’un non-dialogue et pour ne pas se braquer sur l’axe des rivalités incessantes ?Essayons de reprendre : il y a les émotions, la raison, la perception, mais aussi la société à partir desquels on se construit « soi », ce qui donne lieu, si l’on ne veut pas être réduit qu’à l’une ou l’autre de ces instances (émotion, raison, perception, société et subjectivité) à une intersubjectivité réflexive.
Intersubjectivité réflexive à partir de laquelle, on écoute, questionne, travaille ses émotions, sa/ses raisons dans le cœur des interactions que nous entretenons avec la société, avec autrui, avec soi-même, et au plus intime de soi.
La question qui se pose est, jusqu’où puis-je embrasser l’ensemble et mettre le tout en dialogue dans mon rapport à autrui, à la société ?
Il y a « moi », perçu comme « soi », ce qui comprend la famille, l’éducation, l’école, mais aussi la société, le monde professionnel, jusqu’à, aujourd’hui, embrasser tout le vivant. La question se pose bien de ce que je fais de moi, par le regard que j’ai sur moi, sur les autres, et de la possibilité que j’ai de m’extraire (distancié, être conscient) de ce qui me fait. L’idée de s’orienter dans la pensée donne tout son sens ici (Kant), sauf que nous ouvrons les catégories conceptuelles à l’empirique, au perceptuel, à l’ensemble du vivant.Pour ne pas conclure, je termine avec le résumé de quelques interventions
Le conformisme, souvent reproché mais indubitablement constaté dans tout groupe social, peut aussi bien se référer à René Girard (mimétisme) qu’aux sciences sociales (Milgram). Il laisse supposer que les gens abandonnent tout à la fois, raison et pensée, pour précisément se contenter d’imiter (de suivre le groupe), se soumettre et consentir sans autre réserve au renoncement de son libre arbitre. Mais, que savons-nous de l’intériorité de celui qui, apparemment, se « conforme » au dictat social ? Est-il/elle sur une quelconque réserve, dans une attente ? Si oui, laquelle ? Attend-il sa revanche ? Adhère-t-il aux thèses de la société de consommation ? S’efforce-t-il de s’adapter à ses contraintes en raison de ses priorités du moment ? En bref, il convient d’être prudent par rapport à ce qui semble être du conformiste, il cache des formes de résistance, d’indécision ou de résignation et l’on ne sait vraiment vers où et jusqu’à quel degré penchent les plateaux de sa balance.Les émotions, c’est physiologique.
L’argument du rapport entre émotions et le physiologique (hormone, stress, adrénaline…) revient souvent pour dissocier raison et émotion. Le physiologique serait cause immédiate d’une réaction (réflexe), sans passer par la pensée : ce n’est pas « moi » (je ne me reconnais pas dans ce comportement), j’ai été dépassées par mes émotions, c’est hormonal. Mais, on se demande, dans ce cas, si la conscience ne se défausse pas sur le physiologique, pour s’épargner un questionnement déstabilisant, un risque socio-cognitif ? En effet, le physiologique est-il le moyen par lequel une émotion s’exprime ou est-il cause première ? Il convient de laisser la question ouverte car celles/ceux qui mettent en avant cet argument omettent, semble-t-il, de voir que les réactions que nous avons sont toujours en rapport avec des émotions que nous avons déjà intériorisées. De ce point de vue, les émotions sont premières et elles ne sont activées qu’en fonction des perçus du moment, que le physisologique exprime alors. Certes, on peut comprendre que, si l’on est fatigué, stressé, que l’on n’ait moins de « contrôle » sur ses émotions, mais ce n’est pas pour autant que le physiologique est premier et qu’il commande l’émotion.
Note à part : j’ai remarqué ce triptyque : autorité-soumission-conformisme de ceux/celles qui expliquent tout par le physiologique (ou qui en postulent la cause première). Les solutions qu’elles trouvent aux problèmes n’est jamais dialogique, co-constructif ou inter-subjectif, mais plutôt autoritaire, conformiste, quand elles ne sont pas politiques, voire idéologiques.En résumé : jusqu’où je me fais, jusqu’où suis-je le produit de mon environnement ?
Il y a les émotions, telles qu’elles se présentent à soi (à notre conscience) et le fait qu’elles soient immédiatement impliquées/co-construite (par notre condition d’être vivant, par notre naissance) et en lien avec notre environnement immédiat (première socialisation) et notre seconde socialisation (l’école, l’environnement social). Ainsi, ce que l’on fait de nos émotions est déjà transformé en soi ou par ce qu’en fait la société. Les questions qui se posent : jusqu’où sommes-nous en mesure de nous recomposer au niveau de nos émotions (de les écouter, de les accueillir, de les interpréter), jusqu’où pouvons-nous nous laisser transformer par elles et, par la suite, nous laisser métamorphoser par les réflexivités partagées ?
Sujets corrélés avec compte rendu dans notre forum sur le thème de l’émotion/implication de soi
– Peut-on philosopher à partir de rien (sans culture philosophique) ?
– Le paragraphe du sujet : Raisons et émotions/affects/passions.
– Dans quelle mesure nos émotions nous égarent ou nous informent ?
– La poésie sauvera-t-elle le monde ? (Jean-Pierre Siméon)
– La peur est-elle à l’origine de nos comportements ?————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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