Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Prochain sujet proposé par Gérard : l’écriture peut-elle être une consolation ? Ce lundi 13.02.2023 + compte rendu.
- Ce sujet contient 3 réponses, 1 participant et a été mis à jour pour la dernière fois par René, le il y a 2 années et 3 mois.
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9 février 2023 à 3h04 #6482L’écriture peut-elle être une consolation ?
Merci à Gérard pour sa proposition ci-dessousThème inspiré librement par une émission sur France Culture (« Le Book Club », cliquer ici) parlant du livre « Inconsolable » écrit par Adèle Van Reeth (*), relatant la perte de son père.
Elle y raconte comment elle cherche à reprendre son souffle au moment où son père s’éteint : « Je voudrais retenir le temps pour maintenir mon père en vie et l’accélérer pour pouvoir respirer à nouveau. Mon souffle contre le sien que je refuse de perdre, le mien que je ne trouve plus. »
Elle découvre aussi bien que l’on « n’écrit pas bien lorsque l’on a du chagrin », que la solitude : « La personne qui vit le deuil est seule, même si entourée. » Et puis, elle ne croit pas au pouvoir consolateur de l’écriture : « Quel est le pouvoir de la littérature ? Si l’on n’a plus de chagrin, c’est comme si l’autre n’avait pas existé. » Mais ce n’est pas une culpabilité. Plutôt un courage : « Ni la littérature, ni la philosophie ne consolent. Mais on peut vivre avec le chagrin. »
Et elle évoque une hypothétique douleur primordiale : « Nous sommes tous, depuis notre naissance, inconsolables. »
Et cette dernière phrase évoque une douleur qui va au-delà du deuil suivant la perte d’un être cher. Et puisqu’elle ne croit pas en une transcendance (« Quand on ne croit pas en une âme qui resterait, quand on ne croit pas en un au-delà, ne reste que le vide », à quoi fait elle référence ? Le deuil par rapport à un état antérieur ? La perte du « nid utérin » et de « l’unité » que l’on ne retrouvera jamais plus avec un autre humain ?
Et si l’on croit à la transcendance, pourrait-on évoquer la séparation d’avec un hypothétique monde « d’avant » ? D’avec une « famille » dans l’en-deçà et l’au-delà ? De l’arrachement à un monde supra naturel provoquant cette douleur inconsolable ?
On pourrait également élargir la focale. Parler d’autres types de consolation, par rapport à d’autres douleurs. Ou à d’autres deuils. Il n’y a pas que la perte d’un être cher qui peut être la source de grandes douleurs. Et autant il est légitime de vouloir garder une relation saine avec un(e) disparu(e), autant il est d’autres douleurs qu’il est tout aussi légitime de vouloir comprendre et conjurer :
– Enfance problématique
– Relation toxique
– Vie sous emprise (addiction, secte, église…)
– Amour impossible ou déçu
– Etc..Si l’écriture ne peut pas nous consoler de la perte d’un être cher, selon Adèle Van Reeth, peut-être peut-elle nous aider à surmonter d’autres douleurs qui pourraient rester sans cela inconsolables ?
*) Ex productrice de « Les chemins de la philosophie » sur France Culture et actuelle directrice de France Inter.
Deux ressources :
– Écrire la mort, avec Vinciane Despret et Adèle Van Reeth. France Culture ici.
– Le pouvoir de l’écriture, un regard plutôt anthropo-sociologique via un article du Cairn en libre accès ici.————————————-
Règles de base du groupe
– La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
– Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
– On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
– Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
– On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
– On s’efforce de faire progresser le débat.
– Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
—————-Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.———————————–
Le compte rendu du sujet de la semaine passée, proposé par Marie-Thérèse : Nos émotions sont-elles des repères, des vigies ou des obstacles sur les chemins qui mènent à la rationalité ? Cliquer ici
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René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)12 février 2023 à 7h43 #6483En survolant ce sujet j’ai ressenti, en général, que les sujets étaient très narcissiques .
Ma vision du monde est que l’homme est sur terre le premier sac de matière pensante. L’homme est le résultat de l’agitation tâtonnante et mutante de la matière puis de la vie .
En acceptant cette trajectoire , comment peut on s’introspecter autant sans se préoccuper de pourquoi vivre et quoi faire?Résultat de tâtonnements aveugles , l’homme est imparfait et maladroit et « souffrant » pour un oui ou un non , intérieur ou extérieur. N’a-t-il pas autre chose à penser et proposer comme objectif que … trouver comment s’extraire de ses faiblesses pour ?…
Peut être déjà évoqué à Annemasse-Léman?
12 février 2023 à 8h02 #6484Un extrait de la réponse de Lulu par rapport à ce sujet :
Par ces temps qui courent droit dans les murs sombres, l’écriture me réconforte
Depuis 3ans, j’écris quotidiennement pendant 4 heures, j’en suis à la 400 ème pages que je déroule et enroule infiniment en rouleaux de papier et de pensées compexes, apparaissantes et disparaissantes dans les trois labyrinthes Philo Sciences Art
+ Dyslexique, dysphasique, scolaire maltraitée par des enseignants ignorants ce handicap.Je me rattrape et me venge des horreurs que j’ai pu entendre
La petite LULU a trouvé de la dignité par elle même en s’écrivantLa lecture , l’écriture, la méditation recombinent toutes nos mémoires, nos imaginaires, notre monde intérieur.
l’écriture vaut bien une psychanalyse, quand on ne se juge pas pendant l’écriture.
Laisser flotter les images et les mots.
A 84 ans , dans ma tête je vis bien mieux qu’à 20 ans-, à 3à, à 70….je viens de vivre en 4 ans les meilleures années de ma riche vie !Vive la vie. Vas bien malgré ces temps malheureux
16 février 2023 à 9h23 #6492Compte rendu
L’écriture peut-elle être une consolation ?Nous étions une douzaine de personnes, tous des habitués, bien que certains participants ne viennent que de temps en temps.
Il va de soi qu’écrire a un effet, mais faut-il en attendre de la consolation ? S’il s’avère que l’écrit console, en quoi l’acte d’écrire y parvient-il ? Qu’est-ce que consoler veut dire ?
Quelques questions que nous nous sommes posées :
On console un ami, un enfant, mais se consoler soi, qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce se prendre en pitié soi-même ? Qu’est-ce qui écrit en nous pour consoler quelle part de soi ?
Convient-il de se consoler soi ?Qu’est-ce qui motive l’acte d’écriture ?
Écrire pour soi (pour se libérer), pour chercher un réconfort, pour comprendre ce que l’on vit ?
Comment écrire, sur quel support se lire, éventuellement faire lire ?
Tenir un journal dans le secret de sa chambre, rédiger sur un blog avec la possibilité (l’espoir ?) d’être lu, faire publicité de son écrit, envisager la publication de son écrit, etc. A chacun de ses projets correspond des attentes. Quelle part intervient dans la consolation ? Écrire relève-t-il d’une compensation ? Est-ce une transaction entre son émotion, l’image que l’on a de soi et celle que l’on veut donner à un « public » ?Il est question dans l’introduction d’une part inconsolable de soi, mais sommes-nous effectivement « inconsolables » ? Autrement dit, la part qui est inconsolable en soi peut-elle être généralisée à tout le monde, peut-elle être renvoyée à la condition humaine ?
Ce qui relève de l’inconsolable, l’est-il vraiment ?
L’écrit peut-il faire mieux que simplement « consoler », peut-il réparer, contribuer à transformer, à se transformer ? Quelle différence y a-t-il entre consoler, apaiser, réparer, transformer, se transformer ?
Être consolé, est-ce se maintenir dans l’enfance ?Une ou deux problématiques retenues pour ce compte rendu.
Écrire peut surgir comme un besoin, comme un acte de prise de distance par rapport à l’intensité d’une épreuve. Ce geste est distanciation, sauvegarde, arrachement à l’en-soi. Cette mise à distance est certainement salutaire, elle est comme la conscience qui s’observe elle-même en se déliant sur une feuille de papier. Ce premier geste peut constituer l’amorce d’une pensée réflexive (qui se voit elle-même) en s’écrivant. Le bénéfice de l’écrit peut venir basiquement de l’acte lui-même (de la séparation entre soi et les mots) mais aussi, et par la suite, des réflexions que suscitera l’écrit et l’image de soi à quoi il renvoie. Un dialogue intérieur peut s’instaurer, puis se structurer à partir d’un jeu de renvoi entre l’écrit et le soi.À partir de là, le récit qui s’écrit, se lit et se relit est-il narcissique dans le bon sens du terme ? C’est-à-dire, il donne accès à des prises de conscience de soi, à l’amorce d’une estime de soi et plus loin, à une réflexion qui permet de tisser un fil conducteur, un récit de soi parti du sentiment indistinct de soi. Mais ce regard sur soi est-il narcissique dans le mauvais sens du terme, c’est-à-dire, conduit-il à un attachement excessif à l’en-soi, à se complaire dans l’image endolorie de soi-même, à s’auto-hypnotiser dans ses spéculations ?
À partir de quel moment se construit-on une image de soi pour se complaire dans l’en-soi ? À partir de quel moment se révèle-t-on par son écrit pour accéder à une autonomie de pensée, à une claire conscience de soi, à un devenir soi ? Dans ce second cas, l’écrit y suffit-il ou ne marque-t-il que des étapes le long d’un processus d’appropriation de soi ?Plus qu’écrire, vivre.
Selon que l’acte initial d’écrire s’inscrit dans la durée, on peut s’interroger sur l’élan qui le motive et sur l’évolution de ce mouvement. La question se pose de savoir jusqu’à quel point l’acte initial d’écrire nourrit le projet tout du long de sa force vitale ? Jusqu’à quel point l’élan initial conserve-t-il ses propriétés émergentes, créatrice d’existence, et selon quel guide, tuteur, valeur ? Nous l’avons vu, l’acte d’écrire correspond à une distanciation, mais qu’advient-il de cette distanciation ou plutôt, de l’objet distancié (le soi ou le « je ») ? Comment cette distanciation change-t-elle le regard sur soi ? Comment d’autres motivations s’embranchent-elles sur l’élan initial ? Supposons que nous soyons sous le coup d’un traumatisme, que l’acte d’écrire permette une première prise de recul, ne faut-il pas, par la suite, mettre en œuvre les émotions, les faire agir dans nos interactions pour amorcer des changements ? Certes, l’écrit peut se concevoir par épisode, dont certains correspondent à la seule prise de distance, d’autres à de la réparation ou encore, à une stimulation intellectuelle. Et peut-être faut-il du temps pour s’approprier soi-même par l’écrit ?
L’écrit peut ainsi se concevoir comme un relai que l’on active plus ou moins régulièrement sur le fil continu d’un devenir intérieur. C’est toute la question qui se pose dans la subjective phénoménologie du sujet : sait-il ce qu’il fait par son écrit ? Jusqu’où l’écrit conduit-il à s’impliquer davantage dans la vie ou à maintenir une distance entre soi et la vie ? Jusqu’où, la distance opérée invite-t-elle à vivre davantage et pleinement sa vie, à suivre un accomplissement ? Ou, à l’inverse, se peut-il que la distance opérée entretienne un rapport artificiel à la vie, maintienne dans la suffisance d’être soi, dans une nostalgie à vivre, un apitoiement, une hyper-intellection stérile, une non-vie ?Qu’est-ce qui est inconsolable ?
On tient presque pour acquis qu’il y a un mal « existentiel », c’est-à-dire, la douleur d’être séparé. Pour autant, la crise existentielle révèle l’angoisse de la liberté, et elle n’est pas nécessairement, affliction, tristesse, douleur, car la liberté renvoie à la responsabilité. Donc, d’où vient la douleur de la séparation ? Selon la psychanalyse (et les psychologies en général), elle relève des traumas de l’enfance. Mais supposons une enfance idéale, des parents aimants et attentifs, y a-t-il lieu d’être « existentiellement » blessé ? De quelle manière l’angoisse de séparation est-elle proportionnelle à l’insécurité ressentie dans la petite enfance ? De fait, quelle consolation faut-il chercher à ce genre de mal ? Et quel peut être le pouvoir de l’écrit dans ce cas ?
Je ne crois pas que nous ayons répondu à cette question ce soir ou que nous ayons vraiment pour l’instant, le pouvoir d’y répondre. Mais, si nous sommes le produit de nos relations-interactions, n’est-ce pas en les réinvestissant, que l’on poursuit un développement, que l’on tend vers davantage d’accomplissement ?Pour conclure.
Il y avait deux questions essentiellement dans notre débat. Le pouvoir effectif de l’écrit et le fait de statuer sur ce qui est inconsolable en soi. On salue l’acte de distanciation, mais on ignore ce qui se passe à sa suite, ce que fait le sujet de ce dont il devient conscient. Peut-il aller jusqu’à s’inventer son histoire, voire se mentir pour se protéger de son mal ? Mais il peut, tout autant, prendre conscience de son « soi », de son implication à vivre, d’un appel à se transformer et à agir sur le monde.
Quant à l’inconsolable, aux douleurs existentielles, qu’il faudrait peut-être soigner, endurer, réparer, cela pose des questions d’ordre psychologique plutôt que philosophique. On se demande en effet, si cette dernière peut statuer sur la vérité ontologique de l’être à partir de sa phénoménologie. C’est l’un des problèmes de la phénoménologie, les choses qui se présentent à soi peuvent n’avoir comme vérité d’être qu’une caractéristique déclarative.
Une citation retenue (Rémy) : l’inconsolable renvoie à une carence d’humanité (non à un statut de vérité sur l’être).
Autrement posée : qu’a-t-il manqué d’humanité pour laisser croire à ceux qui étaient inconsolables, qu’ils l’étaient réellement par essence, et non par subjectivité ?Autre question : faut-il, pour se consoler (se résigner ?), se mentir à soi-même et/ou refuser toute forme de transcendance/transformation, y compris laïque ?
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René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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