Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Que signifie être à sa place ? Présenté par Elisabeth, d’après l’auteure Claire Marin de « Etre à sa place » ce lundi 17.10.2022 + compte rendu de séance

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  • #6378
    René
    Maître des clés
      « Que signifie « être à sa place ? »
      Merci à Elisabeth pour la proposition de son sujet ci-dessous :

      Selon le dictionnaire, être à sa place, c’est être adapté à sa fonction, à son milieu, aux circonstances, à sa position, se conduire comme son état l’exige. C’est être admis dans un groupe, un ensemble, être classé dans une catégorie, une condition, une situation. Toutefois, la polysémie du mot et ses multiples déclinaisons (« ne pas tenir en place, se mettre à la place, faire de la place, rester à sa place, se faire une place au soleil, remettre à sa place, faire du sur place, prendre la place, laisser place etc …) attestent que la notion de place n’est pas si limpide ni figée qu’il y paraît.
      Ainsi, dans son rapport au temps, aux autres et aux lieux, chacun vit- il dans un balancement perpétuel entre enracinement, assignation à résidence identitaire et déplacement, dans une hésitation entre cocon et prison, entre fidélité et trahison, entre plaisir et angoisse de choisir sa place, la questionner et parfois refuser celle qui lui est assignée, avec la volonté de se réinventer. Existe-il une place pour chaque être comme on dit « une place pour chaque chose et chaque chose à sa place » ?
      Jusqu’à quel point peut-on choisir sa place (réelle, symbolique, affective, sociale) et l’habiter le plus pleinement possible comme incarnation de la liberté personnelle, dans une société qui nous impose souvent plusieurs places aux enjeux parfois contradictoires ? Trouver sa place, est-ce une quête sans fin, une exploration de sa singularité et son authenticité, un élan pour trouver sa voie et sa voix au sein des espaces divers dans lesquels chacun évolue ?
      Comment sait-on que l’on est à sa place ? Faut-il se fier au sens que l’on y trouve, à la dynamique qui nous guide ? Faut-il accepter que l’identité soit construite sur le relationnel, la réciprocité, donc quelque part hors de soi, et soit multiple et changeante mais occupant un soi intime qui serait une vérité personnelle ? Etre à sa place, est-ce renoncer à la place forte, au camp retranché, déjouer ce qui semble donné ou ordonné pour choisir le mouvement et accepter que cette place soit toujours remise en question ?
      « Aussi faut-il balayer le rêve d’une place à soi, conçue comme une possession, un espace exclusif, d’une place fixe. Le danger est bien d’enclore son terrain, comme le disait déjà Rousseau. La question de la place, qui est aussi celle de l’identité, est disjointe de la propriété, de l’avoir. Notre espace est au-dedans. Nous le transportons intérieurement. Mais espace vivant et plastique, il risque de se rétrécir s’il ne se nourrit pas du rêve d’autres lieux. On n’a peut-être besoin que d’une zone neutre, d’un terrain vague ou d’un espace vierge pour créer cette place en nous. »
      « Cette place à laquelle j’aspire, ce lieu à la fois réel et intérieur, où je me sens à ma place, est celui où se recoupent partiellement, sans jamais coïncider, les cercles de mes appartenances revendiquées, de mes « propriétés » souples et ouvertes à la rencontre et à l’événement. On ne trouve pas sa place sans s’insérer dans un espace social, on ne se sent pas à sa place dans une place assignée, on change de place au fil de l’existence. Il est finalement autant question de déplacement que de place. »
      Claire Marin (« Etre à sa place », éditions de l’observatoire)

      Rappel des questions du texte ci-dessous :
      – Jusqu’à quel point peut-on choisir sa place (réelle, symbolique, affective, sociale) et l’habiter le plus pleinement possible comme incarnation de la liberté personnelle, dans une société qui nous impose souvent plusieurs places aux enjeux parfois contradictoires ?
      – Trouver sa place, est-ce une quête sans fin, une exploration de sa singularité et son authenticité, un élan pour trouver sa voie et sa voix au sein des espaces divers dans lesquels chacun évolue ?
      – Comment sait-on que l’on est à sa place ? Faut-il se fier au sens que l’on y trouve, à la dynamique qui nous guide ? Faut-il accepter que l’identité soit construite sur le relationnel, la réciprocité, donc quelque part hors de soi, et soit multiple et changeante mais occupant un soi intime qui serait une vérité personnelle ?
      – Etre à sa place, est-ce renoncer à la place forte, au camp retranché, déjouer ce qui semble donné ou ordonné pour choisir le mouvement et accepter que cette place soit toujours remise en question ?

      Ressources :
      Interview de Claire Marin : Etre à sa place. Librairie Mollat.
      Invitée de la Grande Table, Claire Marin sur France Culture pour Etre à sa place.
      Peut-on vraiment être à sa place ? Avec la philosophe de l’intime Claire Marin. Sous le soleil de Platon. France Inter.

      Deux ou trois citations de l’ouvrage :
      « Ils ne savent pas toujours pourquoi ils partent, ni pourquoi cette place leur paraît désormais intenable. Ils sentent confusément, ils ressentent presque physiquement qu’il n’est plus possible de rester là. Le départ, la fuite même parfois, s’imposent comme une nécessité, aussi inexplicable qu’impérative. On trouvera sans doute des raisons, des justifications, mais ce besoin d’ailleurs n’a pas d’autre nom que celui de liberté. »

      « La question de la place est aussi celle de la revanche, de la réparation ou de la réconciliation. Avec les autres, avec soi, avec une histoire à trous, dont les blancs sont une source de souffrance.  »

      « Nous ne restons jamais en place, même si nos voyages sont parfois immobiles et le lointain intérieur. »

      ————————-
      René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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      #6380
      René
      Maître des clés
        Compte rendu de notre séance : Que signifie « être à sa place « 

        Nous étions près d’une quinzaine de personnes…
        Le sujet est bien posé, Elisabeth et Claire Marin, l’auteure dont elle s’inspire, ont parfaitement bien cerné les lieux et structuré les enjeux qui posent la question d’être à sa place :
        – Comment le passé (la famille) nous assigne à une place par surcroit (espérance, attente, exigence) ou par absence (parents immatures, enfance non désirée, lutte avec la fratrie)
        – Comment l’école, la société, les lois, les modèles de réussite conditionnent la place que l’on veut prendre ou précisément celle que nous ne voulons pas, délibérément ou par réaction
        – Comment, dans nos interactions au quotidien, nous prenons notre place, nous la cédons librement ou la subissons, impuissants
        – Comment, le long d’une vie, et par les différentes fonctions que nous endossons, nous assumons notre place ou pas.

        D’une certaine manière, tous les aspects et les moments de la vie évoqués sont concernés par l’idée d’être à sa place, et chacun de ces moments comprend des enjeux spécifiques.

        Mais quel est le problème général ?
        Celui d’une identité à faire « advenir » en de multiples lieux, en de multiples moments et en raison d’un sentiment propre à chacun, puisque chacun est unique par le temps, l’espace qu’il l’occupe et par l’intériorité (ce qu’il se dit en lui-même), ce qu’il va construire.
        Il y a ainsi un double enjeu :
        Celui posé par la question de la conscience de soi : ai-je conscience de ce par quoi je suis animé ? De quoi suis-je l’enjeu dans mon environnement ? Comment je m’extrais de moi-même pour m’observer ?
        Et celui que pose la question de se changer soi-même : Puis-je m’arracher à moi-même ? Jusqu’où suis-je libre de moi ? Puis-je me reconfigurer ? Puis-je devenir « maître de ma vie » ?

        Pour le dire autrement, être libre de son destin suppose être libre de ses mouvements et de ses choix dans un milieu familial qui conditionne notre affect et nos pensées. Mais c’est aussi être libre de choisir son destin dans une société qui contraint l’individu en raison de son parcours scolaire, de ses réseaux sociaux, de son niveau de revenu, d’une configuration politique, d’un environnement médiatique, etc.
        Une méta question se pose : à partir de quoi, de quels référents je me désaliène, sans pour autant m’aliéner à d’autres référents (groupe sociaux) ?

        Quelques pièges, quelques difficultés :
        – Se sentir entravé par la famille, la fratrie, se sentir limité/contraint par la société
        – Se sentir prisonnier de soi, de sa situation et ne pas sentir du tout d’où on peut « naître » de soi-même.
        Des situations qui peuvent poser question.
        Je peux tirer profit de ma situation sociale en tant que « ministre », avocat, médecin… et me croire à ma place parce qu’elle est gratifiante sur le plan du regard social, mais mal me comporter par rapport à mes engagements déontologiques et citoyens. Ce qui pose la question des référents, au nom desquels j’estime être à ma place.
        Ainsi, se sentir « gratifié » peut être l’un des éléments qui participe à se sentir à sa place, mais il s’agit d’observer les motivations et les intérêts pour saisir ce qui est mis en valeur : un statut, un niveau de revenu ou toute autre valeur sociale arbitraire.
        Et, par ailleurs, je peux, par exemple, en tant que médecin, faire le choix de ne pas suivre les injonctions d’une médecine d’État, et me retrouver suspendu par l’Ordre des médecins (la médecine aux ordres), ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas à ma place. En effet, je peux trouver un ancrage plus profond et plus intime en m’attachant à des valeurs, à une science, à une éthique plutôt qu’à des intérêts.

        Dernière question : faut-il mourir à ce que l’on est pour pouvoir re-naître ?

        L’étranger de Camus se sent à sa place sur l’échafaud… alors qu’il a été comme « étranger » au monde, à tout ce qui s’y vit et à lui-même jusqu’à ce moment fatidique. C’est comme si la mort était le rdv que Meursault (l’étranger) se donnait à lui-même, parce qu’il avait à la rencontrer en lui-même. (Une interprétation suggérée par Michael).
        Du point de vue jungien, cela peut poser la question de la « synchronicité » : les événements que nous rencontrons font écho à une rencontre avec soi, avec son ombre, voire avec un « soi universel » dans un processus d’individuation.

        Du point de vue philosophique et psychologique (ou pragmatique).

        Dans l’introduction, la question est posée : Faut-il accepter que l’identité soit construite sur le relationnel (…) donc quelque part, un hors de soi ?
        Mais du point de vue psychologique, anthropologique et pragmatique, la question ne se pose pas : l’être humain se construit nécessairement par et dans des interactions, elles-mêmes inscrites dans un tissu relationnel plus ou moins resserré et diversifié autour de lui. De là découle la difficulté à se désaliéner de ce par quoi on a été construit. Toutefois, se construire à partir d’un hors de soi se présente comme un fait établi. En effet, l’ontologie de l’être ne repose pas « en soi », telle une essence. L’être est en co-construction permanente avec son environnement. Après s’être distingué (désidentifié) de son environnement, il s’agit de trouver ce par quoi on va se construire, et plus loin, en raison de quoi on va se construire (but, valeur, perspective).
        Mais, du point de vue « psychologique », les théories de l’attachement soulignent la nécessité d’une identification à des tuteurs d’attachement, ce qui met en exergue la contrainte « corporelle » (physiologique, neurologique) et le sentiment de soi par lesquels on peut se sentir lié, « captif » dans son corps même. Ce qui souligne l’impossibilité de se construire de facto, à partir d’un hors de soi. On est comme arrimé à des ancrages. En dernier lieu, cela pose la question de la valeur et des conditions de possibilité d’une réflexivité lucide, éthique, autrement dit, celle d’être l’observateur-critique de sa propre pensée et de sa vie. C’est toute la question de la philosophie, mais aussi celle des sciences humaines en général.

        En guise de conclusion :
        Il n’est pas impossible d’espérer se « libérer » du passé, de la société et des places par lesquelles on se trouve assigné, mais il n’est pas impossible non plus que l’on se trouve à ce point contraint, que l’on ne puisse se libèrer qu’en passant par des phases de sur-réaction :
        – en adhérant à toute sorte de contre-mouvements : féminisme, wokisme et autres progressismes qui feront la une de nos médias,
        – en s’ostracisant, en se marginalisant,
        – en adhérant à des idéologies extrémistes, en s’investissant dans des projets « hors sol », en croyant en des utopies, en fuyant le réel
        – ou encore, en faisant usage de statut ou de posture sociale dont on trahit la fonction et l’éthique (soignant, livreur, professeur, statisticien…) en fonction des intérêts personnels qu’on en tire.
        En bref, tout est possible par les déplacements que chacun va « opérer » selon sa conscience du moment. Mais peut-on dire que l’on est à sa place lorsqu’on suit ses inclinations sans en questionner les causes et les raisons ?
        La question finale qui se pose étant celle des « référents » éthiques et des compétences intellectuelles par lesquelles on s’oblige à rendre compte à soi-même et à autrui. Autrement dit, dans le cours de nos échanges avec autrui, les questions qui se posent sont : quelle valeur, quelle place, quelle pratique je donne au dialogue dans mes interactions de sorte qu’elles ouvrent sur une pratique éthique et lucide ? Quelle place je donne à l’autre tout en prenant la mienne dans mon quotidien, dans mes pratiques relationnelles et professionnelles ? Quelle place je donne à une réflexivité partagée, à apprendre, chemin faisant, de soi et de l’autre ?

        La question s’est posée de savoir si l’on est à sa place en ayant reçu une « éducation idéale » ? Mais dont on se demande si elle existe.

        Quelques références collatérales :
        Nastassja Marin. Anthropoloque, élève de Philippe Descola.
        Nastassja a étudié les autochtones d’Alaska d’aujourd’hui, mais pas n’importe lesquels :
        > ceux qui ont fait sécession avec les éleveurs de rennes et autres tribus/chasseurs que la Russie a éduqués, sédentarisés et dont elle a folklorisé les rites. Ainsi, qu’est-ce qu’être à sa place quand on est autochtone et que l’on refuse la place assignée par le pays colonisateur ?
        Pour la petite histoire, Nastassja a dû se battre contre un ours, elle a manqué y laisser la vie, on l’appelle depuis la femme-ours, mais qu’est-ce que cela veut dire pour l’anthropologue ? Voir l’entretien ici. Durée 1h03
        Philippe Descola : Qui a inventé la nature. Les idées larges. Arte. Durée 26mn.
        Les quatre grands modèles d’interaction des humains avec la nature sont très bien expliqués. : naturaliste, totémiste, animiste et analogique
        Bruno Latour. La série des onze entretiens sur Arte, d’une douzaine de minutes chacun.

        Peut-on être à sa place sans prendre celle des autres ?
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        René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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