Suffit-il d’être insoumis pour être libre ? Sujet suggéré par Pascal pour lundi 8 mai 2017 + compte-rendu + 3 schémas

[René]

Suffit-il d’être insoumis pour être libre ?
Question, en lien avec l’actualité, mais s’appuyant ci-dessous sur des extraits de texte de H. Laborit, L’éloge de la fuite (1976)

«Le bénéfice d’une production industrielle accrue n’est souvent ainsi qu’un bénéfice à court terme et un drame à longue échéance […]. D’autres conséquences de la croissance ont été également invoquées : épuisement des ressources énergétiques, accumulation accélérée de déchets non recyclables dans les grands cycles de la matière. C’est ainsi que la recherche de la dominance à travers le mythe de la production des biens consommables, exigeant aussi de fortes concentrations humaines au sein des mégalopoles modernes, polluant au profit surtout des dominants (puisque c’est la recherche de la dominance qui en est la motivation) des biens collectifs, comme l’air, l’eau, l’espace bâti et l’espace sonore, arrive aujourd’hui à constituer une réelle menace pour l’espèce humaine tout entière.
 […]
Cette angoisse qui prend à la gorge tout être humain dès qu’il a conscience d’être et qui ne le quitte qu’à la mort, les sociétés contemporaines font un effort constant pour l’occulter car elle gêne leur finalité de production. On peut se demander même si ce n’est pas un facteur important de l’établissement des hiérarchies. Quand on est préoccupé par sa promotion sociale on l’est moins par la signification de sa propre existence et l’on redevient plus efficace dans un processus de production. On peut se demander si celui qui réussit le mieux dans un tel processus, celui dont l’élévation hiérarchique est la mieux assurée, n’est pas finalement l’être le moins humain, le moins conscient, le plus aveugle, je serais tenté de dire le moins ‘‘intelligent’’, le plus automatisé, le plus satisfait, le plus gratifié par sa dominance, le moins inquiet, le véritable ‘‘imbécile heureux’’
 […]
«Il faut signaler que si les systèmes hiérarchiques sont sources de situations conflictuelles et d’angoisse, ils sont aussi une source de sécurisation. La création d’automatismes conceptuels et comportementaux d’origine socioculturelle permet l’occultation de l’angoisse existentielle en fournissant des grilles explicatives simples, des chefs responsables et sécurisants et le plus souvent de plus petits que soi à paternaliser pour assouvir le narcissisme congénital. Malheureusement, elle châtre toute créativité en punissant tout projet non conforme au système de valeurs imposé par les dominants.

Citations.
Il serait souhaitable de remplacer la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité » par « Conscience, connaissance, imagination” 
H. Laborit (1914-1995)

“Parce que nous avons appris à connaitre les lois de la gravitation, nous avons appris à voler et à nous libérer de l’attraction terrestre. De même, c’est par la compréhension des lois qui régissent son système nerveux que l’on pourra espérer, un jour, voir l’humanité se transformer” 
H. Laborit.

« Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. »
Etienne de la Boétie.

Ressources
– Penser l’insoumission avec Boris Laborit, Roman Ligneul, blogueur dans Libération
– Eloge de la fuite. Site dédié à la pensée d’Henri Laborit.
– Ressources sur la pensée d’Henri Laborit. Nouvelle grille
– Tzvetan Todorov, humaniste et insoumis. La grande table, France Culture.
– Insoumission politique. Bretrand Vergely (philosophe chrétien contre le mariage pour tous) La Croix.
– Discours de la servitude volontaire. Le gai savoir (Enthoven)

[René]

Suffit-il d’être insoumis pour être libre ?
Compte-rendu

Environ 35 personnes étaient présentes.
Le débat était assez riche et vivant.

Une synthèse de nos échanges

L’idée de soumission ne doit pas se confondre avec :
– la pleine acceptation d’une situation,
– l’adhésion à un contrat, qui suppose que l’on accepte les contres-parties d’un échange,
– la compliance à un protocole médical ou bancaire, qui suppose également que l’on se plie à des procédures en rapport avec des accords établis préalablement.

Ces termes ci-dessus prédéfinissent des modalités relationnelles qui s’inscrivent dans un cadre dont on accepte, délibérément ou pas, les fonctions de régulation. Le conformisme, lui, laisse entrevoir une forme d’acceptation résignée, et où l’idée même de se révolter semble avoir été étouffée.

De son côté, l’insoumis ne peut revendiquer sa liberté au nom d’une impulsivité qu’il ne sait contenir, car dans ce cas, ce n’est plus de sa liberté dont il peut se revendiquer, mais de l’impossibilité à canaliser ses impulsions.

Enfin, une forme absolue de soumission ou de liberté serait impossible car, précisément, nous existons toujours en référence à une humanité (à une famille, à un groupe, à une société) avec lesquels nous établissons des cadres, plus ou moins consentis, d’échanges qui structurent une socialisation.

La soumission consentie : il en a été question en ce sens où elle peut être motivée au nom d’une valeur qui nous dépasserait en tant qu’individu. Par exemple, le croyant (en une religion ou le fervent démocrate), l’un se soumet à la volonté divine et l’autre au texte de sa Constitution, les deux s’inscriraient dans le cadre d’un échange où, psychologiquement et socialement, ils en tireraient un bénéfice qui dépasse le cadre étroit de leurs intérêts à court termes. Le religieux s’imposerait une discipline au nom de la recherche d’une plus grande paix, d’un plus grand amour. Le démocrate accepterait les résultats d’un vote contraire à son choix au nom des principes d’une égalité entre tous et de la majorité.
> C’est dans cette zone intime entre intérêt pour soi-même et intérêt pour le groupe social que se lovent des valeurs qui nous attachent à un groupe de référence. Ces valeurs nous ancrent dans un devenir, elles nous inscrivent dans un horizon de sens qui donne à notre vie, sa profondeur, sa hauteur de vue et ses attachements.

Conclusion : peut-être faut-il réserver le terme de soumission lorsque celle-ci engendre des frustrations telles qu’elles nourrissent des colères, de l’indignation, des révoltes… et ce, d’autant plus que l’on se trouverait privé, ou empêché d’exprimer sa liberté de penser. Sinon, il revient à chacun de savoir précisément si les multiples formes de contrat qui le lient à l’humanité relève d’une pleine acceptation, d’une liberté créatrice, ou d’une soumission amer et résignée.

Une autre question : Les cadres de valeurs qui impriment un sens à notre vie évoluent au cours de l’histoire. Aujourd’hui, nous sommes sensibles à la souffrance des animaux, les affaires liées à la corruption nous révoltent, et nous souhaitons voir évoluer notre démocratie. De façon plus fondamentale, les pratiques de notre justice, et celles de notre éthique en général demandent à être repensées. Nous nous demandons ce qui nous conduit à ne plus accepter ce qui, hier, l’était encore. Aussi, est-il bon de laisser émerger en soi une forme d’insoumission, mais tout en étant attentifs aux valeurs et aux principes qui les sous-tendent. Ces valeurs et ces principes sont-ils plus grands, plus inclusifs, plus profondément humains que ceux qui nous animaient hier ?

Si le schéma ci-dessous n’est pas clair, cliquer ici. Merci.

En tant qu’individu, nous nous référons tous à différents groupes d’appartenance (familial, professionnel, amical, associatif, …) et aux cadres de valeurs qui régissent ces groupes.
De quelle nature est la relation que tu entretiens avec ton groupe de référence ?

De quelle liberté, de quelle soumission es-tu ?
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De quelles valeurs s’inspire ton insoumission ?
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