Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Sujet libre ce lundi 01.08.2022 à 19h00 chez Maitre Kanter. Annemasse + compte rendu : Comprendre, est-ce pardonner ?

2 sujets de 1 à 2 (sur un total de 2)
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  • #6337
    René
    Maître des clés
      Rencontres philo pour le monde d’aujourd’hui, tous les lundis à 19h00
      chez Maitre Kanter, place de l’Hotel de Ville. 74100 ANNEMASSE

      Ce lundi 01.08, le sujet sera choisi parmi les questions proposées par les participants

      Par un vote ou un échange ouvert, on retient la question qui semble motiver l’attention des participants présents.
      – On cherche à dégager les enjeux de la question : en quoi il y a problème (sur un plan existentiel, relationnel, social, politique) et on interroge les dimensions de vérité et d’éthique que nos propositions soulèvent. C’est là où on commence à philosopher vraiment.
      – De fait, nous faisons philosophie par une capacité à mener une enquête, et par celle à questionner les raisons et les références par lesquelles on pense. (Quelques éléments d’explications sur la philo dans les cafés philo, ici)

      – Nous avons remarqué que, lorsque des participants s’impliquaient dans les questions qu’ils posaient et, parfois, lorsqu’ils avaient sous le coude, une citation, un témoignage de ce qui les avait interpelés dans la semaine, ou une question à laquelle il pensait déjà, que ce contexte facilitait parfois la prise de décision du sujet retenu.
      – Apprendre à réfléchir ensemble pour dégager un problème et formuler une question s’inscrit dans une démarche première en philosophie.
      – La formule traditionnelle des cafés philo où un participant souhaite préparer une question avec quelques ressources est toujours ouverte, il suffit de l’inscrire dans l’agenda et de l’introduire en une poignée de minutes le jour venu.
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      Le compte rendu du sujet de la semaine passée :
      Dans quelle mesure nos émotions nous égarent ou nous informent ? Cliquer ici.
      + Un thème qui pose question : Pourquoi si peu de philosophes critique la gestion de nos crises d’aujourd’hui ?
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      Règles de base du groupe
      – La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
      – Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.

      Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
      – On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
      – Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
      – On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
      – On s’efforce de faire progresser le débat.
      – Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.

      Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.

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      René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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      #6343
      René
      Maître des clés
        Sujet proposé par Cécile : Comprendre, est-ce pardonner ?
        Un compte rendu

        Nous étions 8 personnes. Le débat a fonctionné presque comme une discussion à bâton rompu… J’essaie ci-dessous, de clarifier les thématiques et problématiques exprimées.

        Trois aspects de notre enquête sont à distinguer :

        1° Celui de la polysémie des mots, comprendre et pardon :
        Qu’est-ce que comprendre ? Comprendre avec la logique et/ou comprendre (accepter) avec empathie.
        De quoi se compose le par-don ? Qu’implique le pardon du côté de l’offenseur et du côté de l’offensé ?

        2° L’aspect lié à une multiplicité de situations :
        – les situations avec morts et atrocités : attentat, guerre,
        – les phénomènes sociétaux privés, tragiques, traumatisants : pédophilie, féminicide, crimes, sadismes, racisme ambiant (relève de la justice pénale/civile)
        – les situations du quotidien dans la vie professionnelle et/ou privée : les trahisons, les tromperies, les déceptions, les manques à la déontologie et des façons de traiter des élèves, des patients, des clients, ou sa famille, des amis, des voisins.

        3° Le lieu de l’interaction, de ce qui s’échange entre les personnes :
        Que l’on comprenne ou pas, que l’on pardonne ou pas, comment réagir et/ou répondre à ces situations-problèmes où l’on comprend l’autre, mais où le pardon résiste à se faire entendre ? De quoi est faite l’hésitation qui me traverse ? De quelle philosophie/éthique relève la réponse que j’apporte, soit comme offenseur, soit comme offensé, soit encore d’une non-réponse ?

        Des définitions
        Comprendre : du latin cum (« avec ») et prehensio (« saisir ») : saisir ensemble, embrasser par la pensée. L’idée de comprendre se rapporte à l’approche herméneutique (interprétation des signes + valeur du raisonnement + mise en perspective d’un sens). Cette perspective privilégie la question du « pourquoi » sur celle du « comment », laquelle se restreint à l’explication du processus, qui s’inscrit comme une étape de la compréhension du pourquoi.
        La nature, la physique, les sciences s’expliquent, il en dérive des lois, mais la vie psychique se comprend, car elle est animée par des mobiles, des raisons, des fins (téléologie du grec, telos : finalité = étude des fins). Comprendre est englobant et suppose pouvoir s’expliquer.

        Pardon, la définition du dictionnaire : le fait de ne pas tenir rigueur d’une faute ; rémission d’une offense.
        Questions qui se posent : peut-on pardonner sans comprendre ? Pardonner est-ce oublier ? Est-ce éviter la confrontation ? Est-ce se soumettre ? Peut-on pardonner sans demander à l’offenseur des explications ?
        Pardonner fait-il nécessairement recours au religieux ? Pardonne-t-on pour ne pas avoir à souffrir du ressentiment ? Dans ce cas, pardonne-t-on pour « soi » (pour se retrouver en paix avec soi) ?
        Autrement dit, si pardonner, c’est rendre quitte une relation (l’ardoise des contentieux est effacée), l’offensé et l’offenseur ont-ils appris quelque chose de leur expérience partagée ? Vont-ils s’offenser à nouveau ici ou ailleurs, et dans d’autres situations ? De quel travail/questionnement obligent les interactions qui impliquent une blessure des liens, des déceptions, des trahisons ? Qu’exige le dépassement des blessures ?

        Autres questions posées par les participants :
        – « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser » (Manuel Valls) et Jankelevitch : « Le pardon est mort dans les camps de la mort. » Dans les deux cas, demande Rémi : Qui a peur ? Autrement dit : à quelle transformation/résistance se heurte le pardon, l’oubli ou la prise de conscience (une compréhension élargie) ?
        – Je peux comprendre avec la tête, mais ne pas me remettre d’une blessure avec les sentiments. Puis-je dans ce cas, pardonner ?
        – Selon Arendt, Eichmann abandonne son « pouvoir de penser » pour n’obéir qu’aux ordres. Ce qui est en cause dans les actes qu’il a commis n’est donc pas tant sa méchanceté que sa « médiocrité » – d’où l’expression « banalité du mal. Pourtant, Eichmann adhérait sans réserve à la politique d’Hitler.
        Une réponse : il s’agit pour Arendt de condamner un système politique (une idéologie, un totalitarisme), et non un « individu » (sa psychologie) ou encore un système judiciaire. Il s’agissait également de ramener ces crimes génocidaires à une cause immanente, par opposition à une métaphysique du mal (une sorte de religion inversée).

        Une ou deux problématiques :
        Les crimes, les attentats, les guerres créent des traumatismes à vie, le mal ne peut trouver « réparation » puisqu’il a entraîné la perte de vies humaines, par définition, uniques, irremplaçables. Pourquoi ces crimes devraient-ils être pardonnés, alors qu’ils ne peuvent être « réparés » ? En effet, les compensations infligées à un criminel ou des indemnités reçues par les victimes (l’entourage notamment) ne constituent pas réparation, c’est plutôt une sorte de crédit-temps pour différer/amoindrir la peine. Mais que devient le différé de sa douleur ?

        Une référence, selon Hannah Arendt (La condition de l’homme moderne) : Par la faculté de promettre, l’homme peut résister à l’indétermination du futur. Par la faculté de pardonner, il peut dénouer les liens du passé.
        En effet, selon l’auteure, le passé et son cortège de malheurs ne sauraient être effacés puisque le temps écoulé est par nature impossible à modifier. Mais la mémoire du mal (qui est littéralement, en russe, la rancune : zlopamiatsivo) peut être «travaillée». Ainsi, contre le remords qui emprisonne le coupable dans le passé irréversible, contre la rancune qui enferme la victime dans la même fatalité, surgissent la possibilité du repentir et l’éventualité du pardon qui défont les nœuds du passé. Le mal n’est pas aboli, mais sa mémoire ne paralyse plus ceux qui l’ont subi, ni ceux qui l’ont commis. Sources : Le pardon, notion philosophique ou notion religieuse ? Jacques Ricot

        Les crimes sadiques et de masse sont-ils aussi impardonnables que ceux commis par des pays en guerre, puisque tout crime est irréparable ?
        – Une réponse : sont à distinguer les crimes individuels (qu’ils soient passionnels, crapuleux ou pathologiques), les crimes de guerres (interdits et condamnables) et les crimes contre l’humanité (attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile):. (Voir Amnesty International ici)
        Ainsi, le crime est, par définition, irréparable, mais il est indissociable d’un contexte (privé, publique et politique) et d’une manière de procéder (degré de cruauté et rapport de quantité). Tout crime, subjectivement, releve d’un absolu (être perçu comme tel), toutefois, il demeure relatif à un contexte, à une époque, incidemment à une idéologie. C’est à ce niveau, en raison du fait que le « crime » s’inscrit dans un système politique, endossé par toute une population, qu’il ne peut y avoir de « pardon inconditionnel » (de type oblatif, d’inspiration mystico-religieuse) et, encore moins, sans demande d’explication.

        Une citation de Jankelevitch :
        « Quand le coupable est gras, bien nourri, prospère, enrichi par le « miracle économique », le pardon est une sinistre plaisanterie. Non, le pardon n’est pas fait pour les porcs et pour leurs truies. Le pardon est mort dans les camps de la mort ». « L’imprescriptible ». (Entretien ici, 45mn, 1980)

        Autre question que nous n’avons pas posée : à quelle condition se soigne-t-on de ses blessures, de son passé ?

        Trois autres questions /situations brièvement entraperçues :
        La fidélité et l’infidélité dans un couple : à quelle condition sont-ils sujets à pardon, et selon quelle modalité de compréhension ?
        – Qui comprend qui, selon quelle explication (justification ?), selon quelle philosophie ou du couple ou de l’être humain ?
        – Comment s’acquitter de ses engagements lorsqu’on se rend compte qu’ils ne sont plus « actuels » et/ou pertinents avec notre « conscience » d’aujourd’hui ?
        Une réponse en trois points :
        1° S’efforcer de rendre compte à soi-même. Comment je me l’explique ? Ce qui est fonction de mes traumas, de mon éducation, de mon sentiment d’accomplissement – de ma quête perso.
        2° Ce dont je rends compte à mon conjoint. Ce que je lui explique ou pas. Comment je prends en compte sa vulnérabilité, ses attentes, et mes engagements ? En gros : penser en se mettant à la place de l’autre, tout en distinguant/reconnaissant la sienne de l’autre (voir plus bas la référence à Kant).
        3° Sur le long terme, de quelle philosophie de l’être humain je porte le projet ? A distinguer : à quelle idée de l’être humain ma philosophie renvoie si je continue dans la même voie, vs à quelle philosophie je souhaite qu’elle renvoie, si je prends le risque de la mettre à l’épreuve – de penser par moi-même en faisant le choix d’éprouver ce que je suis ?

        – J’estime que mon médecin ne m’a pas soigné durant la covid, or il connaissait le traitement pour l’avoir utilisé avant qu’il n’ait été interdit par le gouvernement. Mais il a préféré suivre les directives du gouvernement.
        Qui trahit-il ? Lui-même et son serment, le patient, la médecine et la science ? Au nom de quelles valeurs supérieures les trahit-il ?
        Puis-je faire encore confiance à mon médecin, mais aussi à la médecine ? Et que dire du gouvernement qui prétend s’occuper de ma santé, tout en s’accoquinant dans le secret avec les lobbys ?

        – Je suis professeur, je m’intéresse à mes élèves, mon éthique est de contribuer à la formation d’une pensée instruite, critique, autonome et coopérative. Or les conditions de travail + celles nécessaires à l’apprentissage des élèves + le programme éducatif, rien de tout cela ne semble très pertinent.
        Question : à qui, à quoi dois-je me fier pour élaborer le guide de mon éthique ?

        En guise de conclusion
        Trois ordres ou registres de la pensée sont mobilisées dans cette question : comprendre, est-ce pardonner ?
        1° Une compréhension que l’on indexe à ce qui vit dans son intimité (l’intra subjectif, le rapport à soi, à ses sentiments, à une manière de les questionner)
        2° Une éthique du comportement et de la relation à l’autre : comment je me permets d’exister, de faire valoir ma différence, tout en permettant à l’autre de faire valoir la sienne ?
        3° A quelle philosophie de vie et de l’humanité renvoie mon comportement et ma visée : puis-je faire de ma maxime une généralité soutenable pour l’humanité ? (Chacun reconnaîtra les trois maximes de Kant, voir ici dans Philolog). :
        1° Penser par soi-même
        2° Penser en se mettant à la place de tout autre
        3° Penser en accord avec soi (sans se mettre en contradiction).

        Ces trois ordres de pensée sont à mettre à l’épreuve dans une diversité de situations : privées, publique, professionnelle et politique.


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        René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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