Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Sujet libre ce lundi 09.01.2023 à 19h00 chez Maitre Kanter. Annemasse. Compte rendu : Une justice relative aux lieux et aux époques peut-elle prétendre à une forme d’universalité ?
- Ce sujet contient 2 réponses, 1 participant et a été mis à jour pour la dernière fois par René, le il y a 2 années et 3 mois.
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6 janvier 2023 à 0h57 #6428Rencontres philo pour le monde d’aujourd’hui, tous les lundis à 19h00
chez Maitre Kanter, place de l’Hotel de Ville. 74100 ANNEMASSECe lundi 09/01/2023, le sujet sera choisi parmi les questions proposées par les participants
Par un vote ou un échange ouvert, on retient la question qui semble motiver l’attention des participants présents.
– On cherche à dégager les enjeux de la question : en quoi il y a problème (sur un plan existentiel, relationnel, social, politique) et on interroge les dimensions de vérité et d’éthique que nos propositions soulèvent. C’est là où on commence à philosopher vraiment.
– De fait, nous faisons philosophie par une capacité à mener une enquête, et par celle à questionner les raisons et les références par lesquelles on pense. (Quelques éléments d’explications sur la philo dans les cafés philo, ici)– Nous avons remarqué que, lorsque des participants s’impliquaient dans les questions qu’ils posaient et, parfois, lorsqu’ils avaient sous le coude, une citation, un témoignage de ce qui les avait interpelés dans la semaine, ou une question à laquelle ils pensaient déjà, que ce contexte facilitait parfois la prise de décision du sujet retenu.
– Apprendre à réfléchir ensemble pour dégager un problème et formuler une question s’inscrit dans une démarche première en philosophie.
– La formule traditionnelle des cafés philo où un participant souhaite préparer une question avec quelques ressources est toujours ouverte, il suffit de l’inscrire dans l’agenda et de l’introduire en une poignée de minutes le jour venu.
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Le compte rendu du sujet de la semaine passée, suggéré par Marie-Thérèse : Transparence, authenticité et vérité, jusqu’où l’une ou l’autre de ces valeurs se trouve-t-elle compromise dans les relations humaines ? Cliquer ici
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Règles de base du groupe
– La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
– Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
– On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
– Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
– On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
– On s’efforce de faire progresser le débat.
– Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
—————-Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)12 janvier 2023 à 13h26 #6439Une justice relative aux lieux et aux époques peut-elle prétendre à une forme d’universalité ?
Question suggérée initialement par ArnaudNous étions 8 participants, dont un nouveau qui s’est exprimé. Tout au long de notre échange, le groupe était plutôt en mode exploration, tâtonnement, plutôt que sachant où il allait se diriger.
La justice dans ses fonctions de production de droit, de codes moraux, de normes est relative aux lieux et aux époques, les mêmes faits ne sont pas jugés de la même manière ici et là. De fait, selon les domaines dans lesquelles elle s’applique (religieux, législatif, économique, les mœurs, les pratiques sociales et, dernièrement, l’environnement, la biodiversité, le CO2, etc.), le sentiment de justice et les règles qui la président sont d’une telle diversité, que la question d’une universalité peut laisser sceptique. Pourtant, l’unité bio-anthropologique de l’être humain (on appartient tous à la même espèce) et le fait qu’il ne peut exister de culture, de civilisation ou de groupe ethnique sans justice témoigne du besoin universel de tout groupe humain de s’organiser autour d’une forme de justice qui lui convient, c’est-à-dire, celle qui lui permettra de s’inscrire dans un développement pérenne. Ainsi notre question se précise : la justice, un besoin partagé par tous dans des formes très diversifiées, peut-elle être guidée par des principes universels ?
Autres questions que nous nous sommes posées :
Qui « écrit » la justice ?
De quoi est-elle la sauvegarde ?
Quel but vise-t-elle ? (par quel moyen, selon quelle mesure ?)
Entre la manière d’être conçue, appliquée et rendue, la justice peut-elle s’améliorer ?Qui écrit la justice, en vue de quoi et dans quel domaine ?
La question demande que l’on clarifie ce que l’on entend par « justice ». Dans le sens commun, et tout au long de notre échange, les participants s’expriment autant sur l’intuition de ce qui est juste, que sur le sentiment de justice (affect). On entend également que la justice est comprise comme étant celle du législateur et il a été question, dans l’évolution de notre débat, de la faculté cognitive du jugement (aptitude à procéder à des jugements selon des critères). Dans tous les cas, il y a une question de balance (d’équilibre) dans un rapport d’échange (quelque chose est échangé), à partir d’un jugement (peser-évaluer), qui actionne un système de réponses récompense / punition (gratification / déception) au sein d’une société (groupe ethno-social). Exemples :
– La justice divine présume une justice « non humaine » laquelle dénonce de présupposés bons ou mauvais comportements en référence à des critères « divins », proclamés par des églises, via des intercesseurs humains. C’est une justice plutôt verticale.
– La justice du système judiciaire est supposée protéger la société des crimes et délits (les petits et les grands). Justice plutôt répressive/punitive pour rendre, réparer, compenser le mal commis. Elle est également assez verticale.
– La justice distributive suppose une redistribution des richesses en raison des aléas de la vie et des écarts de richesse (idée d’équité, d’égalité des richesses). Justice plutôt basée sur le statut matériel et des rapports de pouvoir/privilège, de domination/soumission selon ce que les écarts de richesse permettent.
– La justice morale (mariage pour tous, tolérance à différentes mœurs) façonne davantage une normativité des comportements. Se pose ici la question de ce qui, concrètement, s’échange (quoi, entre qui, en vue de quoi) ? C’est une justice plutôt sociale, plus horizontale.On observe ainsi que, si la justice traduit bien une valeur d’échange (la pesée entre deux maux) en faveur d’une récompense ou d’une punition par Thémis (fille d’Ouranos et de Gaïa, le ciel et la terre) qui tranche par le glaive selon un jugement impartial (yeux bandés), tout pose question : les valeurs d’échange, l’impartialité du jugement, le but (l’équilibre ?) visé et, dernières questions, de quel visage est Thémis (qui parle à travers elle) et en vue d’établir quelle justice ?
Les valeurs d’échange dans une balance triangulaire
– Nous ne nous sommes pas beaucoup attardés sur la justice divine, probablement parce que notre salut se situe moins là-haut, qu’ici-bas, dans la société comme elle va.
– La justice judiciaire (en France, références en bas de page) semble toujours condamner plus lourdement les délits, sans que l’on observe, dans le registre de la punition et des condamnations, une baisse des récidives, un progrès du côté des réparations ou de celui d’une justice restauratrice (rétablir les liens, des réconciliations et la réintégration dans la société, tant du côté des accusés que celui des victimes qui restent traumatisées Ce qui n’est pas vrai en Suède (voir ici) qui compte deux fois moins de délinquants et de récidivistes qu’en France.
– la justice morale (les mœurs, les pratiques sociales), elle fait sens en la manière que, dans nos démocraties, il est proclamé que tout le monde peut prétendre aux mêmes droits, quelles que soient ses mœurs, tant qu’elles ne nuisent pas à autrui. Ce niveau d’application de la justice est surtout une façon plus parcimonieuse d’apporter du droit partout où il fait encore défaut (Me too, mariage pour tous, procréation assistée, euthanasie…). Il y a débat, mais, il n’y a pas dans ses thématiques de pétition qui puisse prétendre à l’universalité. En effet, cette sensibilité au droit individuel et à sa profondeur de sens dans la pratique des mœurs est conditionnée par l’histoire, une culture, des niveaux de vie économique, d’éducation, d’émancipation par rapport au groupe. Par exemple, dans d’autres cultures, la question du genre dans le couple est vue comme valeur de complémentarité plutôt que comme rapport de domination/soumission devant s’orienter vers une indifférenciation/assimilation en une diversité de prototypes de genre (queer, LGBT, indifférencié, hermaphrodite, homosexualité, etc). En occident, sur ces thèmes, le droit s’individualise, sans que l’on voie son pendant, le devoir, rétablir l’équilibre vers davantage de sens de l’autre.
– La justice distributive (en France et dans tout l’Occident apparemment) semble de moins en moins effective, car les écarts de richesse vont grandissant, tandis que la précarité augmente partout. À noter également que le contexte général de l’économie (toujours plus de PIB et de consommation) va à l’encontre de la pression environnementale et climatique. En effet, cette dernière exige plus de sobriété, plus de solidarité, plus d’attention pour les choses du commun (qualité de l’eau, de l’air, de la terre, de la biodiversité), pour souligner ce qui importe en termes d’intérêt général, plutôt qu’en termes d’individualisme.Essayons de conclure en répondant aux questions posées :
Qui « écrit » la justice ?
Ceux qui ont le pouvoir de l’écrire, le législateur, mais indirectement aussi, les influenceurs, les associations civiles (Association Anticor), les lanceurs d’alerte, le citoyen quand ils font savoir l’absence de justice et la dénoncent. Le sentiment de justice peut alors faire appel à une dignité humaine. Cette sensibilité reconnue en soi peut être vue comme ce qui fonde plus de droit/de justice au bénéfice d’une plus grande souveraineté intérieure, d’une plus grande liberté de penser par soi-même et de plus d’égard reconnu à autrui.De quoi la justice est-elle la sauvegarde ?
D’un ordre social entendu non comme étant figé dans des institutions inamovibles, mais comme une architecture permettant que s’expriment les libertés de chacun selon la diversité des domaines (politique, religieux, économiques, mœurs…). Une structure susceptible de permettre des ajustements autant verticaux qu’horizontaux en raison d’une sensibilité humaniste qui évolue en fonction des sociétés qui se transforment. La direction de cette évolution « éthique » entendrait promouvoir un horizon où l’idée d’une dignité reste susceptible de s’épanouir, de s’approfondir et de s’appliquer mieux partout, précisément pour rencontrer dans un dialogue avec l’autre, sa potentiel universalité.Quel but vise-t-elle ? (par quel moyen, selon quelle mesure ?)
Plus d’égalité de droit de sorte à éviter les abus de pouvoir. Les buts sont, de ce point de vue, fonction de ce qu’il y a à réparer/compenser en raison des injustices observées ici ou là. Dans ce cadre, on comprend que les buts et les objectifs ne doivent pas se trouver en contradiction avec les moyens employés (Kant, la fin et les moyens). Peut-on promouvoir la démocratie par l’envoi massif d’armes ou en faisant une guerre ? Non, n’est-ce pas ? On promeut la démocratie par davantage de démocratie. On promeut la liberté de la presse par davantage de liberté de presse, non par des censures. La liberté est entendue ici en termes de qualité, non en termes de quantité d’information.La question de l’universalité. Il y a l’idée que le besoin de justice nous « dépasse, puisqu’elle donne un cadre à nos relations et, dans le même temps, elle touche à ce qu’il y a de plus profond en nous, le sentiment de dignité. Le besoin de justice et le sentiment de dignité, voire d’empathie pour autrui qui lui est associé, nous dépassent également, car aucun de nous ne se fait seul. Aucun ne nait sans qu’il bénéficie d’un héritage via l’environnement éducatif, social, économique et institutionnel du pays qui le voit naître. De fait, nous sommes redevables de ce dont nous héritons (nonosbtant que cet héritage puisse être un poids, voire un handicap). Mais plus loin que l’idée de redevabilité qui peut supposer que l’on se rende quitte de sa dette, la question se pose de ce que la société permet à notre tour de donner, de promouvoir, d’offrir dans le présent et aux générations futures. En effet, pour qu’autrui et les générations futures ne se sentent pas seulement redevables (voire coupables ou écrasés par une dette indue), mais qu’ils soient plutôt reconnaissants de ce qu’on leur transmet, il doit être fait en sorte d’offrir ce qui permet, à ces générations montantes, d’aller vers davantage de dignité, d’autonomie, de savoir, que ce que nous-mêmes avons reçu. Sinon, où peut aller l’idée d’une progrès (moral, intellectuel, voire spirituel) si nous n’y veillons pas ? Si nous ne montrons pas que la justice et le sentiment de dignité intérieur, qui lui est intrinséquement associé (merci Eva), sont au centre d’une préoccupation fondamentale à l’épanouissement durable de nos sociétés ?
Une ou deux ressources à titre d’information :
– La clochardisation de la justice. Une interview d’Olivia Dufour sur Elucid Média
– Justice sociale (De Rawls à Amartya Sen). Geneviève Fontaine. Université Populaire de Marseille.
Genevière Fontaine, cherheure et professeure d’université qui promeut une justice transformatrice de la société (réelle, pragmatique), et qui soit écologique, démocratique, souhaitable, soutenable et juste.
– Alain Supiot à l’académie Royale de Belgique. Il n’est pas de paix durable sans justice sociale. Conférence (passer les présentation, aller à 27mn)
—————-Deux tableaux du site Elucid Media (ici)
Ci-dessous, le budget de la justice judiciaire. Celui de la justice comprend également le financement de la détention.
Le taux de suicide dans les prisons françaises
Peut-on apporter de la dignité là où l’on traite les gens sans dignité ? Non, n’est-ce pas ?
Les moyens ne peuvent être contraire aux fins visés.Ci-dessous, une post réflexion.
13 janvier 2023 à 12h43 #6442Une post réflexion :
Nous en n’avons peu ou pas parlé, mais l’idée d’une justice reconnue par une communauté de vie (société ou groupe social) participe à l’identité de groupe, à un sentiment d’appartenance. Or, tous les problèmes identitaires qu’agitent les politiques ont précisément pour cause l’absence de justice (un sentiment de), l’inégalité des chances, le surcroît de discriminations.
De fait, quelle honte tous ces politiques qui jouent avec les questions d’identité, alors qu’une justice pensée en terme d’horizon idéal offre de bien meilleures perspectives de régulation, de résolution, de dépassement-transcendance des tensions identitaires qui enfièvrent les communautés.Peut-être, jusqu’à Dominique de Villepin, la France pouvait se revendiquer « LA » patrie des Droits de l’Homme, mais le peut-elle en s’alignant derrière l’Otan pour la guerre en Ukraine (je le dis sans excuser la Russie), le peut-elle en vendant des avions de chasse à l’Arabie Saoudite qui bombarde le Yémen ?
Peut-elle se revendiquer patrie des droits de l’Homme avec un système pénitencier qui est l’un des pires de l’OCDE ?
Le peut-elle encore avec un président (et des médias) qui se débrouillent pour placer Lepen ou Zémmour dans le premier cercle de l’opposition ?————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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