Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Sujet libre ce lundi 13.03.2023 à 19h00 chez Maitre Kanter. Annemasse + compte rendu : le cerveau crée-t-il du sens jusqu’à la folie ?

2 sujets de 1 à 2 (sur un total de 2)
  • Auteur
    Messages
  • #6538
    René
    Maître des clés
      Rencontres philo pour le monde d’aujourd’hui, tous les lundis à 19h00
      chez Maitre Kanter, place de l’Hotel de Ville. 74100 ANNEMASSE

      Ce lundi 13/03/2023, le sujet sera choisi parmi les questions proposées par les participants

      Par un vote ou un échange ouvert, on retient la question qui semble motiver l’attention des participants présents.
      – On cherche à dégager les enjeux de la question : en quoi il y a problème (sur un plan existentiel, relationnel, social, politique) et on interroge les dimensions de vérité et d’éthique que nos propositions soulèvent. C’est là où on commence à philosopher vraiment.
      – De fait, nous faisons philosophie par une capacité à mener une enquête, et par celle à questionner les raisons et les références par lesquelles on pense. (Quelques éléments d’explications sur la philo dans les cafés philo, ici)

      – Nous avons remarqué que, lorsque des participants s’impliquaient dans les questions qu’ils posaient et, parfois, lorsqu’ils avaient sous le coude, une citation, un témoignage de ce qui les avait interpelés dans la semaine, ou une question à laquelle ils pensaient déjà, que ce contexte facilitait parfois la prise de décision du sujet retenu.
      – Apprendre à réfléchir ensemble pour dégager un problème et formuler une question s’inscrit dans une démarche première en philosophie.
      – La formule traditionnelle des cafés philo où un participant souhaite préparer une question avec quelques ressources est toujours ouverte, il suffit de l’inscrire dans l’agenda et de l’introduire en une poignée de minutes le jour venu.
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      Le compte rendu du sujet de la semaine passée : De quelle norme ou singularité relève l’intime de soi ? Cliquer ici
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      Règles de base du groupe
      – La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
      – Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.

      Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
      – On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
      – Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
      – On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
      – On s’efforce de faire progresser le débat.
      – Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
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      Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.

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      René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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      #6543
      René
      Maître des clés
        Compte rendu : le cerveau crée-t-il du sens jusqu’à la folie ?

        Nous étions une douzaine avec une participante qui était nouvelle.

        Nos questions de départ et l’évolution de celles-ci.
        – Le cerveau crée-t-il du sens ? (Thématique générale sur la semaine du cerveau Unige ici)
        – Qu’est-ce que recouvre cette activité cognitive qui consiste à tout généraliser ?
        – Postulat pour la question suivante : Nous ne décidons pas de ce que notre cerveau perçoit du monde, de fait, le monde ne nous appartient pas. Explication : le monde ne nous appartient pas en termes d’appropriation cognitive, puisque nous dépendons des limites de ce que notre cerveau nous autorise à percevoir, de même que des limites relatives à l’environnement dans lequel nous sommes. En revanche, notre monde intérieur peut nous appartenir, puisqu’il vient de nous (de notre imaginaire, de nos idées, de notre intellect). Question : les modalités de sens nous appartiennent-elles davantage lorsqu’elles sont intérieures ? Sont-elles plus fiables, peut-on mieux les maîtriser, précisément, car elles viennent de soi, de l’intérieur ?
        – Dernières questions : à partir de quel moment peut-on dire qu’on est fou ? Certaines questions peuvent-elles nous rendre fou ? Ouvrent-elles un espace de folie en soi ? Sommes-nous fous dans nos profondeurs ?
        – Est-ce que nos profondeurs expriment une raison (un sens) d’un autre ordre ?

        De l’ensemble de ces questions, qui permettent à la tablée réunie ce soir de considérer les questions des uns et des autres, émerge deux cas d’exemple proposé par Mickael :

        1° Jean-Claude Romand se fait passer pour un médecin de l’OMS durant 18 ans, il tue sa famille (père et mère, sa femme et ses enfants) qui était sur le point de découvrir la vérité et tente de se suicider. Il est sauvé in extremis. Condamné à perpétuité avec peine de sureté (22 ans), il se retrouve en liberté conditionnelle après avoir purgé sa peine. Depuis 2019, il est hébergé dans un monastère. Pour les uns, il a vécu une conversion religieuse, pour les autres, c’est un menteur invétéré, il manipule son monde. On s’accorde néanmoins à dire que son mensonge l’a poussé à un acte de « folie ». (fiche wiki ici)

        2° Sabina Spielrein, internée avec des toc et des symptômes d’hystérie, devient la patiente de Carl Gustave Jung, puis l’amie, voire l’amante (?). Elle se confie à Freud, devient psychiatre et théorise l’idée de pulsion de mort (dont Freud tait en partie l’origine). Toujours est-il qu’elle est « tirée » de sa « folie » par une écoute ou/et une prise en charge thérapeutique.
        > ps. De ce triangle Jung-Freud-Spielrein sera concocté la théorie du transfert / contre-transfert.

        La question de la folie et de sa définition occupera une place importante de notre débat, elle renvoie à Canguilhem (le normal et le pathologique) et oblige à opérer des distinctions entre des comportements marginaux, incompréhensibles, étranges, amoraux, cruels, etc., autrement dit, par rapport à tout ce qui nous semble hors « norme » (hors normalité entendue d’après nos critères/habitudes). Pour traiter de ces questions, des niveaux de difficultés sont à reconnaître : où mettre le curseur du normal et de la folie ? Est-ce à soi-même, à l’entourage ou à la société (loi, tradition) de le faire ? Quelle part chacun prend-il dans sa folie, soit parce qu’on la porte en soi, soit parce qu’on ne fait rien pour s’en protéger, pour s’en sortir (abus de drogue, d’écran, absence de discipline pour acquérir un contrôle de soi, un contrôle mental, une hygiène de vie physique et psychologique ?) Plus généralement, est-ce la société qui rend fou en raison de ses injonctions ou faut-il s’en prendre à notre incapacité à nous en désaliéner ?

        La plupart d’entre nous faisons la distinction entre, qualifier spontanément quelqu’un de fou car on ne comprend pas sa raison d’agir et, par ailleurs, le fait d’être véritablement « fou », c’est-à-dire, en souffrance de son propre désordre psychique, pouvant se mettre soi-même et autrui en danger, faisant l’objet d’un diagnostic médical non contesté, et dépendant de soins ou d’un traitement.

        Une ou deux problématiques :
        Eva propose une définition de la folie : c’est ne plus réussir à objectiver ce qui relève de ses perceptions intérieures de ce qui relève de la réalité objective et extérieure à soi-même. En conséquence, c’est ne plus faire la différence entre son monde et de celui des autres, ce qui s’accompagne d’une perte de sens de ce qui est commun et partagé avec autrui.
        Deux objections sont proposées :
        1° Des personnes font état de perceptions assimilées à des paréidolies (voir des formes, des visages, des textes dans les nuages, les constellations, les arbres…), pourtant, elles ne sont pas folles. Si le corps médical les écoute, plutôt qu’il ne les juge, ces personnes peuvent évoquer et réfléchir à leurs perceptions en témoignant de leur compétence analytique.
        2° Des politiques, des médecins, des économistes, des professeurs, etc. toute profession ou mission publique qui expose autrui aux conséquences de leurs choix en exposant des populations à la mise en oeuvre pratique et objectivée de leurs idées (des idéologies plus ou moins avouées), ces personnes peuvent se montrer enclines à sacrifier des populations pour tester leur programme. On peut les estimer folles (psychopathes) car elles se montrent insensibles aux alertes, aux révoltes et aux souffrances/sacrifices qu’elles font subir aux autres.

        Une ou deux problématiques bien illustrées par les cas d’exemple : Jean-Claude Romand et Sabina Spielrein.

        Jean-Claude Romand est-il fou ou hyper rationnel ? Il est fou car il tue sa famille pour que ses mensonges ne soient pas démasqués. Il fait payer aux autres la fausseté de son monde, alors qu’il est l’auteur de la tromperie dans laquelle il les a mis. C’est une folie du point de vue de l’éthique : tout pour lui et de son point de vue, rien pour les autres et de leur point de vue.
        Mais, du point de vue de la psychologie des affects, il voulait honorer le sacrifice de ses parents et répondre à l’image qu’ils attendaient de lui. Sa folie s’explique par une volonté des affects : ne pas décevoir l’attente qu’il imagine peser sur lui.
        Résumons-nous : sa folie tient dans un déni, celui de la contribution permanente et persistante à son propre mensonge pour ne pas se retrouver face au vide abyssal de l’image qu’il donne aux autres.
        A sa manière, il est rationnel, il tue tout le monde et il sauve la « face », en ce sens où il n’a plus de compte à rendre à ceux à qui il a menti.
        De ce point de vue, des questions restent en suspens : son suicide raté est-il un acte manqué, une mise en scène soigneusement calculée ? Est-ce un ultime mensonge qui le sauve de même que sa supposée conversion religieuse et son séjour chez des bénédictins ? Qui peut trancher entre son honnêteté, sa folie et la mise en œuvre d’une rationalité qui témoigne de sa perversité ? La conviction que chacun se forme est la sienne, n’est-ce pas ? Mais peut-on estimer la pesée de ce qui se joue en lui tant qu’il ne sera pas entendu ? Or sa liberté est conditionnée par l’engagement qu’il ne fasse pas témoignage (publicité) de ses crimes. (Voir référence en bas de message)

        Sabina Spielrein est internée en raison de ses T.O.C. et symptômes « hystériques » en 1904 à Zurich.
        A l’aune de nos connaissances d’aujourd’hui, on peut dire qu’elle est comme emmurée dans le corset médical et normatif de la société de son époque. Elle recouvre une santé mentale grâce à une approche thérapeutique innovante conduite par C.G. Jung. Le médecin-thérapeute mobilise autant des éléments techniques (début de la psychanalyse) qu’il laisse parler son empathie pour suivre la jeune patiente (19 ans). Sans ce nouveau regard sur elle, Sabina se trouvait triplement condamnée : par les normes médicales de son époque, par la violence familiale et la perversité de son père, et par la société qui confortait le tout (tradition, norme et autorité).
        Mais par quoi Sabina se trouve-t-elle sauvée de la folie ? Est-ce de voir C. G. Jung ému aux larmes quand il l’écoute, est-ce par le fait que son thérapeute s’attache à voir en chacun des symptômes de sa patiente du sens et des liens qu’il met en relation avec sa famille ? Mais, autres questions, quelle part l’amitié joue dans cette relation thérapeutique entre le médecin et sa patiente, et que dire du sentiment amoureux qui semble les animer ? Enfin, n’oublions pas le troisième personnage, Freud. Quelle place prend-il dans la médiation de cette sorte de relation thérapeutico-amoureuse, laquelle donnera naissance à la théorie du transfert et du contre-transfert ? (Voir les références en bas de message)

        Des questions pour ne pas conclure trop vite.
        L’organe cerveau crée-t-il du sens ? Probablement du point de vue de l’énaction (voir ici), mais va-t-il jusqu’à la folie pour en trouver ? On l’a vu, le terme est relatif à une diversité des regards, mais aussi à une profondeur humaniste que se donne la liberté d’explorer les êtres humains. Cette liberté peut, mais ne doit pas se retrouver inhibée par une violence sociale, familiale et par des normes restrictives qui forcent à la négation de soi, à l’obéissance et à la duplicité. En revanche, cette liberté, pour qu’elle soit structurante, doit s’autoriser à beaucoup de réflexivité, d’échange avec des pairs et de méthode pour aller plus loin que ce que la raison et les pratiques normatives de son époque laissent entrevoir.

        Post réflexion
        Je pense beaucoup à Sartre, l’être et le néant, et à ses concepts d’en-soi, pour-soi et pour-autrui.
        Rappelons que l’en-soi est cet aspect non perçu de soi, comme s’il échappait à notre conscience.
        Le « pour-soi » est la conscience telle que nous la rapportons à nous-même, tandis que le pour-autrui, c’est l’autre, tel que nous le faisons exister à travers soi.
        Romand et Sabina existent pour autrui, l’un pour sa famille, l’autre pour son thérapeute… car sans eux, ils ne sont « rien », lui n’a pas conscience de son égoïsme absolu, alors qu’il est mû uniquement par ce « lui-même ». Sabina est un être de pulsions jusqu’à ce que son thérapeute lui permette de se reconnaître, dès lors, elle existe pour lui, entendu, par lui. C’est probablement vrai également pour le thérapeute en question. De son point de vue, elle peut s’exprimer une part de son « anima » non encore reconnue.

        Selon une perspective « en devenir », et non plus « ontologique » (ce que les uns et les autres sont en termes d’identité fixe), se pose la question du processus qui s’accomplit en soi. Comment chacun sauve-t-il sa peau et parvient à exister par l’autre, y compris en le niant, voire parce qu’il le nie ? C’est un peu comme la conscience de l’enfant qui n’est conscient que de ce qui le nourrit (le sein ou le biberon) sans qu’il se soit encore identifié à lui-même, ni qu’il n’ait identifié ce qui le nourrit. Il ne réagit encore que par lui (le registre physiologique et pulsionnel) et pour lui, tant que sa maturité ne lui permet pas de reconnaître l’autre pour l’autre et pour lui-même.
        Sabina a fait le parcours, puisqu’elle saura exister en sachant non seulement prendre en compte autrui, mais aussi en proposant des regards (théories) de sa dynamique (pulsion de mort vs pulsion de vie) dans le cadre de la psychanalyse. Il a fallu pour cela qu’elle acquiert un regard compréhensif de l’autre. Romand, de son côté, en supposant qu’il se mente encore à lui-même en passant par « dieu » ou des expériences mystiques chez les bénédictins, faut-il concevoir que cet artifice lui permettra de reconnaître l’insignifiance de son « moi », avant de pouvoir reconnaître l’autre pour lui-même ? Tout est possible en « théorie ».
        Néanmoins, une éthique ne peut se concevoir à partir de sa seule phénoménologie et subjectivité, puisque l’autre n’y a pas sa place. Toutefois, si l’accès à sa vérité, du point de vue de Roman est possible, qu’est-ce qui nous permettra de reconnaître qu’il a parcouru effectivement un chemin, et non qu’il s’est contenté jusqu’à son dernier souffle, de tromper son monde ? Qu’est-ce qui nous permettra d’observer qu’il est capable d’authenticité ?

        C’est fondamentalement, à ce qui me semble, la question que nous nous posions dans ce café philo : faut-il juger de la folie des uns et des autres, indépendamment du fait que leurs actes puissent susciter le dégoût ou le sentiment d’une folie ? Ou, et par delà des jugements portés selon des normes, des affects, des habitudes, faut-il supposer que quelque chose de l’ordre d’un devenir (éventuellement un devenir mature avorté en chemin) se joue dans nos actes ?

        Des ressources.
        – Affaire Romand.
        > La page wiki ici et celle de France Info ici.
        Le documentaire : Faites entrer l’accusé – Jean-Claude Romand, le menteur.
        L’enquête de France TV chez les bénédictins qui ont recueilli Jean-Claude Romand. Cliquer ici.

        Le cas Sabina Spielrein
        La vie dérobée de Sabina Spielrein, de Violaine Gelly (8 min). Par Tobbie Nathan.
        Sabina Spielrein, poésie et vérité. Durée 4mn. Michael Gerard Plastow s’intéresse aux écrits oubliées de la psychiatre-auteure
        Un extrait de « Sabina Spielrein, à l’ombre de la psychanalyse » par Violaine Gelly et Matthieu Mares. Durée 4mn.
        Pour approfondir, 9 séances autour du cas clinique de Sabrina Spielrein. Par Champ Connexe, cliquer ici.
        Un film d’entretien avec Violaine Gelly, auteure de la vie dérobée de Sabina Spielrein. Sur Baglis TV. Accès réservé.

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        René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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