Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Sujet libre ce lundi 22.08.2022 à 19h00 chez Maitre Kanter. Annemasse + Compte rendu : Peut-on philosopher avec une économie de mots ?
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19 août 2022 à 19h27 #6348Rencontres philo pour le monde d’aujourd’hui, tous les lundis à 19h00
chez Maitre Kanter, place de l’Hotel de Ville. 74100 ANNEMASSECe lundi 22.08, le sujet sera choisi parmi les questions proposées par les participants
Par un vote ou un échange ouvert, on retient la question qui semble motiver l’attention des participants présents.
– On cherche à dégager les enjeux de la question : en quoi il y a problème (sur un plan existentiel, relationnel, social, politique) et on interroge les dimensions de vérité et d’éthique que nos propositions soulèvent. C’est là où on commence à philosopher vraiment.
– De fait, nous faisons philosophie par une capacité à mener une enquête, et par celle à questionner les raisons et les références par lesquelles on pense. (Quelques éléments d’explications sur la philo dans les cafés philo, ici)– Nous avons remarqué que, lorsque des participants s’impliquaient dans les questions qu’ils posaient et, parfois, lorsqu’ils avaient sous le coude, une citation, un témoignage de ce qui les avait interpelés dans la semaine, ou une question à laquelle il pensait déjà, que ce contexte facilitait parfois la prise de décision du sujet retenu.
– Apprendre à réfléchir ensemble pour dégager un problème et formuler une question s’inscrit dans une démarche première en philosophie.
– La formule traditionnelle des cafés philo où un participant souhaite préparer une question avec quelques ressources est toujours ouverte, il suffit de l’inscrire dans l’agenda et de l’introduire en une poignée de minutes le jour venu.
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Le compte rendu du sujet de la semaine passée :
– Apprenons-nous quelque chose des crises passées ?————————————-
Règles de base du groupe
– La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
– Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
– On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
– Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
– On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
– On s’efforce de faire progresser le débat.
– Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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Peut-on philosopher avec une économie de mots ?Nous étions une douzaine de participants…
Lorsque vient le moment de proposer des questions, que dit le silence du début de séance ? Est-ce le temps requis de se mettre dans l’ambiance du groupe ? Est-ce la difficulté à trouver une question ? Je me demande ce qui se travaille dans le temps d’hésitation et de recherche qui précèdent les premières propositions.
Mikael propose : peut-on philosopher avec une économie de mots ?
L’idée première de la question suggère la pertinence d’une formule que révèle d’un seul mouvement l’évidence de son sens, par exemple : « La philosophie, ça ne sert à rien » (Jankélévitch chez Bernard Pivot. Voir ici)
Autrement dit, la philosophie ne se réduit pas à une utilité instrumentale en vue d’atteindre un objectif. La philosophie ne sert à rien, précisément parce qu’elle ne se met au service de rien ni de personne. Mais en raison de quoi existe-t-elle alors ?Si, d’une manière méthodique, on questionne la proposition de Jankélévitch : que signifie la philosophie, que recouvre le mot « rien », le mot « servir », etc., on peut se perdre le long des explications, et ne pas saisir l’esthétique de sa réponse : la suspension momentanée de toute pensée et l’idée que la philosophie, comme le confirme Jankélévitch dans la suite de son entretien, est une aptitude de la conscience à se saisir elle-même. Mais il faut pouvoir saisir ce moment, et il n’est pas « automatique ». Jankélévitch montre également que la « philosophie » s’inscrit dans un dialogue, et il invite son interlocuteur à le questionner : « Allez-y posez-moi la question, demandez-moi pourquoi on se doit de répondre à la question de l’usage de la philosophie, y compris à l’égard de ceux qui la dénigrent. »
Il y a donc une sorte de paradoxe entre une phrase « choc » qui donne à percevoir un sens immédiat et, par ailleurs, la multiplicité des problèmes et des sens qu’elle peut soulever.
Quelques problématiques évoquées lors de notre échange :
Quels sont les enjeux de l’impact immédiat d’une formule ou d’un texte qui nous interpelle, comme par un effet de sens (ou de vérité), mais qui peut perdre de sa puissance dès que la pensée s’en empare pour le questionner ? Cinq ou six grandes catégories d’enjeux se dessinent dans notre échange :1° Les enjeux de la personne en lutte avec elle-même. Cette personne philosophe-t-elle ou suit-elle les inclinations de ses penchants psychologiques ? Se sert-elle de la philosophie ou sert-elle la philosophie (en y ajoutant les acuités de sa pensée ?) Se peut-il que se perdre dans des spéculations infinies corresponde à une stratégie de fuite et d’évitement des questions qui dérangent ?
2° Les enjeux de la philosophie, de sa définition, de ses pratiques, de son but. Sans rajouter des lignes à cette question largement débattue depuis qu’elle est née, la philosophie témoigne de cette possibilité de l’homme apte à questionner le sens des choses. Elle s’inscrit dans une histoire, elle est une pratique mise en œuvre avec une certaine rigueur/cohérence et selon certaines règles de la pensée (argumenter, conceptualiser, problématiser, interpréter, questionner, etc.). La philosophie témoigne également du fait que l’être humain choisit (s’efforce) de gouverner sa vie, la cité, il peut rendre compte à lui-même et à autrui des raisons de sa pensée. Autant de sujets d’étonnement qui questionnent les conditions de la liberté de l’être humain. Une pratique, que les autres espèces du vivant, qui suivent le programme de leur génétique, ne peuvent montrer, une pratique philosophique (en fait, une faculté de la conscience) qui charge l’être humain d’un statut particulier, celui de sa responsabilité à l’égard des autres, du vivant, de l’environnement et du monde en général.
3° Les enjeux du philosophe lui-même, il est toujours un être incarné, professionnel ou pas, il est en lutte contre ses biais, ses passions, ses contradictions, contre son époque, contre le projet philosophique qu’il porte en lui-même, et qu’il soumet à ses pairs.
4° Les enjeux de notre engagement relationnel, social, politique. Y compris lorsqu’on s’isole, que l’on se coupe du monde, ce dernier continue à exister. De fait, quoique l’on choisisse de faire ou de ne pas faire, notre positionnement dit quelque chose d’une philosophie que l’on porte en soi, et que l’on met en mouvement. D’où les questions qui suivent :
– jusqu’où parvenons-nous à philosopher contre nos inclinations, contre notre subjectivité, contre notre époque ?
– Se peut-il que nous mettions une limite à notre questionnement ?
– Se peut-il que nous baissions les bras, que nous soyons pris de vertige devant l’immensité du questionnement ?
– Se peut-il que nous nous résignions à des formes de fatalité (du type : l’homme ne changera pas) et, finalement, à une sorte de philosophie du « destin » (à une absence de liberté) ?5° La philosophie des faits (ou de la science), jusqu’à quel point un fait (de le sélectionner, de le désigner ou de l’ignorer) relève d’un choix « philosophique » en ce sens qu’il révèle une perspective, oriente nos choix et masque des alternatives ? Le scientifique, comme le philosophe, ne sont pas neutres, mais travaillés par des affects, par des attentes, éventuellement par une idéologie latente ou déclarée. Par exemple, le philosophe ou le scientifique convaincu que le progrès technique résoudra la question du « réchauffement climatique » minimisera (ou contestera) la responsabilité de l’homme dans la cause de son dérèglement. (Voir ici la déclaration du professeur Dr. Knut Loschke et le lien vers une déclaration internationale signée par plus de 1000 scientifiques.)
6° Des enjeux de communication. La formule « choc » (punch line) est devenue une exigence des médias, une norme, mais elle fait également le jeu des médias sous l’influence du capital et de la philosophie consumériste de notre société : retenir les auditeurs captifs devant leurs écrans, faire de l’achat de tout produit la solution à son problème, et de la philosophie (et des infos en général) un « spectacle » permanent (Guy Debord).
Une ou deux problématiques mieux détaillées, et que nous avons évoquées.
Comment la philosophie de Aron, Camus et de Sartre s’oppose-t-elle en leur temps ? Leur a-t-il manqué des mots aux uns et aux autres pour articuler leur philosophie respective ? Ou est-ce qu’une philosophie s’inscrit dans des affects avant de s’inscrire dans des mots ? En ce cas, peut-on encore en parler, peut-on faire parler les affects, les rendre « intelligibles » ? De quel langage est la philosophie des affects, que dit-elle, qui en parle ?Idem pour Cynthia Fleury et Barbara Stielger, toutes deux exercent dans des hôpitaux, la première à Paris, la seconde à Bordeaux, et elles se sont positionnées de façon radicalement différente par rapport à la Covid.
Cynthia Fleury n’en a dit mot et, après coup, elle rédige un tract sur « Habiter furtivement le monde » (sur quelle valeur s’appuyer pour s’extirper d’un monde aliénant) ? En bref, elle invite à se protéger du monde, mais faut-il le fuir, s’enfermer dans un en-soi ? (lien ici) Cynthia Fleury dénonce par « défaut » l’aliénation du monde, c-à-d, sans jamais porter d’accusation sur les auteurs ou le système qui aliènent. Il faut simplement prendre soin de soi.Barbara Stiegler, de son côté, dénonce la philosophie sous-jacente de la gestion de la Covid. Cette gestion est une démonstration en règle d’une logique néolibérale darwinienne sur un mode plus que caricatural : l’adaptation primaire des plus forts à une société de consommation au détriment des moins adaptés. (Voir ici)
Ces deux philosophies ne portent pas en elles-mêmes la même idée de l’être humain. Leur combat, est-il complémentaire, opposé, comment s’articule-t-il ? (Pour l’instant, je ne le sais pas)… Mais mon expérience m’expose à des philosophes qui semblent mettre un frein aux questions qui dérangent. Ils s’inhibent, restent prudents, suspendent leur jugement (je ne sais ce qu’ils font), mais je constate une absence de prise de parole, un silence des intellectuels. D’autres prennent la défense du gouvernement en place, alors qu’il est largement corrompu et qu’il atteint aux droits les plus fondamentaux de la République. (Voir ici, La relève de la peste, un article qui énumère tous les membres du gouvernement Macron impliqués dans des affaires de justice, lui qui promettait plus de transparence et de justice au sein du gouvernement.)
Autre exemple, Etienne Klein s’est trompé tout du long à chaque fois qu’il a pris position sur la Covid, puis il s’est tu à ce sujet et, aujourd’hui, il n’en parle plus (il reste dans des généralités à faire pleurer, tant il répète la même rengaine, on confond science et recherche). Par opposition, le philosophe des sciences, Michael Esfeld (Epfl Lausane, voir ici) met en garde contre les aberrations scientifiques des spécialistes tv et du gouvernement qui réduisent les paradigmes complexes des sciences du vivant aux déterminismes mathématiques des sciences physiques. Il dénonce cette grossière erreur, que tout le monde semble taire.
Ce qui conduit à la question : du rôle des philosophes (et des intellectuels en général) dans la crise que le monde vit aujourd’hui.Dans le cercle plus intime de notre débat, se pose la question de ce qui se joue à la source de nos positions « philosophiques » : jusqu’où forcer, pousser le questionnement ? Le philosophe peut bousculer les gens dans leur conviction, mais peut-il chercher à les convaincre sans trahir la philosophie, c’est-à-dire, les bonnes conditions pour qu’un dialogue se tienne librement, sans menace et avec lucidité ?
Resituons le fil de l’échange pour conclure :
Par une expression insurgée, mais brève, efficace, un philosophe peut dénoncer les travers (les manques à l’éthique, à la liberté, aux droits) de notre société.
Toutefois, sa pensée peut être mal interprétée.
> Il n’est pas impossible que cette mésinterprétation soit une fuite, une réserve, un doute, un évitement… En tous les cas, elle ne fait pas des « philosophes » et des intellectuels des exemples, ils sont loin de se montrer « dignes » d’un combat de la pensée,
> alors qu’ils prennent position dans la sphère publique et dans leur profession,
> alors que le combat de la pensée vaut mieux que toute guerre.
A l’heure des crises d’aujourd’hui (maladie, guerre, polution, environnement, biodiversité, autoritarisme et mensonges d’Etat), leur silence est même surprenant. (Référence à la trahison des intellectuels. Edward W. Said)
+ un article Cairn ici qui présente l’auteur
Questions qui se posent :
> Les mots faillissent-ils à rendre compte des « idées » ou est-ce un affect qui dispose à une posture philosophique, affect que nous nous trouvons en mal de perturber, tant il est dérangeant de le questionner et/ou de l’incarner dans une posture philosophique intégrée ?
> Autre possibilité : l’incapacité ou la difficulté à structurer sa pensée de telle sorte qu’elle soit un guide pour intégrer en dignité son positionnement.Une illustration, ci-dessous. Au-delà de l’économie des mots, plus que des idées, ce sont des postures qui reposent sur des affects qui peuvent guider/conditionner la pensée du philosophe. Le point de vue de l’Histoire, du Pr. Jean-Michel Guieu. Peut-on dépasser la guerre ?
Pour certains, c’est possible, mais pas pour d’autres. A quoi tient cette conviction que l’on retrouve dans toutes les couches de la société, parmi les intellectuels, les politiques, les ingénieurs et tout citoyen lambda ? Le combat est-il philosophique ou se situe-t-il ailleurs ?
Quitte à ne pas « croire » en la paix, autant s’engager pour la guerre, du point de vue du philosophe : Paul Mabille.
Ces slides proviennent de la conférence : Plaider plutôt que se battre.
De Jean-Michel Guieu, maître de conférence en histoire contemporaine des relations internationales. Cliquer ici.Autre référence, Jankélévitch évoque l’ACIREPH – Association pour la Création d’Institut de Recherche sur l’Enseignement de la Philosophie. Voir ici l’un de leur article : « Qui a peur de la philosophie ? » Jacques Derrida
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René Guichardan, café philo d’Annemasse.
> Lien vers les sujets du café philo d’Annemasse, ici.
> Lien vers le forum des problématiques de notre temps (écologie, guerre, zoonose, démographie et philosophie.
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