Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Sujet : Qu’est-ce qu’une femme ? Et l’hypothèse de l’homme volant. Présenté par Marie-France pour lundi 21.11.2022 + Compte rendu.

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  • #6399
    René
    Maître des clés
      Qu’est-ce qu’une femme ? Et l’hypothèse de l’homme volant (ou de la femme volante)

      Merci à Marie-France qui, inspirée par la Lettre de Philosophie Magazine, nous propose d’en débattre :

      Bonjour,

      En 1949, Simone de Beauvoir posait une question presque naïve, qui suscite aujourd’hui de vives tensions : “Qu’est-ce qu’une femme ?” Le thème de la transidentité a fait son entrée dans le débat public et, si je condamne les discriminations dont sont victimes les femmes trans, je dois aussi reconnaître que la question initiale me désarçonne. Car une femme, si j’en crois mon expérience propre, je ne sais pas ce que c’est.

      Avant de vous expliquer pourquoi, je vous conseille de lire cette tribune remarquable de Pascal Chabot, qui élabore une sorte de psychanalyse des énergies fossiles et éclaire ainsi les raisons pour lesquelles nous sommes devenus accros à celles-ci.

      Comment savoir si je suis une femme ? À mes signes extérieurs, je dirais. J’ai un prénom de femme, je porte des vêtements féminins, possède une capacité reproductive qui me classe dans la catégorie 2 de la Sécurité sociale. Toute ma vie, mes parents m’ont plus ou moins élevée “en fille”, même si le fait d’avoir deux grands frères m’a donné envie de leur ressembler, donc d’adopter des goûts jugés masculins (conduire en scooter, boire de l’alcool très jeune, me raser les cheveux…), et vite fait comprendre que je devrai batailler pour obtenir la même chose qu’eux. Quand je rentre dans une pièce, je sais que les gens pensent : “Voilà une femme.” Je n’y peux rien.

      Pourtant, quand je suis seule, je ne me sens pas femme. Dans mon for intérieur, je n’éprouve aucune identité de genre, je suis mentalement un simple individu. Ni femme, ni homme, ni non-binaire, c’est plutôt comme si mon genre n’existait pas du tout et que cette problématique devenait totalement inopérante. Isolée du monde, cette interrogation se manifeste uniquement par effraction, par exemple quand je suis sous la douche (“tiens, un sein”), que je me brosse les cheveux (“ton père doit être content qu’ils aient repoussé”) ou que je range mes affaires (“mince, où ai-je mis ma jupe ?”).

      Ce ressenti me fait penser à une expérience de pensée du Moyen Âge. Dans Le Traité de l’âme, le philosophe Avicenne imagine le cas d’un homme qui, flottant au milieu du cosmos, ne sent plus rien de son corps. Telle une marionnette privée de toute sensation, cet homme ne peut avoir qu’une certitude : il est un esprit. “Son corps et ses organes ne sont nullement affirmés, écrit Avicenne. Cette voie met en lumière l’existence de l’âme comme quelque chose qui est autre que le corps, mieux qui est autre que tout corps.” Avicenne entend ainsi prouver, six cents ans avant Descartes, que l’âme et le corps sont distincts, et que la première, pure substance pensante, a plus de réalité que le second.

      En philosophie, cette hypothèse porte le nom de “l’homme volant”. Je m’en sens très proche. Si la société ne me ramenait pas constamment à mon identité physique de femme, à travers des regards concupiscents, des remarques dégradantes, des comportements brutaux, des résistances à tous les étages et des louanges perverses, jamais je ne saurais dire, de mon propre chef : “Je suis une femme.” C’est pourquoi je me sens à la fois éloignée et proche des parcours de personnes transgenre. Éloignée, car celles-ci disent ressentir intimement une identité qui n’est pour moi qu’une construction extérieure à mon être et qui m’est étrangère. Proche malgré tout, car je serais incapable de donner une description excluante de ce qu’est une femme, étant moi-même une femme… qui ne se reconnaît pas comme telle. Qui serais-je, moi, la “femme volante”, pour en imposer une quelconque définition ?
      Ariane Nicolas
      Le lien vers la Lettre est ici.

      Une ressource conférence-débat :
      Féminin/Masculin : de la notion de sexe à celle de genre. Le cercle philo.
      Avec Bernard Guy (enseignant-chercheur), et Camille Roelens (philosophe-chercheur). Cliquer ici. Durée 51mn.
      L’échange et les questions sont très intéressants.

      Deux ressources par rapport à Avicenne et son texte.
      – René Descartes et sa reprise de l’homme volant d’Avicenne. Article ici : le matérialisme dialectique.
      – Le texte d’Avicenne vue par les ressources de l’islam spirituel et philosophique. Un pdf du lycée Léonard de Vinci, Levallois. Ici.

      Vous pouvez télécharger la Lettre philomag ci-dessous.
      r3100R810021_811a678d-8f10-4367-ac8b-a148e4d6228a0001.pdf

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      Règles de base du groupe
      – La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
      – Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.

      Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
      – On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
      – Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
      – On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
      – On s’efforce de faire progresser le débat.
      – Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
      —————-

      Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.

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      René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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      #6404
      René
      Maître des clés
        Compte rendu du sujet sur la femme ou l’homme volant

        Nous étions une quinzaine de personnes, dont deux nouvelles, qui ont pris la parole.

        Quelques problématiques évoquées :
        Les questions soulevées sont bien en rapport avec les thèmes évoqués dans le texte, à savoir :
        – Qu’en est-il des rapports entre la matérialité et le divin ?
        – Serions-nous contraints par le corps, mais libres par l’esprit ?
        – Le genre que je me « ressens » provient-il de mon éducation, notamment des influences intériorisées dès la petite enfance ?
        – La subjectivité de mon genre est ressentie, mais je souhaite être perçu autrement que ce à quoi mon sexe m’identifie. Est-ce une question personnelle ou demande-t-elle une réponse politico-sociale ?
        – Le politique doit-il satisfaire aux demandes provenant de groupes d’appartenances spécifiques : queer, lgbt (et autres) ?
        – Jusqu’où ne sommes-nous qu’une humanité indifférenciée (l’aplatissement du monde, Olivier Roy, voir réf. en fin de message) et jusqu’où les particularités doivent-elles être reconnues dans leurs communautés spécifiques ?

        Quelques questions évoquées :
        Des participants ne comprennent pas, par exemple, que l’on puisse se sentir « flottant » (non incarné).
        Mais, une déclaration demande-t-elle à être « comprise » ? Elle demande probablement à être entendue, que l’on s’y penche, que l’on cherche à comprendre ce que ce ressenti suppose pour celui/celle qui le vit.
        La résistance de certains participants à reconnaitre la subjectivité des personnes expriment apparemment une sorte de dissonance cognitive : comment peut-on ne pas exister, alors que le corps impose d’exister ?
        Une interprétation possible de cette dissonance : l’idée de se sentir flottant comme une âme activerait le réflexe anti-religieux de certains participants-es, qui alors déclarent : « ne pas comprendre ». Dans ce cas, « ne pas comprendre » relèverait plutôt du rejet, d’un refus de comprendre. Un refus qui, à son tour, peut-être l’expression d’une crainte, celle de voir des personnes « flottantes » revendiquer une sensibilité, si ce n’est un attrait pour le religieux : « Je suis une âme non identifiée à mon sexe avant d’être un corps et, plus encore, avant d’être le genre que m’assigne le discours social. »

        De fait, la question de la matérialité et du divin n’a pas du tout été approfondie malgré quelques tentatives d’un participant.

        La question de la détermination sociale du genre « ressentie » en raison de son « sexe ».
        Une femme se voit aidée à porter une charge par un homme. Comment le vit-elle ? Comme une aide ou se sent-elle ramenée à une identité de femme : moins musclée (généralement) qu’un homme ? De fait un participant-homme de notre café philo exprime l’idée qu’il se sent doublement interpelé par ce témoignage. En effet, d’une part, il ne se sent pas reconnu dans l’élan spontané d’aider un autre humain et, d’autre part, il est perçu comme un homme aux motivations suspectes. Il se trouve ainsi d’emblée enfermé dans une catégorie discriminante.
        Un autre témoignage : « Dans le formulaire de réservation pour une place de théâtre, je dois cocher la case homme ou femme, or je ne tiens pas à le préciser, je veux être reconnue indépendamment de mon sexe. »

        La question qui se pose est (probablement) :
        la façon dont on se « sent », implique-t-il les présupposés que l’on prête à autrui ou à un formulaire administratif ?
        Peut-on attendre ou exiger des personnes que l’on rencontre qu’elles n’aient plus les ressentis qui les animent ?
        Sur le plan social, politique, la question de son ressenti peut-elle / doit-elle être traitée et codifiée par des normes, notamment dans tous les formulaires (administratifs, privés, associatifs) de sorte à effacer toutes les indications liées au « sexe » ?
        Est-ce les différences qui posent des problèmes ou les discriminations qui leur sont associées ? De fait, lutter contre les aspects formels et les formulaires effacera-t-il les discriminations ?

        La question d’être contraint par un corps mais libre par ailleurs comme esprit.
        Une observation-question : jusqu’à quel degré dans une société (en France, par exemple) tous les comportements doivent-ils être nivelés, normés, asexués ? Par exemple, que chaque conseil d’administration, chaque parti politique soit composé à l’image de la société française, et selon la disparité de ses groupes d’appartenances (religieux, ethnique, sexuels, etc. ).
        L’accent mis sur la forme fait-il oublier le fond, c’est-à-dire, les discriminations, les blessures qui elles, demandent à être écoutées ? Mais jusqu’où la société doit-elle créer un catalogue de toutes les particularités et de toutes les blessures ? Si je suis contraint par mon corps, mes blessures, de quelle manière suis-je libre par mon esprit ? Être libre, est-ce être coupé du monde, est-ce être en repli sur sa communauté ? Est-ce demander à l’autre qu’il n’ait plus de regard sur soi ?
        Faut-il, pour être libre, se mettre, ponctuellement, à part le monde ? Ce qui est une autre question en ce qu’elle comprend, par le mot « ponctuel », l’idée d’une période de transition, c’est-à-dire, des conditions d’apprentissage momentané pour se re-trouver soi, et ensuite retrouver le monde.

        Pour conclure :
        Les rapports de domination homme/femme ont donné lieu à de nombreux abus. On peut comprendre qu’il y ait des correctifs, des revendications et surtout, du dialogue à rétablir. Mais jusqu’où la « société » doit-elle s’adapter à la subjectivité intime d’une partie de ses citoyens, jusqu’où doit-elle repenser les identités de genre ? Et, si elle le doit, à partir de quoi repenser les identités de genre : à partir de la biologie, du monde animal, à partir d’un contre-modèle au patriarcat religieux ? à partir d’une indifférenciation poussée à ses limites ? Autrement dit, à partir d’une abstraction, à partir d’une idée d’égalité arythmétique et des quotas qui surveillent toutes les données pour veiller au bon ordre des choses ?
        Les revendications pour corriger les inégalités hommes/femmes semblent cliver la société plutôt qu’elles ne réconcilient le dialogue entre hommes et femmes (Voir Péggy Sarstre ci-dessous). Se peut-il que la demande de reconnaissance des uns par les autres soit trop radicale, voire revancharde ?
        Les identités et les sentiments de soi sont mouvants, intimes, personnels et, apparemment, ils se vivent et se transforment davantage dans les interactions, plutôt qu’ils ne se régulent positivement par le cloisonnement d’une multitude de communautarismes. Cette distinction normée tend pluôt à crisper les identités. Il semble alors préférable, et ceci est un avis personnel, d’éveiller au manque d’écoute d’autrui, au manque de respect, à l’abus des rapports de force, c’est-à-dire à se référer à un ordre de valeurs plus structurant, plus général, plutôt que de multiplier les lieux de revendication (les codes de normalisation) selon les identités blessées.

        Une citation d’Olivier Roy :
        Il y a une collection de « nous » plutôt que des interactions.
        Écouter ici, en 10mn, son dernier essai sur l’aplatissement du monde.
        Un autre extrait : Que serait une valeur sans normativité ? Olivier Roy. 2019. Durée 7mn.
        – Olivier Roy invité de France Culture : entre revendications identitaires et uniformisation du monde : quelle culture partager ? (Durée 35mn, cliquer ici).

        Commentaire post réflexif.
        Il y avait dans le « ton » (l’ambiance) un fond de « revendication », autrement dit, au fait de se sentir « blessé » par l’identité de genre survient la revendication : que la neutralité de genre soit effective dans tous les formulaires (par exemple).
        Mais sommes-nous encore en « philosophie » ? Non, n’est-ce pas ?
        C’est comme si le texte était prétexte (sans qu’il ait été prémédité d’en faire un tel usage).
        La remarque a été formulée par un participant : on est davantage dans la politique que dans le questionnement ou dans la compréhension des choses.
        Cela dit, les détours du dialogue philo par l’expression de son vécu ne me gêne pas systématiquement, notamment si ceux qui présentent des textes, ne sont pas trop motivés par des activités militantes, ce qui n’est pas le cas à Annemasse. Mais il faut du temps pour prendre du recul et il faut s’y prendre en plusieurs temps pour éventuellement entrevoir derrière la question du genre, celle des désirs, de la complémentarité, de la coopération, celle des modalités de « transaction » au sens de Dewey : qu’est-ce qui s’échange entre les vivants ? Comment les êtres se transforment-ils par les transactions qui s’effectuent entre eux ?
        Précisons à nouveau, il va de soi que chacun puisse être animé d’une sensibilité politique, mais c’est autre chose que de porter déjà en soi des solutions de groupes militants et de ne plus être dans l’analyse des raisons, le questionnement des valeurs, la compréhension des dynamiques sociales et des rapports de forces.

        Autres sources du regard sur les rapports hommes-femmes
        – La vraie histoire des relations hommes-femmes.Selon Emmanuel Todd. Elucid Media (entretien + cartes + article).
        – Pascal Picq, Violences envers les femmes : une fatalité évolutive ?
        – Déconstruire le féminisme, selon (Peggy Sastre (psychologie de l’évolution). Conférence ici.
        Les femmes peuvent-elles se libérer de leur corps ?Camille Froidevaux-Metterie, philosophe invité de, Les Idées Larges. Arte.

        Une citation d’Eric Hoffer (rappelée par Peggy Sastre)
        « Toute grande cause commence en mouvement, se développe en business et finit en racket.  »


        Puis-je pensé ce que je serais si je n’avais subi aucune pression sociale ?

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        René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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