Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Travailler moins, est-ce vivre mieux ? Sujet proposé par Nicolas pour lundi 22.05.2017 + compte-rendu + 3 schémas

4 sujets de 1 à 4 (sur un total de 4)
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    Messages
  • #5517
    René
    Maître des clés
      Travailler moins, est-ce vivre mieux ?
      Merci Nicolas pour ton introduction ci-dessous

      « C’est l’avènement de l’automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l’humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité. (…) C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c’est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l’homme. Même les présidents et les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels, il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu’ils font comme des œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est à dire privés de la seule activité qui leur reste. On en peut rien imaginer de pire. »
      Hanna Arendt. La condition de l’homme moderne (1958)

      Au début des années 2000, le temps de travail hebdomadaire en France est passé de 39 heures à 35 heures, ouvrant le débat sur l’impact de la diminution de la durée du travail sur l’Homme ». Hanna Arendt en doute, mais posons la question :
      Travailler moins, est-ce vivre mieux ?

      Citations (prises essentiellement sur le site Toupie ici)
      – « La principale caractéristique de l’homme de masse n’est pas la brutalité ou le retard mental, mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux. »
      Hannah Arendt – 1906-1975 – Les origines du totalitarisme, Tome 3 : Le système totalitaire – 1951

      – « La société de masse est peut-être encore plus sérieuse, non en raison des masses elles-mêmes, mais parce que cette société est essentiellement une société de consommateurs, où le temps du loisir ne sert plus à se perfectionner ou à acquérir une meilleure position sociale, mais à consommer de plus en plus, à se divertir de plus en plus (…) Croire qu’une telle société deviendra plus « cultivée » avec le temps et le travail de l’éducation, est, je crois, une erreur fatale (…) l’attitude de la consommation, implique la ruine de tout ce à quoi elle touche. »
      Hannah Arendt – 1906-1975 – La Crise de la culture – 1961

      « Contre l’imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l’avenir, le remède se trouve dans la faculté de faire et de tenir des promesses. »
      Hannah Arendt – 1906-1975 – Condition de l’homme moderne – 1958

      « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal. »
      Hannah Arendt – 1906-1975 – Les origines du totalitarisme, Tome 3 : Le système totalitaire – 1951

      « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. »
      Hannah Arendt – 1906-1975 – La Crise de la culture – 1961

      « Le pouvoir correspond à l’aptitude à agir de façon concertée. »
      Hannah Arendt – 1906-1975 – Du mensonge à la violence – 1972

      « Plus un homme est libre de tout préjugé, moins il sera adapté à la vie purement sociale. »
      Hannah Arendt – 1906-1975 – Qu’est-ce que la politique ? – Posthume, 1995

      Des ressources à lire ou à écouter
      La fin du travail ? Dominique Meda. Universalis.
      Que devient le travail ? Un cours de l’Université du temps libre (Orléans)
      Le commentaire du texte d’Arendt de philosophie-spiritualité.
      Jeremy Rifking, Le capitalisme va laisser place à une économie de l’échange et du partage”. Les Inrocks.
      Jeremy Rifking dans France Culture.
      Peut-on échapper au travail ? (1/4): s’accomplir dans l’incertain. Les chemins de la philo. France culture
      La grande mutation des métiers depuis trente ans. Chronique de France Culture.
      La fin du travail ou l’explosion de la précarité ? Le billet économique de France Culture.

      #5521
      VOLLMER
      Participant

        Bonjour,
        Je vois que les cafés philo (ou Café débat pour ce qui nous concerne) ont souvent des idées similaires au même moment. En effet, nous avons traité récemment, à Saint Quentin en Yvelines, les sujets suivants :
        – en octobre 2016 : « Peut-on être heureux au travail ? »
        – en avril 2017 : « Peut-on travailler moins et vivre mieux ? »
        Même si je n’interviens pas, je lis régulièrement les sujets proposés à Annemasse et les restitutions faites. C’est vraiment très bon.
        Amicalement,
        Jean-Jacques Vollmer

        #5522
        René
        Maître des clés

          Bonjour Jean-Jacques,

          Merci beaucoup pour votre message et pour les liens vers vos sujets.
          Oui, il y a une résonance sociologique des problèmes qui nous préoccupent, c’est intéressant. La consultation de vos liens est intéressante également, cela nous permet une première approche du problème, ou d’entrer plus précisément dans l’une de vos problématiques, de mettre en écho nos différentes approches.
          Merci de votre contribution.
          A bientôt; ici ou là 😉

          #5528
          René
          Maître des clés
            Compte-rendu
            Travailler moins, est-ce vivre mieux ?

            Plus d’une vingtaine de personnes était présente.
            Le débat semblait se chercher. Nous ne sommes pas parvenus à créer une unité de vue sur la notion de travail, voire même sur celle de l’effort qui, pour les uns, se rapportent à une pénibilité de type « judéo-chrétienne » (avec le sentiment d’une culpabilité, d’une obligation morale), tandis que pour d’autres, l’effort relève d’un désir délibéré d’accomplir une tâche, de se dépasser, de se réjouir par avance des gratifications du travail accompli.
            Derrière cette opposition  « pessimisme/optimisme », « accomplissement/asservissement » se cachent des réalités économiques diverses, et probablement, des dispositions psychologiques, elles aussi diverses.

            Quelques éléments du débat.
            L’étymologie du mot « travail » serait double tripalium (du latin qui désigne un instrument de torture), et trabajar (d’origine hispanique, le terme exprime une « tension vers un but en surmontant des obstacles». ( Voir ici : L’arnaque de l’étymologie du mot « travail ». le blog de Mediapart.)

            Cliquer ici si l’image n’est pas nette. Merci.

            Globalement, notre rapport à la société se résume à un rapport d’échange entre des individus, dont les comportements sont structurés par des lois et des valeurs . Cet échange passe par une activité de transformation (le travail). Il y a donc un calcul d’intérêt qui s’évalue sur cinq plans :
            – 1° plan matériel, que me rapporte, pécuniairement parlant, le travail que je fais ?
            – 2° plan psychologique, quelle gratification (valeur d’épanouissement), mon travail m’apporte-t-il ?
            – 3° plan de l’utilité, quelle est la valeur utile de mon travail ? Du laveur de vitres au professeur d’université, en passant par dame pipi, le coursier ou l’assistant parlementaire, mon travail est-il utile et pertinent ?
            – 4° plan de l’éthique sociale, quelle est la valeur éthique de mon travail par rapport à la société dans son ensemble ? (Si je travaille pour l’industrie du tabac, et que je ne souhaite pas que mes enfants fument, j’ai peut-être un problème de conscience.)
            – 5° plan de l’estime personnelle, quelle reconnaissance je tire de mon travail, de mes collègues, de mes proches, de la société ?

            Quant aux lois et aux valeurs, ces dernières évoluent selon le contexte de la société, l’évolution de ses techniques et de ses mœurs.

            Cliquer ici si l’image n’est pas nette. Merci.

            Quelques problèmes soulevés :
            – La technologie aidant, les emplois rémunérés se raréfient, tandis que la compétition sur le marché du travail s’exacerbe (ubérisation = concurrence entre tous les individus). Notre organisation sociale génère des formes d’exclusions, de la discrimination entre les travailleurs bien lotis, les travailleurs pauvres et les non travailleurs. Il se pose donc la question : comment repenser le travail, le rapport aux autres, et nos contributions à la société ?
            – Le bénévole dans une association travaille-t-il ? Son travail mérite-t-il une reconnaissance de la société ?
            – Le rentier mérite-t-il davantage de reconnaissance due à la rente qu’il touche, que le bénévole d’une association ? Ce dernier ne mérite-t-il pas une forme de reconnaissance de la société ?
            – Le travail doit-il être rémunéré selon un degré de pénibilité, et non uniquement en fonction de la valeur du diplôme, ou en fonction de la pure rentabilité des marchés ?


            En guise de conclusion

            La fable de Giuseppe Rensi illustre une position :
            « Imaginons qu’un coquillage pensant émerge pour la première fois des profondeurs océaniques et offre ses valves à la lumière. Supposons qu’il sache ne pouvoir rester que peu de temps au sein de l’univers immense et bigarré et qu’il devra bientôt retourner à jamais au cœur des abysses obscurs de la mer. Comment pourrait-on jus­tifier à ce coquillage qu’il lui incombe, non par nécessité, mais par devoir moral, d’employer ces quelques instants au travail ? Comment ne pas soutenir que son essence même, en tant qu’entité spirituelle et pensante, exige qu’il se consacre à la contemplation du spectacle grandiose qui se présente à lui pour un bref instant ? »

            Il n’y a donc pas que le travail qui compte, mais la question reste posée : si je passe ma vie à la contempler, qui prépare à manger ?
            – Mais, et dans le même temps, une société libre, ouverte sur son avenir et sur celui de ses enfants, ne doit-elle pas permettre de penser à autre chose qu’à simplement gagner sa vie ?

            Une autre citation :
            « Je réclame le droit à la paresse, au bonheur et à la dépression.
            Jean-Paul Dubois (auteur – sociologue)
            Supposons que la société accorde le droit à chacun de se chercher, et d’expérimenter tour à tour, paresse, bonheur et dépression. Comment, ceux qui s’accordent ce droit, échangent-ils avec la société ? Que leur apportent-ils en retour de ce plaisir d’exister uniquement que pour soi-même ? Comment la société permet-elle à chacun de se construire dans un échange, ou de n’exister uniquement que pour soi-même ?

            Le rôle de l’Etat
            Il y a deux grandes manières pour l’Etat de redistribuer les richesses : en donnant directement de l’argent aux plus démunis, ou en améliorant les services rendus à la société dans son ensemble. Ce sont des moyens alloués à l’éducation, à la formation, à l’accompagnement des personnes, aux développements d’habilités diverses, aux associations… C’est en fait donner à chacun la possibilité de s’inscrire dans une trajectoire, et non de rester prisonnier de ses déterministes sociaux.

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