Cafephilos Forums Les cafés philo Café philo de Narbonne (MJC) Du dogmatisme au terrorisme, introduction et synthèse du débat. Michel Tozzi. Janvier 2015

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  • #5176
    Michel Tozzi
    Participant
      Du dogmatisme au terrorisme
      Compte-rendu du débat MJC de Gruissan et au café philo d’Albas

      Introduction du débat

      L’analyse est complexe : il y a l’entrée socioéconomique (chômage, avec son versus vente de drogue et trafic d’armes dans les banlieues) ; l’entrée du renforcement des inégalités par l’école (qui produit de l’exclusion, et donc du ressentiment, voire de la haine) ; l’entrée par la politique étrangère de la France (qui intervient au Mali, en Irak, en Syrie etc.) ; l’entrée par les prisons (l’endoctrinement par les prisonniers djihadistes), celle par la psychologie (structures de personnalité psychopathes des meurtriers) etc. Et l’entrée, spécifique, par la philosophie, la discussion, l’argumentation : sur un rapport dogmatique à la vérité, une lecture littérale des textes dits sacrés, la question de la libertéd’expression comme droit encadré, la dialectique liberté/sécurité (liberté d’expression jusqu’où ? Sa restriction pour la sécurité jusqu’où ? Etc.

      Après la légitime émotion partagée, il s’agit de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là, et de réfléchir à comment réagir. La philosophie nous fournit quelques clefs, mises en discussion…

      Le dogmatisme, c’est la certitude de posséder La Vérité, absolue, définitive, sans doute ni discussion possibles. C’est aussi – le dogmatisme devient ici intégrisme -, prendre à la lettre des textes sacrés, sans interprétation envisageable, parce qu’ils disent d’eux-mêmes la seule Vérité possible, dans leur littéralité. La Bible est ainsi pour certains un ouvrage scientifique, qui non seulement raconte (comme un mythe plein de sens), mais explique l’origine du monde, la création, nie la théorie de l’évolution etc. Le Coran, dans le choix précis de certaines sourates, est pour d’autres la parole même de Dieu, anhistorique, à prendre littéralement sans leur contexte historique.

      Le dogmatisme et l’intégrisme excluent ceux qui ne pensent pas comme vous, que ce soit au niveau idéologique, politique, religieux, puisque vous avez le monopole de la Vérité, la légitimité de l’orthodoxie.

      Cette attitude débouche sur le sectarisme, attitude communautaire dans laquelle cette Vérité unique et absolue est partagée au sein d’un groupe qui nie le pluralisme des idées, le droit du lecteur à l’interprétation, la tolérance à la différence et la liberté d’expression dans un régime démocratique. Ce qui est nié, c’est le droit à la critique, et donc à une pensée libre de tout endoctrinement.

      Ce sectarisme débouche sur le fanatisme, attitude qui cherche à faire partager à tout prix cette Vérité, en employant au besoin la force (ex : croisade, colonisation, guerre sainte, terrorisme). Et ce avec la bonne conscience que c’est pour le bien d’autrui, du peuple, de l’humanité, puisque c’est La Vérité. Celui qui meurt en tuant n’est plus alors un assassin, mais un héros, un martyr.

      Cette chaîne mortifère : dogmatisme/intégrisme/sectarisme/fanatisme/terrorisme, qui a été brisée par les philosophes de la tolérance (Montaigne, Locke, Voltaire etc.) et de l’idéal des lumières, doit être combattue par la démocratie et son esprit laïque pluraliste, par l’éducation à la culture de la question, de l’esprit critique, de la réflexion et de la tolérance.

      Un des moyens, c’est le développement de la pratique de la discussion, avec les enfants et les adultes.

      Une discussion qui n’est pas un débat-combat, mais un enrichissement par l’écoute et le respect de la parole et de la personne de l’autre, dans un cadre d’éthique communicationnelle, où chacun peut librement exprimer son point de vue, où l’on cherche avec, et ne lutte pas contre, où l’on vit le désaccord des idées dans l’échange constructif et la paix civile…

      L’atelier philo en classe et avec des adultes, le café philo dans la Cité sont des exemples de l’anti dogmatisme, de l’esprit démocratique et philosophique de la discussion…

      Michel Tozzi
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      Site internet : http://www.philotozzi.com
      Rédacteur en chef de la Revue Diotime : http://www.educ-revues.fr/DIOTIME/LaRevue.aspx
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      #5178
      Michel Tozzi
      Participant
        Du dogmatisme au terrorisme
        MJC de Gruissan et au café philo d’Albas

        Synthèse de la discussion

        – Ce qui pose problème dans ces événements, à travers les assassinats de journalistes très libres vis-à-vis de tabous sexuels, religieux, politiques, c’est l’attaque du noyau dur de notre démocratie, de nos valeurs :notamment la liberté d’expression, y compris le droit à l’impertinence, à la critique radicale, au rire, à la dérision. Attaque qui entraine une vive réaction, exprimée dans des rassemblements spontanés, qui traduisent le resserrement sur nos valeurs républicaine de liberté, de laïcité. L’émotion collective partagée n’est pas seulement une réaction à l’horreur du meurtre, elle est citoyenne au sens le plus large, traversant les clivages partisans.

        – Ce qui préoccupe un participant, c’est le mot guerre dont on entend parler. Peut-il qualifier ces événements, qui impliquent des français, non des étrangers, issus de nos quartiers ? Ce sont les militaires qui d’ordinaire tuent. Ici des policiers sont tués, et sont amenés à tuer, alors que la police a d’ordinaire pour tache de gérer un adversaire, non de le tuer.

        – Sur la question de la liberté d’expression, il y a difficulté en démocratie. Charlie hebdo a parfois dérangé (cf. les caricatures de Mahomet). Hara Kiri a été interdit par Marcellin après la publication de sa première à la mort de De Gaulle (« Bal tragique à Colombey : un mort ! »). Mais le blasphème n’est plus un délit en France depuis 1881 (loi sur la liberté de la presse). La liberté d’expression est juridiquement encadrée (pas de diffamation, de racisme). Jusqu’où border cette liberté, car à trop le faire, on tombe dans un régime liberticide (Cf. Robespierre : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! », et c’est la terreur de la guillotine…). Quelqu’un se plaint de ce qu’un média a interviewé les assassins ! La démocratie est fragile, car elle donne la parole, au nom de ses valeurs, à ceux qui veulent la supprimer… 2000 ans de christianisme, avec l’idée d’amour et de non violence, offriraient-il un ventre mou aux terroristes ? Il faut combattre pour maintenir la démocratie ! On ne sait vraiment ce qu’est la liberté que quand on en est privé. Il ne faut pas tomber dans l’angélisme.

        Le problème, c’est le développement du sentiment d’insécurité face au terrorisme, qui peut frapper n’importe quand n’importe où. Comment résister à la peur ?

        – Il est posé la question du fondamentalisme. Doit-on l’identifier à l’intégrisme ? Il s’agit de revenir à la source, au fondement, aux fondamentaux, à l’essentiel recouvert par des discours, des institutions qui ont le pouvoir idéologique. Les protestants ont ainsi protesté contre les dogmes catholiques, en revenant à la lecture privée et directe (donc plurielle) de la bible. Le versant intégriste pointe son nez quand il n’y a plus pluralité des interprétations. Exemple en Arabie Saoudite, où le salafisme interprète très restrictivement le Coran, sans approche historico-critique.

        Ce qui pose problème dans le dogme, c’est qu’il est arrêté, figé, indiscutable (ex : infaillibilité pontificale). En fait le dogme dans l’Eglise catholique, c’est l’aboutissement d’une discussion entre théologiens. Un concile tranche entre trois thèses : Jésus est homme, Jésus est Dieu, Jésus est à la fois homme et Dieu. Mais une fois que l’on a arrêté le dogme (l’un et l’autre), la discussion reprend : quand j’ai dit que Jésus est à la fois homme et Dieu, qu’est-ce que j’ai dit ? Le rapport entre dogme et discussion est donc complexe. On ne discute pas un dogme, mais on discute son sens… Pour certains, ériger une propsition en dogme, c’est la démission de la pensée.

        – La philosophie doit réfléchir sur les usages idéologiques du langage (ex : guerre, fondamentalisme), analyser les mots employés, savoir nommer avec précision (ex : guerre), faire des distinctions conceptuelles utiles (ex : dénoncer l’amalgame entre islamisme et islam, musulman et terroriste). Les terroristes islamistes portent tort à l’islam, car ils alimentent l’ostracisation des musulmans en France.

        – Un participant n’est pas étonné par ce qui se passe, régulièrement ponctué par des actes anti juifs ou arabes, symptôme de l’importation en France de conflits mondiaux, dont on croit à tort que l’on serait préservé (mali, Syrie, Irak etc.)!

        – D’autres insistent sur l’impression de désenchantement, de déliquescence des valeurs et du lien social, du manque de respect dus à l’individualisme, au rejet et à l’exclusion d’une partie de la population en temps de crise, qui creuse le ressentiment, qui mène les uns à la délinquance ou à la radicalisation, les autres au Front national.

        – Pourquoi ne se mobilise-t-on pas autant contre le chômage que pour défendre Charlie-Hedo ?

        – Il y a aussi le double jeu des sociétés occidentales vis-à-vis des pays arabes (vente d’armes contre pétrole etc.).
        – Cela illustre bien la théorie du bouc émissaire de René Girard : quand une société est en crise, on accuse de tous ses maux un bouc émissaire objet de notre haine, à chasser pour que cela aille mieux (l’étranger, l’immigré, le musulman) !

        Michel Tozzi
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