Cafephilos Forums Les cafés philo Pensées critiques, anti-covid et anti conspirationnistes de la gestion du Covid. Gérald Bronner et la commission anti complotisme de Macron, Iréne Frachon, Daniel Kahaneman et Dan Sperber et Hugo Mercier + les théories de la raison

7 sujets de 1 à 7 (sur un total de 7)
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    Messages
  • #6093
    René
    Maître des clés
      Iréne Frachon, médecin, lanceur d’alerte pour l’affaire du Médiator, doute de la composition Bronner sur le complotisme.

      Lien vers sa tribune sur Le Monde, ici

      Ma prise de notes
      « Le dévoilement de la composition de la « commission Bronner » du nom du sociologue très (trop ?) médiatique chargé, par l’Elysée, d’évaluer ce phénomène des fausses nouvelles laisse perplexe. »

      Rappelons que Le scandale du Mediator est la conséquence d’un délit industriel d’une gravité hors norme, récemment jugé devant le tribunal correctionnel de Paris et ayant donné lieu à des condamnations pénales :
      > à la firme mise en cause (Servier), qui a fait appel,
      > à l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM)
      > à des experts de l’agence, compromis par des arrangements illégaux avec la firme délinquante.

      Le Mediator, consommé par environ cinq millions de Français pendant trente-trois ans, est la cause directe de la mort ou de l’invalidité de milliers de personnes.
      > A ce jour, près de 4 000 victimes ont vu leur procédure d’indemnisation aboutir après examen par un collège d’experts adossé à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).

      Un complot avéré
      Ainsi, la justice a condamné :
      1° une « tromperie » (de l’industriel),
      2° une « négligence » (des autorités de santé),
      3° des « prises illégales d’intérêts » (d’experts),

      > l’addition de tous ces éléments permet d’employer le terme de « complot avéré », au sens où l’entend l’anthropologue Didier Fassin (Collège de France, 2021): « On peut donc parler de véritables conspirations conduites par des capitaines d’industrie sans scrupule, des politiciens corrompus et des chercheurs vénaux dont les actes ne sont pas seulement des violations de la loi mais aussi des pratiques criminelles puisqu’ils mettent cyniquement en jeu la vie d’individus. » Didier Fassin conclut : « Il faut donc nommer ces actes pour ce qu’ils sont : d’authentiques complots portant atteinte à la santé publique. » C’est sans aucun doute le cas du Mediator.

      Qui y a-t-il dans cette commission ?
      – Parmi les 14 membres, citons le professeur et urologue Guy Vallancien :
      > Il a été un des fers de lance d’une nébuleuse de médecins de haut rang, professeurs de médecine, parfois académiciens de médecine, qui, depuis des années et sans vergogne, tentent de discréditer, minimiser, voire nier la gravité du drame humain causé par le Mediator.
      > Dans son ouvrage La Médecine sans médecin ? (Gallimard, 2015), le professeur Vallancien écrit ceci à propos du scandale du Mediator : « La violence de la charge unique contre l’industrie avait de quoi choquer (…). Rares sont les malades qui furent meurtris par les complications liées au produit (…). Parmi les dossiers de plaignants (…) seul un nombre infime est à ce jour reconnu comme en relation avec la prise du produit incriminé. »
      > Plus tard, en 2016, Guy Vallancien s’insurgera publiquement contre le « Manifeste » de grands médecins et humanistes, Michel Serres, Axel Kahn, Rony Brauman, Claude Got et une trentaine d’autres signataires, alertant la communauté médicale du comportement ignominieux de la firme à l’égard de ses propres victimes.

      La conclusion d’Irène Frachon
      Il est à craindre qu’une telle commission, dont l’un des membres s’est abîmé, non seulement n’apporte aucune réponse raisonnable et raisonnée à la problématique soulevée, mais creuse un peu plus le fossé entre beaucoup de nos concitoyens et les élites qu’ils critiquent, à tort ou parfois à raison.

      Suite sur la commission Bronner (Macron) sur le complotisme, ci-dessous.
      ————————-

      Le fil de ce forum (cliquer ici) est dédié aux news anti complotistes et critiques de la gestion de l’épidémie par le gouvernement
      > Vos avis, contre-argumentations et analyses sont les bienvenues.
      Ils contribueront à l’organisation dans la région Annemasse-Genève de débats contradictoires

      > Voir ici notre proposition de débat.

      #6094
      René
      Maître des clés

        D’autres sources et un autre membre suspect dans cette commission anti complotisme du gouvernement

        – Marianne révèle que le sulfureux médecin, Guy Vallancien, a été sanctionné d’un blâme de l’Ordre des médecins pour certificat médical « mensonger » et « constitutif d’un manquement au principe de moralité » le 11.06.2021. (Lien ici)
        – Libération rappelle que ce medecin, l’urologue des stars, qui a soigné François Mitterrand, était à la tète du Centre du don des corps de l’université de médecine René Descartes à Paris de 2004 à 2014, dont les conditions indignes de conservation des dépouilles ont conduit à l’ouverture d’une enquête (lien ici).

        Ci-dessous, Rudy Reichstadt, fondateur et directeur de Conspiracy Watch (l’un des autres membres de la commission anti complotisme)

        Rudy Reichstadt, fondateur et directeur de Conspiracy Watch
        Le Monde Diplomatique en dresse un portrait (voir ici). En voici quelques points : Il fonde en 2007 Conspiracy Watch mais Rudy Reichstadt n’a rien d’un chercheur. Et son site relève davantage du blog collectif que d’un quelconque « observatoire ».
        > Son acharnement à traquer les conspirationnistes de tous poils lui gagne la sympathie de l’historien Pierre-André Taguieff et de Bernard-Henri Lévy, lequel lui ouvre les portes de sa revue La Règle du jeu. Célébré par Caroline Fourest comme un « éclaireur », il s’impose dans les médias en tant qu’expert ès théories du complot. Il multiplie les entretiens et les tribunes dans Le Monde, Libération, Le Parisien, etc. Quand les universitaires Gérald Bronner et Pierre-André Taguieff ne sont pas libres, c’est lui qu’on invite pour commenter les dernières élucubrations sur tel ou tel attentat.
        > Mais Rudy Reichstadt n’aime pas les critiques. Pour s’y être essayé, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), s’est vu accusé de « banaliser » les théories du complot antijuives.
        – Il n’aime pas non plus ce qui lui paraît trop à gauche :
        > le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn, accusé de « liens avec la mouvance conspirationniste » ;
        > le sociologue et vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies Jean Ziegler, qui aurait un « tropisme conspirationniste » ;
        > Jean-Luc Mélenchon, dont les conceptions de politique étrangère rejoindraient « les obsessions conspirationnistes martelées depuis des années par des médias iraniens et russes »
        > ou l’économiste et philosophe Frédéric Lordon, qui dépasserait la question du complotisme par « plus de complotisme ensemble ».

        Que faut-il attendre d’un gouvernement qui crée des commissions ad hoc pour justifier ses prises de décision ?

        Suite dans le message ci-dessous, le cas Gérald Bronner, à la tête de cette commission.

        #6095
        René
        Maître des clés

          L’un des objectifs de la commission nommée : Les Lumières à l’ère du numérique.


          « Définir un consensus scientifique qui sera mis à disposition du grand public, des médias, des acteurs de la société civile sur l’impact d’Internet dans nos vies de citoyens : notre information, notre rapport à l’autre, notre représentation du monde et de nous-même, notre exposition à des biais cognitifs qui peuvent enfermer. » (Voir ici, site de l’Élysée les 3 grands autres objectifs)


          La déclaration date du 11 mars 2020, soit peu avant l’annonce du 1er confinement du président le 16 mars.
          Source ici : France Culture, La Grande Table des Idées

          Mon commentaire
          Bronner, spécialiste de la radicalisation, a creusé le sillon du biais cognitif pour expliquer les dérives de la pensée. Cet angle d’analyse n’a rien de « scientifique » ni de sociologique. Les biais cognitifs ne sont pas une science en elle-même, mais un mode de fonctionnement de la pensée découvert par le prix Nobel d’économie, Daniel kahnemannote 1. En effet, il faut bien plus que des « biais cognitifs » (des erreurs de raisonnement) pour se radicaliser, pour se laisser embrigader dans des mouvements extrémistes. Sur ce point, les analyses de Gilles Keppel et d’Olivier Roy font davantage autorité pour comprendre le radicalismenote 2. D’ailleurs, les centres de déradicalisation initiés par Gérald Bronner se sont vite révélés inconsistants pour traiter ce genre de problèmes qui dépasse le seul « individu ». L’être humain n’est pas mu uniquement par des modèles de pensée consciente, utilitariste, calculatrice. Le mal « radical » est social, profond, il implique des logiques internationales, géopolitiques, économiques, mais aussi des valeurs morales, des maux psychologiques et des liens d’attachement, de loyauté.

          Ce professeur de sociologue ne dresse pas d’analyses sociologiques documentées, il s’appuie plutôt sur des sondages, des méta-données. Il vous parlera toujours de masse d’information, de quantité phénoménale qui trouble le jugement, d’inclination à la facilité auxquelles se laisse prendre le peuple non averti, sans discipline. Son angle d’attaque incline toujours vers le mépris de classe, bien qu’il s’en défende. Gérald Bronner le précise, car il est lui-même un « transclasse ». Mais il croit en l’autorité instituée qui peut éduquer les non-éduqués, ceux qui sont restés prisonniers de leurs biais cognitifs. C’est comme si, in fine, les gens raisonnables, se comporteront bien et suivront sans broncher les directives du gouvernement une fois qu’ils seront avertis des biais cognitifs dont ils sont victimes. Ainsi, ils seront de bons citoyens, éveillés, disciplinés. Mais, il n’en est rien, les écoles de commerce n’enseignent les biais cognitifs (qui conduisent ensuite à la théorie des nudges et à en maîtriser les usages) que dans le but de manipuler les pensées et d’orienter les choix des clients. Ci-dessous, Edgar Morin, l’un des critiques de l’approche sociologique de Gérald Bronner

          Gérald Bronner est un opposant à la pensée de Bourdieu, non pas un critique pour affiner la pensée du « maître » (comme Bernard Lahire) ou comme Alain Touraine pour comprendre les fondements d’une sociologie de l’action ou encore comme Max Weber pour une sociologie compréhensive, mais un opposant, une sorte d’ennemi à la discipline même de la sociologie. En effet, il entend révolutionner la pensée sociologique en la réduisant au formalisme de la science physique, de la démonstration mathématique (voir ici : Le danger sociologique). Résumons la pensée de « Bronner » : les déterminismes sociaux ne sont rien par rapport à la liberté des individus, si seulement ils ne se laissaient pas prendre par des biais cognitifs. Ainsi, Gérald Bronner défend le « marché », qui n’est pas responsable de la demande des gens, car précisément, le marché s’adapte à cette demande. Ce niveau d’argumentation est strictement « idéologique » et correspond à 100% au paradoxe ultra libéral imposé d’autorité et par Macron et son administration. Autrement formulée la pensée du sociologue : quel que soit l’environnement, les plus adaptés exerceront leur liberté de choix, l’environnement n’est rien, la méritocratie fera le reste. L’orientation idéologique de l’auteur se tient dans cette trame. (Source de la citation sur le marché ici : A-t-on le droit de critiquer Bourdieu ? Dans les Chemins de la connaissance)

          Autres faits d’arme de Gérald Bronner

          Gérald Bronner, dans le JJD, titre: « Les manifestants sont si bruyants qu’on a tendance à croire qu’ils sont représentatifs ».
          Selon le sociologue : « la majorité des Français approuve ce dispositif (celui du pass sanitaire). Et dans la partie de la population qui n’approuve pas, il n’y a qu’une petite minorité qui va manifester ; et au sein de cette minorité, une minorité encore est anti-vaccination et conspirationniste. Pourtant, on leur donne une visibilité maximale. C’est la tyrannie des minorités de faire passer de la visibilité pour de la représentativité. Ils existent mais ils sont si bruyants qu’on a tendance à croire qu’ils sont représentatifs. Ça donne une lecture hystérique du mouvement. »(source ici, le 14.08.2021)

          Pour un contre-point, on écoutera l’analyse du journaliste Cemil, du Média, qui a une lecture pertinente du mouvement social, des manifestations et de ce qui est cause de violence . (Voir ici. Ci-dessous, une image vidéo de son reportage sur les manifestations antipass)

          Cela dit, sur un plan sociologique, plutôt que de cliver les populations entre antivax et provax, tout en mettant dans le même sac antipass et antivax, et en collectant le tout dans le grand ensemble des complotistes, un sociologue sérieux s’y prendrait autrement. Il ferait d’abord une enquête « compréhensive » de ce phénomène, c’est-à-dire, il interviewerait une diversité de publics puis, à partir des caractéristiques observées (des comportements et des manières de penser), il construirait des typologies et, pour aller plus loin, il calculerrait des pourcentages des types de populations concernées par les typologies dressées. A titre d’exemple pour le public dit « anti-vax », on verrait ceux qui sont plutôt sensibles à la privation des libertés sur un plan politique, d’autres qui le sont davantage sur un plan « médical », d’autres qui sont plutôt dans le ressentiment et la colère contre les mesures prises et de leurs conséquences économiques, d’autres qui sont plutôt bien informés, d’autres encore qui dresseront l’analyse politico-idéologique du phénomène, tandis que la part du public véritablement anti-vax (contre toutes sortes de vaccins) constituerait une minorité (voir ici, la vidéo de Guillaume Fleurance). Enfin, le sociologue ne doit pas « nier » le biais énorme que représentent les rapports d’autorités et du secret défense dans lequel le gouvernement s’est lui-même enfermé. Ce biais, à lui seul, peut conduire à juste raison, que des « complots » se trament au sein même du gouvernement. En résumé, si près de 75% de la population s’est faite vacciner, cela ne signifie pas que tous l’ont fait en y consentant librement, bien au contraire, le pass sanitaire est là pour les y obliger. (Voir ici l’analyse de Didier Fassin : Les thèses comspirationnistes. Collège de France)

          Gérald Bronner, leader d’une tribune infâme.
          Gérald Bronner est à la tête des 8 signataires qui signent une tribune dans le Monde (voir ici) contre le sociologue Laurent Mucchielli, et en appellent CNRS pour une « réaction plus ferme ». Remarquons que, Gérald Bronner, en sous-titre de cette tribune, souligne que le sociologue Laurent Mucchielli tente de « Autrement dit, Gérald Bronner sait que les vaccins anti-covid sont inoffensifs. Qui de lui ou de l’accusé est le plus « idéologue » ? Or Laurent Mucchielli ne s’exprime pas au sein du CNRS mais sur son blog de Médiapart. Sa chronique est dûment documentée, sérieuse, mais elle ne relève pas d’une étude « universitaire » en tant que telle, et elle n’est pas présentée ainsi. Laurent Mucchielli répond à cette tribune collective sur son blog, la consulter ici.
          Pour info, dans ce forum, vous trouverez l’analyse de Boris quant à la censure du billet de Laurent Mucchielli (ici)

          Pour conclure
          Je n’ignore pas que le politique doit résoudre une articulation entre le « je » et le « nous » (l’individu et le collectif), mais précisément, c’est une dialectique qui se dépasse dans un ensemble de valeurs liées à la justice. Il ne s’agit pas de faire gagner l’individu sur le collectif (ou l’inverse) et t’attiser le feu des rivalités infinies (René Girard et le désir mimétique). Non, les ennemis de la démocratie oublient (ou nient ?) les vertus des rapports d’entre-aide et de coopération, la capacité des groupes à participer au projet commun d’une société. Ils nient que l’intelligence collective se construit davantage dans l’échange, le dialogue, la recherche de problématiques, plutôt que dans des rapports de force qui désignent le vainqueur ultime (l’homme providentiel), ce principe d’autorité « archaïque », celui qui doit faire marcher les foules et taire les minorités, car elles sont par nature éperdues.

          « ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. »
          Citation de Pascal (voir ici le contexte, Pensées de Blaise Pascal) Pascal nous le rappelle, la justice se construit dans des rapports de force, elle s’obtient par une lutte, car le fort se moque très rapidement de la justice dès qu’il détient les clés du pouvoir. Le dialogue et les interactions sont à construire, à faciliter, à encourager… « La connaissance » ne doit pas être assénée sur le mode autoritaire et violent du gouvernement.

          Notre conseil au gouvernement est simple, s’il veut obtenir la confiance du peuple :

          Les notes 1 et 2 sont dans le message ci-dessous

          #6097
          René
          Maître des clés

            On prend les paris ?
            #6117
            René
            Maître des clés

              La « science des biais cognitives » a le vent en poupe, et Mr Science de Macron, Gérald Bronner ne compte que sur elle. Cette sous-discipline, dont s’emparent l’économie et les neurosciences, n’est pourtant pas une science établie (une discipline universitaire), et elle fait l’impasse sur des aspects constituants et structurants de notre rapport à l’autre. En voici un bref aperçu ci-dessous, il sera approfondi dans des messages à venir.

              Daniel Kanheman (l’inventeur des biais cognitifs) était l’invité des Matins de France-Culture récemment (octobre 2021). On peut l’écouter ici.. Sa théorie sur les biais cognitifs (système 1 et 2) a été mise à jour et, dans cette conférence (sept 2021, cliquer ici), le chercheur en neurosciences, Thomas Boraud, décrit très bien les processus de décision et « ses bruits », autrement dit, tout ce qui empêche de prendre une décision claire, rationnelle. Le contre-point (les limites et l’idéologie sous-jacente à cette approche de la prise de décision par les neurosciences, nous est apporté par les auteurs Dan Sperber et Hugo Mercier dans leur dernier ouvrage.
              > Selon les auteurs, l’usage de la raison est « social », plutôt que calculateur, à strictement parlé. Le calcul n’est qu’une compétence de la raison. Et, si la raison se trompe avec des « bruits » (et des biais) ces derniers ne sont pas des parasites qui empêchent d’atteindre la vérité des choses. En effet, les « bruits » sont des données sociale de la culture, de l’environnement et ils sont structurant d’un rapport à soi-même et à l’autre. Ce sont donc des informations et, en tant que telles, il s’agit de savoir les prendre en compte, les comprendre, les interpréter et les articuler avec la raison « rationnelle ». Il ne s’agit pas de les exclure, de les considérer comme rien. Les auteurs (avec Hugo Mercier) étaient à France Culture (ici) dernièrement pour parler de leur dernier ouvrage :L’énigme de la raison. Co-écris avec Hugo Mercier , chez Odile Jacob (voir ici)
              > Nous y reviendrons plus tard (dans la suite de ce forum).

              Suite du message se rapportant à Gérald Bronner (plus haut dans ce forum, cliquer ici)
              Note 2 : Par rapport au radicalisme, Gilles Keppel dresse une analyse plutôt géopolitique de la mouvance radicaliste, tandis qu’0liver Roy observe les mouvements locaux et sociaux qui conduisent à s’inscrire dans une telle mouvance. En fait, ces deux mouvements se recoupent et s’articulent parfaitement bien. Le terrorisme islamique peut être comparé à un ensemble de poupées russes qui s’inter-influencent en partant d’un niveau international et descendant jusqu’à la localité de certains quartiers dans quelques pays. Ainsi, on peut y lire des conflits géo-politiques et religieux qui partent du Moyen Orient, aggravés par des logiques de domination économique, qui appauvrissent un nombre croissant de populations, et avec lesquels des poignées de jeunes des banlieues (en faillite avec des repères familiaux et sociétaux) vont s’identifier, parce qu’ils se sentent eux également, discriminés.
              On voit ici une idée de « globalité », de totalité, et le concept de « fait social total » de Marcel Mauss (anthropologue) doit pouvoir nous inspirer (voir ici, sur le site : je retiens).


              On prend les paris ?

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              Le fil de ce forum (cliquer ici) est dédié aux news anti complotistes et critiques de la gestion de l’épidémie par le gouvernement
              > Vos avis, contre-argumentations et analyses sont les bienvenues.
              Ils contribueront à l’organisation dans la région Annemasse-Genève de débats contradictoires

              > Voir ici notre proposition de débat.

              #6128
              René
              Maître des clés

                Une synthèse comparative des approches et des ouvrages de Sperber/Mercier et de Kahneman/Sibony
                Ci-dessous, la couverture du dernier livre de Daniel Kahneman 2021. Noise

                Commentaire de l’ouvrage Noise.
                Noise, c’est le bruit qui interfère avec nos prises de décision, et le sous-titre est sans ambiguïté : c’est ce qui conduit à nos erreurs de jugements, qu’il s’agit donc d’éviter. Notre schéma est, on ne peut plus clair, cette visée présuppose que la raison n’a d’intérêt que si elle fonctionne avec comme norme, un curseur positionné sur l’exactitude, la méthode, la quantification. Tout le reste est « bruit », diversion, influences, biais, erreurs, sensiblerie. Les critères et les conséquences éthiques de cette normalisation par le calcul sont passés sous silence. Ou plutôt, pour les auteurs, l’éthique y trouvera son compte par le calcul statistique. Nous y reviendrons. Pour l’instant, retenons que les auteurs identifient trois sources d’erreur, l’ignorance, le biais et le bruit (qui comprend le bruit de pattern et le bruit occasionnel).
                1° L’ignorance est hors radar. On ne sait pas ce qu’elle contient, par définition, on ne peut en parler ni la prendre en compte dans ses réflexions, car elle est inexistante. N’y revenons pas.
                2° Le biais cognitif correspond à une erreur dans la procédure d’un jugement, lequel se laisse influencer par des biais de confirmation, d’ancrage, de halo, etc. , ce qui correspond à l’ensemble des biais déjà dénoncés dans la théorie bien connue des systèmes 1 et 2 des auteurs.
                3° Le bruit, en revanche, n’est pas hors radar, mais sous le radar : la conscience le perçoit et se laisse influencer, tout en ignorant qu’il est cause d’une influence quelconque dans son choix. C’est un peu comme les biais cognitifs, à la différence que ces « bruits » sont constitutifs d’un rapport à notre « identité ». Autrement dit, certains d’entre eux seront à l’origine d’une dissonance avec le sentiment de soi, et la conscience peut avoir du mal à identifier ce « bruit ». Pour cela, des « audits de bruit » ont été menés. On reconnait ainsi un bruit systémique, lequel définit un « niveau de bruit (un environnement bruyant pour ainsi dire), qui comprend à son tour des bruits occasionnels et des bruits de pattern.
                Le bruit occasionnel est lié à des influences ponctuelles (on ne prend pas les mêmes décisions le matin ou l’après-midi), le bruit de pattern est beaucoup plus profond, il correspond à des normes professionnelles, éducatives, sociales qui doivent être prises en compte pour mettre en oeuvre une pensée formelle, mais les abstractions à opérer peuvent se révéler conflictuelles (par exemple, pour un professeur, attribuer une bonne note pour encourager, plutôt que pour définir une hiérarchie des élèves. Pour un médecin, prescrire un traitement alors que les études le concernant sont contestées) Il y a dans ces cas-là, des bruits de pattern. Ils sont profonds et plus difficiles à contourner. Mais qu’à cela ne tienne, dans une institution, un groupe, une administration, une entreprise, on peut et on veut réduire ce bruit pour s’en tenir aux objectifs. Dès lors, il faut s’en remettre aux statistiques et à des moyennes générales.

                En effet, Daniel Kahneman et les auteurs de l’ouvrage croient en des procédures objectives, afin d’encadrer les jugements mal ficelés. Il suffit d’étalonner les jugements avec des cas similaires et « faire la moyenne de plusieurs prévisions indépendantes, c’est la garantie que le bruit sera réduit de moitié́ ». Selon les auteurs, la pensée statistique est bien plus juste que la pensée causale pour évaluer une réalité donnée. « C’est le principe de la sagesse des foules : les jugements produits par un grand nombre de personnes permettent en général de se rapprocher de la bonne réponse. »

                Commentaire
                Trois critiques par rapport à cette approche.
                1° L’approche statistique (hyergénéralisante) et modélisée est la négation du particulier, qui contient beaucoup plus que le modèle dans lequel on l’enferme.
                2° l’effet de déracinement, la condamnation de son jugement personnel qui, paradoxalement peut conduire à l’assurance/arrogance de savoir juger en faisant abstraction de toute sensibilité, de tout bon sens et de tout ce qui relève de la « subjectivité ». C’est l’abandon d’une capacité critique au profit d’une pensée abstraite, imaginaire, non conceptuellement « ciselée », non philosophique dans le bon sens du terme, mais automatisée, procédurale. Cela correspond à un dogme : pas de vérité sans procédure ad hoc. En effet, les procédures pour les vérités à venir, et selon les disciplines concernées (économie, physique, sociologie, biologie, médecine, etc.) ne peuvent pas être fixées d’avance. Cela pose plusieurs questions : qui fixe les normes de la procédure ? Quelle ouverture reste-t-il pour ouvrir les champs de la découverte, de la sérendipité, de la liberté de chercher et des chercheurs ? Quelle éthique pour la science et son avancée ? Quelles conséquences sociales, humaine pour une science appliquée à partir de telles normes ?

                3° Adopter cette façon de penser, se persuadent les adeptes, c’est aller vers la vérité des choses, l’éthique s’y retrouve par l’élimination des erreurs, une recherche plus efficace et rapide.

                En résumé, l’efficacité de la théorie des systèmes 1 et 2 doit probablement son succès à ses fins « utilitaristes », dont l’économie de marché s’est emparé dans ses différents niveaux : commerciales/marketing, industrielles, financières. Pourtant, cette pensée utilitariste est détournée de ses fondements, cette philosophie doit se rapporter au bonheur du plus grand nombre, de plus, ce plus grand nombre doit être consulté. On connait les limites la pensée utilitariste : elle renie le singulier, la sensibilité, la qualité et elle accorde sans critique, la raison au plus grand nombre.

                Autres impasses à cette approche du tout quantifiable par agglomération de moyennes. La pensée utilitariste rejette les potentialités de l’intelligence collective qui s’épanouit avec l’esprit de coopération (au sein d’interactions respectueuses de l’autre). Elle se protège des « valeurs d’attachement » à la communauté humaine, du sens de l’investissement pour la cause de nos semblables, elle isole l’individu sur lui-même. En conséquence, elle rejette le sentiment de contribution à la communauté qui grandit avec la responsabilité attachée à nos actes. Ainsi, et la faille est connue, les sciences du comportement visent directement à agir sur les consciences et les corps en promouvant l’exactitude d’une pensée « modélisée » qu’elles prennent pour guide, elle rejette en cela le dialogue interpersonnel (le récit de soi, le dialogue avec soi, la connaissance de soi). Cette neuroscience des comportements participe du biopouvoir, c’est-à-dire, de la gouvernance des corps, des perceptions, des comportements pour fabriquer de l’obéissance en vue d’un profit plus grand. De leur côté, et pour les renforcer, les algorithmes des programmes s’inscrivent dans cette logique, ils sont pensés dans le but de faire agir, et non dans celui d’aider à prendre du recul, à organiser une pensée en train de se faire, à la structurer, à réfléchir sur nos catégories de jugement, à faciliter l’esprit de coopération ; à penser l’éthique tout simplement, c’est-à-dire, à ce qui doit constituer la justice du monde en train de se faire.

                En contre-point à cette théorie des biais cognitifs et de leur prêt-à-penser, le message suivant (ci-dessous) de Dan Sperber et Hugo Mercier. Selon ces auteurs (philosophe et science de la cognition), les bruits et les biais cognitifs sont précieux et utiles en ce sens qu’ils participent de la condition de nos apprentissages, de notre identité et de l’évolution des sociétés. Ce serait un non-sens que de réserver l’usage de la raison qu’à une de ses seules figures d’abstraction, la statistique (le formalisme), et de rejeter tout le reste.

                #6129
                René
                Maître des clés

                  Dan Sperber et Hugo Mercier se représentent les opérations de raisonnements conduites par une succession d’inférences intuitives. Image ci-dessous.

                  Le cerveau, par nature, est vide (s’il n’est connecté à aucune perception). Il infère (du latin infero, mettre en avant, produire, alléguer, conclure), autrement dit, il induit, il établit un lien entre une chose et une autre à partir d’une prémisse (d’un fait, d’une observation, d’un sentiment, d’une autre raison, etc).
                  > A partir de là, une intuition « non consciente » se forme qui conduit à une représentation « consciente », mais basées sur des intuitions, c’est alors une intuition des représentations. Cette représentation intuitive inspire l’intuition des raisonnements, que la raison peut examiner de façon plus formelle et délibérée. C’est ainsi qu’une construction argumentée devient possible. C’est à ce stade que l’on observe et que l’on met en forme la schématisation et le formalisme de nos raisonnements. Schéma ci-dessous.

                  Dan Sperber et Hugo Mercier décrivent une genèse de la raison, ils en montrent les étapes et élaborent une proposition théorique (une heuristique pertinente, mieux qu’un modèle) dont la portée explicative est de fait plus vaste, plus inclusive que l’approche cognitivo-comportementale des biais cognitifs.
                  Comme nous le constatons dans les schémas ci-dessous, les intuitions se succèdent jusqu’à donner des formes à une raison « formelle », il n’y a qu’un seul mouvement de l’intuition à la raison (et non un rapport d’opposition) que l’on fait progresser vers plus de formalisme ou pas, et selon les circonstances. Pour le dire avec un peu de provocation, la raison ne sert pas à mieux penser par soi-même, elle sert surtout dans nos interactions avec autrui.
                  Les deux usages majeurs de la raison sont :
                  1° Produire des raisons pour justifier ses pensées et ses actes aux yeux des autres,
                  2° et convaincre, sous la forme d’arguments, les autres pour agir sur leurs idées, leurs intentions.

                  Le tout sert à coopérer entre nous (les humains) à grande échelle, et cela nécessite de se coordonner, de se faire confiance. L’usage de la raison est « sociale », c’est là qu’elle excède et qu’elle se déploie.

                  1° De fait, quand il s’agit de se justifier, la raison, selon le contexte, l’histoire, les époques, ce n’est pas le formalisme qui est nécessaire, mais un rapport de sens avec l’autre, avec soi. De manière très fondamentale, c’est notre rapport à l’humanité de l’autre qui importe (la non-ostracisation de soi ou de l’autre qui sont des mesures de punition extrême)
                  2 Et quand il s’agit de convaincre, la raison tend à rechercher des arguments solides/universels qui dépassent les intersubjectivités.

                  C’est ce qui explique les biais car, par ailleurs, la raison est peu exigeante avec elle-même quand elle raisonne en solitaire (elle est paresseuse si elle ne dépend que d’elle-même pour examiner sa propre pensée). En revanche, elle est stimulée dans le rapport à autrui où elle se trouve favorablement encouragée. Selon les auteurs, l’environnement « normal » de la raison, c’est l’interaction. Dans un environnement non hostile, l’intérêt pour la recherche du vrai l’emporte sur les rivalités. Pour le dire autrement, nos savoir-faire et nos compétences doivent moins à notre expérience individuelle qu’à la transmission sociale. L’outil de la raison peut certes servir à diviser, trahir, établir des normes, mais le processus de la raison au sein de l’évolution et par rapport à ses usages penche davantage pour sa fonction de « mise en lien » des choses et des gens.

                  Nous poursuivons notre lecture de cet ouvrage. En attendant, ci-dessous, quelques références :
                  Une recension de L’Enigme de la raison dans Open Edition.
                  Les auteurs étaient les Invités du Matin France Culture.
                  Dan Sperber, invité par la Tronche en biais.
                  Hugo Mercier invité par la Tronche en biais.

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