Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse La solitude n’existerait-pas ? Peter Sloterdijk, sujet du 13.10,2014 + restitution + une carte mentale

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  • #5102
    René
    Maître des clés
      La solitude n’existerait-pas ?

      Questionnons la proposition avec Peter Sloterdijk

      « Toute la problématique de la première philosophie européenne découle du fait que les Grecs appelaient les humains « les mortels ». Lorsque la décision est prise de mettre l’accent sur la mortalité, on se tourne vers l’adulte, l’exemplaire complet de l’être humain. Face à l’homme qui sait qu’il meurt, on a toujours l’impression que la solitude sera la vérité ultime de l’existence.
      Or, il serait tout à fait concevable de mettre l’accent sur l’autre pôle de l’existence : la naissance. Dans l’histoire des idées, ce motif a été évalué tardivement, par Heidegger, Hannah Arendt ou moi-même. Ici, la natalité devient décisive. Or, elle ne porte aucune trace de solitude : naître, c’est affronter un comité d’accueil – et la première pré-idée du nouveau-né est : ici, il y a du monde. Les gens d’abord, les choses ensuite. Il n’y a donc que des nouveaux venus qui, au sein de la famille, expérimentent cette tonalité profonde de l’accueil qui donnera sa forme à ce qui plus tard deviendra « le monde ». Philosophiquement, nous vivons un tournant qui mène d’une priorité de la mortalité à la natalité. Les hommes du XXIe siècle ne seront plus des mortels mais des naissants, des êtres natals. Pour repenser les droits de l’homme à la hauteur de nos savoirs, il faut concevoir une humanité au-delà du diktat de la mortalité pure – une humanité dont les ressortissants expriment la volonté de venir au monde jusqu’au bout. »

      Source:
      Peter Sloterdijk dans la revue Clés (accès à l’interview dans sa totalité ici)
      Autre ressource:
      Question de communication ( Tanguy Wuilleme de l’université de Nancy)

      Procédure proposée pour ce débat :
      • Lecture du texte
      • Récolte des questions (en plus de la question suggérée)
      • Mise en ordre des questions retenues pour la discussion
      • Débat.

      _______________________________________
      #5117
      René
      Maître des clés
        Restitution de quelques problématiques soulevées lors de notre débat
        La solitude n’existe-t-elle pas ? D’après un texte de Peter Sloterdijk

        Une remarque préliminaire concernant l’interprétation du mot « natalité » : l’auteur utilise les mots « naissance » et « natalité » comme étant des synonymes, or le terme « natalité » renvoie généralement à la démographie, à l’étude des populations, mais dans son texte, l’auteur fait référence à la notion de naître, à ce qui entoure l’action de naître :[…] il serait tout à fait concevable de mettre l’accent sur l’autre pôle de l’existence : la naissance. Dans l’histoire des idées, ce motif a été évalué tardivement, par Heidegger, Hannah Arendt ou moi-même. Ici, la natalité devient décisive[…].Or, elle ne porte aucune trace de solitude : naître, c’est affronter un comité d’accueil […] Philosophiquement, nous vivons un tournant qui mène d’une priorité de la mortalité (la philosophie c’est apprendre à mourir) à la natalité (la philosophie c’est apprendre à naître).


        Des questions posées au début du débat

        – Qu’est-ce que la solitude ?
        – La solitude est-elle nécessairement triste ?
        – La solitude n’est-elle pas le lieu du rendez-vous avec soi-même ?
        – Y-a-t-il une sorte d’épidémie de solitudes qui se propage en raison de nos modes de vie et, paradoxalement de l’utilisation des réseaux sociaux ?
        – La proposition de Sloterdijk : «La solitude n’existe pas », n’est-elle pas un déni de réalité ?
        – Quelle est la place de l’héritage (transmettons-nous la mort ou la vie lorsque nous communiquons aux autres la solitude que l’on porte en soi) ?

        Quelques problématiques résumées

        La solitude se présente-elle comme la solution à un problème ?
        – Choisissons-nous la solitude, faute de se trouver de meilleures compagnies ?
        – La solitude est-ce une fuite face à la difficulté d’entrer en relation avec autrui ?
        – L’opposé de la solitude est-ce le surbooking, est-ce l’oubli de soi dans la foule ?
        – L’opposé de la solitude, est-ce entrer en communion avec autrui, avec la nature, avec l’univers ?
        – Je crois que la solitude est le détour obligé qui permet de se retrouver soi-même. Comment puis-je connaître mes limites si je ne me reconnais pas dans une certaine solitude avec moi-même ?

        Qu’est-ce qu’être seul ?
        – Vous êtes seul quand, sur le lit d’un hôpital, votre médecin vous annonce que vous êtes gravement malade.
        – La solitude est souvent douloureuse, presque impossible à soutenir.
        – On est seul quand on nous abandonne.
        – La solitude est parfois pathologique, elle nous entraîne vers plus d’isolement, vers de l’enfermement, vers de la dépression.
        – On meurt toujours seul.
        – Je pense au contraire qu’on n’est jamais seul, on est toujours en compagnie de nos propres pensées. Sloterdijk parle de la face cachée du moi, d’un double du «moi» inconnu, et avec lequel on peut dialoguer.
        – La solitude peut revêtir un caractère initiatique, c’est comme saisir qui on est réellement.
        – Peut-être devons-nous différencier le fait d’être seul du sentiment de solitude, lequel, s’il est subi, est douloureux, pénible.

        A quels sentiments ou impressions renvoie la solitude ?
        – A un vide, au froid, à la mort.
        – A un sentiment d’abandon.
        – A de la tristesse, à de l’ennui.
        – Au sentiment de n’être pas compris.
        – Mais la solitude n’est pas seulement négative, on peut la rechercher pour la paix intérieure qu’elle procure.

        La solitude n’existe pas
        – A mon avis, la solitude n’existe pas plus que le vide absolu dans l’univers. Les atomes communiquent entre eux, et l’espace est comme un champ d’énergie dans lequel ils dansent. « Nous sommes des poussières d’étoiles » (Hubert Reeves).
        – Du point de vue psychologique, le sentiment de solitude provient des premiers stades de notre enfance (stade de la prise de conscience de l’identité du «moi» et du corps comme étant séparé du reste du monde). Cette expérience peut donner l’impression d’une réminiscence d’une relation blessée.
        – Selon Peter Sloterdijk : « Il y aurait un moi profond moins mortifère que le moi de surface qui va vers la mort. »
        – En fait, Il faut distinguer l’impression que l’on ressent, et la mise en mots du sentiment de solitude que l’on s’efforce de traduire. La qualité d’un sentiment est toujours un ressenti que l’on interprète.

        L’expérience du sentiment de solitude
        – Comment comprendre la phrase suivante de Sloterdijk : « Face à l’homme qui sait qu’il meurt, on a toujours l’impression que la solitude sera la vérité ultime de l’existence. »
        – Le terme «ultime» renvoie aussi bien à la dernière étape sur un plan chronologique, qu’à la plus haute valeur sur un plan éthique.
        – Au niveau physique, cela peut être aussi un arrêt cardiaque, et au niveau psychologique, cela peut être une extrême solitude.
        – Comme la plupart des êtres humains se reproduisent, la vérité ultime de l’existence de chacun, c’est l’héritage qu’il laisse.

        Pour moi, l’ultime est une valeur intérieure
        – On vit tous des fractures : la prise de conscience de notre singularité, de notre solitude est ressentie comme une rupture d’avec le monde. Le sentiment d’une fracture vient après l’innocence première que l’on perd à la suite d’épreuves (ruptures amoureuses, deuils, difficultés liées à l’adolescence.)
        – Comment revient-on de l’expérience d’être seul avec soi-même ? A partir de sa propre solitude, comment repense-t-on le monde ?
        – Souvent j’ai l’impression qu’on ne sort pas indemne de l’expérience de sa solitude. Elle est un traumatisme à partir duquel on détermine sa « philosophie de vie ». On se résigne, on duplique nos pathologies, et on accuse la vie d’être mal faite plutôt qu’on ne questionne les représentations que l’on en a.
        – Comment finalement parvient-on à s’approprier son moi profond, la face cachée de soi-même ?
        – Comment apprend-on à « naître » ?

        La généralisation d’un sentiment personnel
        – Ce qui m’étonne, c’est que la solitude, vécue comme la partie la plus profonde de soi, se présente comme une vérité pour chacun, et on se convainc qu’elle est la vérité de tous. Paradoxalement, la partie de soi qui est la moins identifiée est interprétée comme étant la plus générale et la plus commune à tous.
        – En psychologie, on appelle cela de la projection, on projette sur autrui ce que l’on est soi-même.
        – Le sentiment de solitude est partagé par tous, mais il est propre à chacun. Pour que notre singularité s’exprime, il nous revient de mettre des symboles, des mots, des souvenirs, ou des théories sur les aspects cachés de soi-même.

        Une conscience de la solitude, un processus en mutation
        – J’aimerais faire le lien avec les réseaux sociaux, qu’on accuse de nous isoler dans un monde virtuel. Ces réseaux facilitent l’expression de l’imaginaire dans nos relations, et je me demande s’ils ne mettent pas en lumière la face cachée de notre moi profond ?
        – Aujourd’hui, on n’expérimente plus le même type de solitude existentielle comme on le faisait avant internet, aujourd’hui on se connecte via nos imaginaires. Nos solitudes sont interconnectées, elles forment des réseaux de désirs fantasmés toujours en mouvement.
        – Hum ! On existe via un profil idéel, on peut communiquer avec tout le monde…, mais on ne peut compter sur personne.
        – Le sentiment de la solitude se modifie par le fait même de l’exprimer sur du papier ou sur la toile, et il se modifie à nouveau en le communiquant à autrui.

        Naître et mourir
        – Selon Peter Sloterdijk, le malheur est très souvent un héritage, et il faut savoir ne pas l’imposer à ceux qui nous suivent. Les « Lumières » sont une entreprise pour contrer l’idée du destin, pour stopper le cycle infernal de la répétition stérile des petites morts.
        – On peut en effet considérer que l’on porte en soi de la mort, des compulsions de répétition, des schémas comportementaux pathologiques, une propension à transmettre ses névroses en guise d’héritage….
        – Mais en évitant de se focaliser sur la mort, de quelle manière se dispose-t-on à «naître», à rencontrer, à accueillir, à être dans une dynamique productrice de vie ?
        – Peut-on vivre sa vie comme une naissance perpétuelle, dans le mouvement d’une vie qui s’écoulerait comme en « streaming » ?
        – A mon avis, c’est possible, mais seulement pour des êtres virtuellement accomplis (des espèces de sages sans ego). Pour la plupart d’entre nous, on doit se dépêtrer avec son passé, naviguer entre des écueils divers : se retrouver soi-même, se différencier d’autrui, se réajuster, faire le point, rencontrer l’autre…
        – En somme il faudrait retenir l’idée que le philosophe ne doit pas seulement apprendre à mourir, il doit également apprendre à « naître ».

        #5120
        René
        Maître des clés
          La carte mentale du sujet
          Si elle n’est pas nette, cliquez sur le lien dans « Fichier attaché » ci-dessous. Merci de votre compréhension.

          Cartementalelasolitudeexiste-ellePeterSloterdijk.pdf

          Lasolitudeexiste-t-elleDaprsPeterSloterdijk.png

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