Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Le langage trahit-il la pensée ? Sujet du 04.08.2014 + restitution + 1 carte mentale

6 sujets de 1 à 6 (sur un total de 6)
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  • #5055
    René
    Maître des clés
      Le langage trahit-il la pensée ?

      « Le génie des langues orientales, les plus anciennes qui nous soient connues […] n’ont rien de méthodique et de raisonné; elles sont vives et figurées. On nous fait du langage des premiers hommes des langues de géomètres et nous voyons que ce furent des langues de poètes. On ne commença pas par raisonner, mais par sentir. On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins; cette opinion me paraît insoutenable. » Jean-Jacques Rousseau, 1781.

      Dans son Essai sur l’origine des langues, Rousseau se demande d’où procède la parole primitive qu’il distingue du simple cri naturel. Le langage, selon Rousseau, n’est pas né de nos besoins, ni de la raison, mais de nos passions.
      […] Ce n’est ni la faim, ni la soif mais l’amour, la haine, la pitié, la colère, qui ont arraché les premières voix aux hommes. Les fruits ne se dérobent point à nos mains; on peut s’en nourrir sans parler: on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître : mais pour émouvoir un jeune coeur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodiques ».
      Extrait de texte tronqué, voir l’original sur Le blog de Simone Manon

      Partons avec ces premières questions :
      – Le langage trahit-il la pensée ?
      – Que cache le langage, que dévoile-t-il,
      – Que permet-il, que peut-on attendre du langage ?

      « Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde »
      Ludwig Wittgenstein 1889 -1951

      Références utilisées ou que j’utiliserai pour notre débat :
      – Un court article sur Sciences Humaines : Peut-on penser hors langage ?
      – Une série d’émissions de France-culture : « Pas la peine de crier » diffusé entre le 20 et 23.01.2014
      > > Nous sommes des mammifères parlants. Jean-Marie Hombert, linguiste, et Gérard Lenclud, anthropologue
      >> Pourquoi, comment le bébé se met-il à parler ? Ghislaine Dehaene-Lambertz, pédiatre, directrice de recherche au CNRS.
      >> La cure de parole. Anaëlle Lebovits-Quenehen, psychanalyste.
      >> Nous avons les cadrages pour vous faire parler. Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue.
      Ps : Concernant les liens audio ci-dessus, placer le curseur du temps vers 18mn après le début des émissions; moment où démarre véritablement le thème de l’émission.

      #5056
      René
      Maître des clés

        Une autre manière de poser le problème :
        L’étude des primates montre qu’ils pensent, ils élaborent des stratégies de chasse et de cueillette des fruits, ils forment des alliances avec les compères. On peut leur apprendre les rudiments du langage des signes, ils mettent en œuvre des associations d’idées. Ils sont capables d’opérations logiques, il y a donc une « pensée » du singe. 😉

        Ils sont dépourvus néanmoins d’un langage articulé, ils ne peuvent prononcer des mots et des phrases, et ils semblent ne pas pouvoir se représenter ce qui est abstrait, comme par exemple, le lendemain (le temps qu’il va faire), si bien qu’ils n’inventent pas le parapluie, ni ne transportent leurs outils. 😆

        En fait, plusieurs années sont nécessaires à l’être humain pour apprendre à parler, pourtant il communique dès les premiers instants de sa naissance, et même avant.
        Le langage peut-il traduire ce qui est infra langage, cette part intime de soi qui est lien, contact, communication, et qui a été si essentielle dans l’édification de notre identité ? :blink:

        #5057
        René
        Maître des clés
          J’ai trouvé ce texte sur le site : intellego (il y a trop de pub pour que je vous donne le lien). L’article a été écrit par Brasileira

          Introduction : Le langage est traditionnellement considéré comme l’instrument privilégié qui permet, à l’oral comme à l’écrit, mais également à travers le langage mathématique ou le langage des gestes, de traduire la pensée. En grec, le logos signifie d’ailleurs à la fois pensée rationnelle et langage. Nous verrons donc dans un premier temps comment le langage est finalement un grand allié fidèle de la pensée, quelles sont les limites de la confiance que la pensée peut accorder au langage et enfin, ce qui permet à la pensée de garder confiance en le langage.


          I. Le langage, allié fidèle de la pensée


          A. Une affinité d’essence entre le langage et la pensée

          Comme l’écrit Aristote, l’homme se distingue du reste des êtres en cela qu’il est doué de logos. Il faut entendre ce don comme la capacité à la fois de pouvoir « parler » et de concevoir des idées abstraites, propres à l’homme. La finalité du langage est, de ce point de vue, de permettre la mise en commun des pensées de chacun, qui ne peut se faire directement de conscience à conscience. Il y a ainsi une affinité d’essence entre le langage et la pensée, qui suggère que la pensée ne peut que faire confiance au langage.

          B. Le langage comme lieu même de la pensée
          On peut aller plus loin en affirmant que le langage et la pensée sont même consubstantiels, inséparables l’un de l’autre. Loin de trahir la pensée, le langage est bien plutôt l’élément sans lequel elle ne pourrait pas exister. C’est ce que veut dire Hegel quand il écrit que « c’est dans les mots que nous pensons ». Il s’oppose en cela à l’idée courante qui ne voit langage que comme le « véhicule » de la pensée. Selon cette opinion, la pensée existerait indépendamment des mots et serait parfois trop riche pour qu’ils puissent la traduire de façon juste. Au contraire, pour Hegel, ce que nous croyons ineffable, intraduisible en mots, ne tient qu’au caractère encore très vague et indéfini de ce que nous pensons. Notre pensée n’est vraiment pleinement en acte que lorsqu’elle arrive à s’incarner dans des mots précis.

          C. Le langage est toujours le témoin fidèle de la pensée
          Enfin, nous pouvons dire que mêmes les moments où le langage semble trahir notre pensée sont bien plutôt à voir comme des révélations de notre véritable pensée. Quand nous disons, par exemple, que les mots ont dépassé notre pensée, n’est-ce pas faire preuve de mauvaise foi ? L’exemple de ces actes manqués que sont les lapsus peut aussi être interprété comme le dévoilement d’une dimension inconsciente, car refoulée notre pensée (S. Freud). Ainsi, les occasions où la pensée semble « trahie » par le langage témoignent plutôt d’un manque de sincérité de notre part ou d’un manque de connaissance d’une part de nos pensées. Le langage nous oblige alors à être plus sincère envers nous-mêmes ou à mieux nous connaître.


          II. Limites de la confiance que la pensée peut accorder au langage

          A. Le langage contient en lui des facteurs de malentendus
          Pour que le langage remplisse fidèlement son rôle de médiateur entre deux consciences, il faudrait que les mots que nous utilisons aient bien pour tous la même signification. Or, un des caractères du langage humain est qu’il implique nécessairement une part d’interprétation. Les mots sont « équivoques », au sens où, pour un même signifiant, il existe plusieurs signifiés. D’autre part, comme le fait remarquer Hobbes, chaque homme investit chaque mot de ce qui correspond à sa propre expérience : En employant les mêmes mots, nous ne pensons pourtant pas exactement aux mêmes choses. Tous ces éléments attestent du fait que le langage n’est pas entièrement fiable quand il s’agit de faire connaître nos pensées à autrui.

          B. Le langage semble devoir trahir la singularité de la pensée de chacun
          Plus précisément encore, on peut douter du caractère approprié du langage à l’égard de ce qui constitue notre vie intérieure, avec ses « mille nuances fugitives », comme l’écrit Bergson. Les mots renvoient par essence à des généralités : Les employer, c’est donc toujours trahir ce que nous ressentons, nous, de façon authentique et singulière. Davantage encore, l’habitude que nous avons de recourir au langage fait que nous ne percevons plus de nous-mêmes que ce qui peut rentrer dans des mots. On peut donc dire que le langage va jusqu’à fausser la connaissance même de ce qui fait la singularité de notre personnalité, avec des sentiments et des émotions qui n’appartiennent qu’à elle.

          C. Le langage enferme la pensée à son insu dans certaines limites

          Enfin, nous pouvons ajouter que même la pensée dans ce qu’elle a de plus conceptuel peut avoir des raisons de se sentir trahie par le langage. Comme le suggère Nietzsche dans Par-delà bien et mal, la langue dans laquelle nous pensons nous détermine à penser selon certaines structures logiques précises, en raison des règles de grammaire notamment. L’élément dans lequel se forme la pensée est donc en même temps ce qui la conditionne et ce qui la maintient dans un certain cadre de pensée particulier. La pensée est en ce sens trahie dans son aspiration à la liberté et à la vérité. 


          III . Ce qui permet à la pensée de conserver sa confiance dans le langage

          A. Le langage est moins fautif que l’usage que nous en faisons
          Il y a donc dans l’essence même du langage un certain nombre de facteurs qui font que la pensée peut se sentir trahie dans son désir de communication, d’expression et même de libre élaboration. Pourtant il semble qu’il n’y ait pas d’autre solution pour la pensée que de recourir au langage, comme le fait observer Hegel. D’ailleurs, nous pouvons remarquer que ce n’est peut-être pas le langage en lui-même qui est un « traitre », mais plutôt la façon assez passive dont nous l’utilisons en général. Le langage pourrait alors contenir en lui-même la solution au problème.

          B. Le modèle de l’art et de la poésie

          Nous avons tendance, en effet, à prendre le langage comme quelque chose de donné, alors qu’il revient à chacun de faire l’effort de se l’approprier. Si nous nous sentons trahi dans notre désir d’expression, par exemple, c’est souvent parce que nous recourons par facilité à des formules convenues qui finissent par être anonymes et vides de sens. C’est ce que le poète Robert Desnos appelle « le langage cuit », qu’il oppose à un langage « cru », entendu comme un rapport créatif et inventif aux mots et aux expressions. C’est donc bien à chacun qu’il revient de ne pas se voir trahi par le langage.

          C. L’enjeu de la pluralité des langues
          Enfin, il faut remarquer qu’il existe une pluralité de langues et que celle-ci représente un enjeu important pour l’homme. En effet, comme le montrent les linguistes et les philologues, chaque langue porte en elle une certaine vision de la réalité. Par suite, apprendre et connaître une diversité de langues nous procurent un élargissement de notre capacité à penser. C’est dans cette mesure que le langage, au lieu de nous enfermer dans une certaine forme de pensée, peut au contraire nous ouvrir à une pluralité de perspectives possibles sur la réalité.

          Conclusion
          Il arrive, dans certaines circonstances, que ce que nous disons ne corresponde pas à ce que nous pensons réellement : C’est une forme d’incapacité à bien formuler sa pensée, une difficulté à transmettre les nuances de la pensée, ou encore, ce sont des lapsus révélateurs. Il est également courant de trahir la pensée des autres ou d’être victime d’une trahison de sa pensée par autrui. Ainsi le langage trahit quelquefois la pensée. On ne pourrait jamais vraiment bien dire ce qu’on pense, ni comprendre totalement ce qu’autrui veut dire. Ceci paraîtrait désespérant, puisqu’on ne pourrait jamais vraiment formuler des vérités ni communiquer totalement avec les autres. Mais tout dépend ici de ce que l’on entend par « trahir » : Manquer à quelque chose que l’on devait observer (trahir sa parole), tromper (trahir quelqu’un), ou encore révéler (comme une rougeur trahit le trouble). Ainsi la différence entre pensée et langage peut-elle être considérée comme une simple erreur à réparer, une malédiction de la pensée ou la révélation de sa nature même — La pensée n’existerait pas sans le langage qui l’exprime, la déforme, mais également l’exalte

          #5084
          René
          Maître des clés
            Le langage trahit-il la pensée ?
            Restitution de quelques interventions, et de quelques problématiques débattues lors de notre échange

            Des questions qui se posent
            On peut avoir le sentiment que le langage trahit sa pensée, mais que veut-on dire ?
            – Est-ce notre pensée qui est confuse ?
            – Est-ce une limite que nous impose la grammaire ?
            – Est-ce notre inconscient qui nous trahit ?
            – Est-ce la profondeur de notre ressenti qui dépasse notre capacité d’expression ?
            – Est-ce notre identité qui est comme déconstruite ?
            – Est-ce le lot de notre condition humaine : nul ne pourrait comprendre son interlocuteur parfaitement ?

            La société
            – On habille notre pensée d’un enrobage qui permet à nos interlocuteurs de l’entendre. La couleur de l’enrobage est plus ou moins maîtrisée, elle est plus ou moins nuancée pour marquer son effet.
            – Pour communiquer sur un mot, il faut une communauté de personnes qui s’entendent sur le sens des mots. Le langage se crée dans une culture et il fait société.

            Au début
            – Les primates régulent leurs frustrations et l’organisation de leur groupe selon des rapports de force et selon une hiérarchie stricte. Pour les êtres humains, les fonctions hiérarchiques dans les tribus sont instituées via des symboles et des pratiques rituelles (voir les anthropologues Maurice Godelier, René Girard, Alain Testart). L’homme est un animal, mais « autrement ».
            – A la différence des animaux, nous créons et nous formulons des concepts, nous transmettons des connaissances qui ne se réduisent pas aux besoins de la survie de l’espèce.
            – En effet, la transmission des mythes montre que les hommes des cités antiques ont continuellement réinterprété et transformé les mythes par lesquels ils expliquent les origines de leurs civilisations. Les récits fondateurs traduisent en fait des intentions, des imaginaires qui évoluent et transforment l’image que l’homme se fait de lui-même.
            – Lorsque les tribus s’agrandissent, que les peuples se sédentarisent, et qu’ils s’organisent en cités-Etats, au langage s’ajoute l’écrit. On «s’extirpe » progressivement de la régulation par la force, et on commence à se donner des lois et des codes écrits (code d’Hammourabi – 1750 av. J.-C.).

            Genèse du langage
            – Je pensais au temps qu’il faut à un enfant pour apprendre à parler. Ce qui nous structure se construit dans des zones infra langagières du cerveau, et donc bien avant que nous ne maîtrisions le langage, mais déjà, tout en nous cherche à communiquer. Les strates les plus profondes de l’être humain doivent-elle trouver d’autres formes de langage que la parole pour s’exprimer ?
            – Le langage nous met-il en rupture avec nous-mêmes en raison de son incapacité à traduire nos émotions et nos désirs ?
            – Entre les contraintes physiologiques, la pression normative de la société et le sur-moi freudien, nous éloignons-nous de nous-mêmes ?
            – Le langage nous invite-t-il à plus de créativité pour compenser les limites de notre condition humaine, ou n’est-il qu’un pis-aller ?

            Quelques questions tout azimut
            – A quel point l’écrit ajoute-t-il un plus à la pensée ? C’est finalement le seul moment où la pensée se fixe, elle peut alors s’organiser davantage, elle se structure et s’affine différemment. Proust fixe le temps et lui donne une teneur presque réelle.
            – De mon côté, je me demande si les idéogrammes ne sont pas plus proches d’une expression de notre pensée, comparativement aux mots « phoniques » qui, eux, découpent les idées ? L’idéogramme, en symbolisant une idée, serait comme un miroir de la pensée.
            – Si nous étions totalement transparents, et si le langage nous traduisait sans fausse note, pourrions-nous nous supporter les uns les autres ?
            – Serions-nous comme des animaux ?
            – Je crois qu’il faut différencier le fait de se comporter comme un animal, c’est-à-dire, sans éducation, et le fait de communiquer avec nuance, avec efficacité, et avec authenticité.
            – L’aptitude à enrichir sa pensée par le langage et par l’écrit est-elle fonction de l’effort que l’on investit dans l’exercice de nos pratiques langagières et scripturales ?

            La parole est-elle un acte relationnel ?
            – A mon avis, ceux qui pensent que la parole tue confondent le discours émis avec le message reçu : le discours émis exprime mon intention de parler, le message reçu témoigne de ce que l’autre comprend. Je considère que je ne suis pas responsable des émotions que l’autre éprouve.
            – Hmm ! Tout acte de parole est dialogique, il prend en compte mon interlocuteur dans l’idée que je me fais de lui.
            – Oui en effet, le regard de l’autre agit comme une interférence, il est intégré dans mon discours. Je peux le percevoir comme hostile, bienveillant, neutre, etc.
            – Mais peut-on considérer que je suis responsable de ce que l’autre interprète de mon message ?
            – Fondamentalement non, mais par le langage, on construit une relation : nous agissons les uns sur les autres par les mots et les messages que nous échangeons.
            – La compréhension de nos messages est souvent polluée par l’idée que nous nous faisons d’autrui.

            Le mot : révélateur, performateur ?
            – Il y a des mots qui ont l’effet d’une « prise de conscience ». En Angleterre, quand j’ai entendu le mot « privacy » j’ai pris conscience dans le même temps du sentiment de ma vie privée.
            – Nommer une chose peut servir de révélateur, presque comme le lapsus révèlerait une pensée inconsciente.
            – Toute pensée porteuse de sens, et que l’on exprime, est définie comme un acte de langage.
            – C’est la notion de performativité : de nommer la chose l’institue, comme le verbe se fait chair dans la Bible, et donne naissance à l’homme et à l’univers. Le philosophe (John Rogers Searle, philosophe américain contemporain, 1932) distingue plusieurs modalités performatives : la déclaration qui institue : « je vous déclare mari et femme » ; le dire qui performe sa signification : « je suis très heureux de vous accueillir ».
            – En pédagogie, l’effet Pygmalion (parfois nommé effet Rosenthal & Jacobson) est une prophétie auto-réalisatrice, elle désigne l’influence d’une bonne image a priori que le professeur projette sur son élève.
            – Jusqu’à quel point les projections, les concepts, les mots nous façonnent-ils ?

            L’intersubjectivité
            – Il y a ce que l’on dit, et ce qu’on laisse apparaître dans notre gestuelle, dans l’intonation, le tout est parfois antinomique. Un malaise s’ensuit : on ne sait comment interpréter le message, il agit comme une injonction contradictoire.
            – Sur un autre plan, je pense à la saveur de noisette que je reconnais en dégustant ce vin. Puis-je affirmer qu’il s’agit de la même saveur que l’œnologue croit reconnaître de son côté. ? Le risque de confusion est très grand.
            – Je distinguerais les enjeux de langage, et les enjeux de personnes. Le premier relève de la sémiologie, le second de la rivalité entre les personnes. Et, lorsque le manque de clarté est lié à la manière de traduire nos émotions, nos sentiments, nos intentions, ou la subjectivité de nos goûts, le risque de mal se comprendre est inévitable.

            L’incompréhension est dans les concepts non représentés
            – Je pense aux convictions que nous défendons. D’une certaine manière, elles prétendent à une forme d’universalisme sans qu’on se l’avoue. Nos convictions font « vérité » pour nous-mêmes, alors que par ailleurs, nous pouvons avoir du mal à les défendre, faute d’arguments, de vocabulaire, de clarté dans notre pensée……
            – Les Asiatiques ont une vision du monde selon laquelle une harmonie intègre le tout, c’est la notion du Tao par exemple (voir la note et le conte bushido en bas de page). De notre côté, en occident, nous construisons un rapport dialectique au monde, par exemple nous opposons la science et la religion. Dans le monde asiatique, au contraire, on imagine de façon assez indistincte qu’une harmonie organise le « grand Tout ». On ne vit pas dans les mêmes mondes.
            – Il y a la des niveaux d’incompréhension qui s’établissent soit structurellement, soit culturellement. De fait, un effort de dépassement de nos propres points de vue est nécessaire pour sortir de nos conditionnements et du registre culturel de nos idées.

            Quelle réalité y a-t-il derrière les concepts ?

            – Quand Hannah Arendt développe le concept de « banalité du mal », elle suscite une haine à son égard, car beaucoup ont pensé qu’elle minorait la responsabilité d’Eichmann et l’atrocité des camps.
            – Les concepts sont-ils de pures créations de la pensée comme le monde des idées de Platon, le conatus de Spinoza, les théories « complotistes »… ?
            – Ces concepts définissent-ils une réalité reconnue, bien que jamais tout à fait distincte, comme par exemple, la limite des frontières entre l’inconscient et le conscient ?
            – Les malentendus relèvent-ils du langage (grammaire, richesse du vocabulaire) ? Ou éprouvons-nous des résistances psychologiques (on se cache à soi-même ce qui nuit à notre intérêt) ?
            – Avons-nous des difficultés à concevoir de nouvelles idées, à renouveler notre regard, à adopter des points de vue inédits, à être créatif ?
            – Est-ce les mots, ou les idées qu’ils véhiculent qui nous dérangent ? Avons-nous du mal à faire face à la réalité, à la saisir ?
            – Le langage sert à s’exprimer, à communiquer. Nous l’utilisons pour formuler des concepts qui à leur tour désigne une réalité. Savons-nous définir des concepts adéquats ?

            Bonus
            Le tao, et le conte bushido

            Le tao est au cœur des conceptions traditionnelles, spirituelles et éthiques chinoises (le mot « daode », morale, en est issu), il est généralement considéré comme une pragmatique du juste milieu, du choix propice ou de la loi de l’harmonie qui préside au grand tout. Le tao est pensé comme la force fondamentale qui coule en toutes choses dans l’univers, vivantes ou inertes, il est par nature ineffable et indescriptible.
            Illustration: Un conte bushido (Code moral du samouraï) rapporte que deux maîtres se faisaient face, en situation de combat. Ils s’observaient, sans un mouvement, prêt à frapper. Après un temps indéfini, ils se saluèrent et renoncèrent à se battre.
            Pressés par les questions de ses disciples, l’un des maîtres expliqua : notre concentration était sans faille, prendre l’initiative d’une attaque revenait à briser l’équilibre.

            #5087
            René
            Maître des clés
              Une carte mentale du sujet :Le langage trahit-il la pensée ?
              Cliquer surle lien dans « Fichier attaché » ci-dessous si l’image n’est pas nette. Merci de votre compréhension.
              Cartementalelelangagetrahit-illapense1.pdf

              Lelangagetrahit-illapense.png

              #5114
              René
              Maître des clés
                J’ai trouvé ce texte sur le site : intellego (il y a trop de pub pour que je vous donne le lien). L’article a été écrit par Brasileira

                Introduction : Le langage est traditionnellement considéré comme l’instrument privilégié qui permet, à l’oral comme à l’écrit, mais également à travers le langage mathématique ou le langage des gestes, de traduire la pensée. En grec, le logos signifie d’ailleurs à la fois pensée rationnelle et langage. Nous verrons donc dans un premier temps comment le langage est finalement un grand allié fidèle de la pensée, quelles sont les limites de la confiance que la pensée peut accorder au langage et enfin, ce qui permet à la pensée de garder confiance en le langage.


                I. Le langage, allié fidèle de la pensée


                A. Une affinité d’essence entre le langage et la pensée

                Comme l’écrit Aristote, l’homme se distingue du reste des êtres en cela qu’il est doué de logos. Il faut entendre ce don comme la capacité à la fois de pouvoir « parler » et de concevoir des idées abstraites, propres à l’homme. La finalité du langage est, de ce point de vue, de permettre la mise en commun des pensées de chacun, qui ne peut se faire directement de conscience à conscience. Il y a ainsi une affinité d’essence entre le langage et la pensée, qui suggère que la pensée ne peut que faire confiance au langage.

                B. Le langage comme lieu même de la pensée
                On peut aller plus loin en affirmant que le langage et la pensée sont même consubstantiels, inséparables l’un de l’autre. Loin de trahir la pensée, le langage est bien plutôt l’élément sans lequel elle ne pourrait pas exister. C’est ce que veut dire Hegel quand il écrit que « c’est dans les mots que nous pensons ». Il s’oppose en cela à l’idée courante qui ne voit langage que comme le « véhicule » de la pensée. Selon cette opinion, la pensée existerait indépendamment des mots et serait parfois trop riche pour qu’ils puissent la traduire de façon juste. Au contraire, pour Hegel, ce que nous croyons ineffable, intraduisible en mots, ne tient qu’au caractère encore très vague et indéfini de ce que nous pensons. Notre pensée n’est vraiment pleinement en acte que lorsqu’elle arrive à s’incarner dans des mots précis.

                C. Le langage est toujours le témoin fidèle de la pensée
                Enfin, nous pouvons dire que mêmes les moments où le langage semble trahir notre pensée sont bien plutôt à voir comme des révélations de notre véritable pensée. Quand nous disons, par exemple, que les mots ont dépassé notre pensée, n’est-ce pas faire preuve de mauvaise foi ? L’exemple de ces actes manqués que sont les lapsus peut aussi être interprété comme le dévoilement d’une dimension inconsciente, car refoulée notre pensée (S. Freud). Ainsi, les occasions où la pensée semble « trahie » par le langage témoignent plutôt d’un manque de sincérité de notre part ou d’un manque de connaissance d’une part de nos pensées. Le langage nous oblige alors à être plus sincère envers nous-mêmes ou à mieux nous connaître.


                II. Limites de la confiance que la pensée peut accorder au langage

                A. Le langage contient en lui des facteurs de malentendus
                Pour que le langage remplisse fidèlement son rôle de médiateur entre deux consciences, il faudrait que les mots que nous utilisons aient bien pour tous la même signification. Or, un des caractères du langage humain est qu’il implique nécessairement une part d’interprétation. Les mots sont « équivoques », au sens où, pour un même signifiant, il existe plusieurs signifiés. D’autre part, comme le fait remarquer Hobbes, chaque homme investit chaque mot de ce qui correspond à sa propre expérience : En employant les mêmes mots, nous ne pensons pourtant pas exactement aux mêmes choses. Tous ces éléments attestent du fait que le langage n’est pas entièrement fiable quand il s’agit de faire connaître nos pensées à autrui.

                B. Le langage semble devoir trahir la singularité de la pensée de chacun
                Plus précisément encore, on peut douter du caractère approprié du langage à l’égard de ce qui constitue notre vie intérieure, avec ses « mille nuances fugitives », comme l’écrit Bergson. Les mots renvoient par essence à des généralités : Les employer, c’est donc toujours trahir ce que nous ressentons, nous, de façon authentique et singulière. Davantage encore, l’habitude que nous avons de recourir au langage fait que nous ne percevons plus de nous-mêmes que ce qui peut rentrer dans des mots. On peut donc dire que le langage va jusqu’à fausser la connaissance même de ce qui fait la singularité de notre personnalité, avec des sentiments et des émotions qui n’appartiennent qu’à elle.

                C. Le langage enferme la pensée à son insu dans certaines limites

                Enfin, nous pouvons ajouter que même la pensée dans ce qu’elle a de plus conceptuel peut avoir des raisons de se sentir trahie par le langage. Comme le suggère Nietzsche dans Par-delà bien et mal, la langue dans laquelle nous pensons nous détermine à penser selon certaines structures logiques précises, en raison des règles de grammaire notamment. L’élément dans lequel se forme la pensée est donc en même temps ce qui la conditionne et ce qui la maintient dans un certain cadre de pensée particulier. La pensée est en ce sens trahie dans son aspiration à la liberté et à la vérité. 


                III . Ce qui permet à la pensée de conserver sa confiance dans le langage

                A. Le langage est moins fautif que l’usage que nous en faisons
                Il y a donc dans l’essence même du langage un certain nombre de facteurs qui font que la pensée peut se sentir trahie dans son désir de communication, d’expression et même de libre élaboration. Pourtant il semble qu’il n’y ait pas d’autre solution pour la pensée que de recourir au langage, comme le fait observer Hegel. D’ailleurs, nous pouvons remarquer que ce n’est peut-être pas le langage en lui-même qui est un « traitre », mais plutôt la façon assez passive dont nous l’utilisons en général. Le langage pourrait alors contenir en lui-même la solution au problème.

                B. Le modèle de l’art et de la poésie

                Nous avons tendance, en effet, à prendre le langage comme quelque chose de donné, alors qu’il revient à chacun de faire l’effort de se l’approprier. Si nous nous sentons trahi dans notre désir d’expression, par exemple, c’est souvent parce que nous recourons par facilité à des formules convenues qui finissent par être anonymes et vides de sens. C’est ce que le poète Robert Desnos appelle « le langage cuit », qu’il oppose à un langage « cru », entendu comme un rapport créatif et inventif aux mots et aux expressions. C’est donc bien à chacun qu’il revient de ne pas se voir trahi par le langage.

                C. L’enjeu de la pluralité des langues
                Enfin, il faut remarquer qu’il existe une pluralité de langues et que celle-ci représente un enjeu important pour l’homme. En effet, comme le montrent les linguistes et les philologues, chaque langue porte en elle une certaine vision de la réalité. Par suite, apprendre et connaître une diversité de langues nous procurent un élargissement de notre capacité à penser. C’est dans cette mesure que le langage, au lieu de nous enfermer dans une certaine forme de pensée, peut au contraire nous ouvrir à une pluralité de perspectives possibles sur la réalité.

                Conclusion
                Il arrive, dans certaines circonstances, que ce que nous disons ne corresponde pas à ce que nous pensons réellement : C’est une forme d’incapacité à bien formuler sa pensée, une difficulté à transmettre les nuances de la pensée, ou encore, ce sont des lapsus révélateurs. Il est également courant de trahir la pensée des autres ou d’être victime d’une trahison de sa pensée par autrui. Ainsi le langage trahit quelquefois la pensée. On ne pourrait jamais vraiment bien dire ce qu’on pense, ni comprendre totalement ce qu’autrui veut dire. Ceci paraîtrait désespérant, puisqu’on ne pourrait jamais vraiment formuler des vérités ni communiquer totalement avec les autres. Mais tout dépend ici de ce que l’on entend par « trahir » : Manquer à quelque chose que l’on devait observer (trahir sa parole), tromper (trahir quelqu’un), ou encore révéler (comme une rougeur trahit le trouble). Ainsi la différence entre pensée et langage peut-elle être considérée comme une simple erreur à réparer, une malédiction de la pensée ou la révélation de sa nature même — La pensée n’existerait pas sans le langage qui l’exprime, la déforme, mais également l’exalte

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