Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Le projet de Google est-il totalitaire ? Sujet du 30.12.2013 + restitution du débat
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24 décembre 2013 à 22h11 #4799Le projet Google est-il totalitaire ?
Le traitement de cette question est potentiellement tentaculaire, mais elle fût posée dernièrement dans du Grain à moudre (France-Culture), parlons-en à notre tour, essayons de faire exercice de problématisation (comment se posent les problèmes ?).
Le « totalitarisme » de Google n’est pas un totalitarisme d’Etat, n’est-ce pas ? Il ne fait pas «pouvoir » par les lois, les institutions, l’armée et la police.
On peut même considérer Google comme une démocratie méta structurante de fait. Google existe car des utilisateurs choisissent « sans contrainte » ce moteur de recherche (chaque utilisation vaut un vote), tandis que les autres moteurs de recherche se trouvent délaissés. Ne l’utilisez pas, et Google disparaitra. Question : qui le remplacera ?. S’en prendre à Google n’est donc pas nécessairement une bonne option, un pouvoir est facilement remplacé par un autre pouvoir.Il n’empêche que Google exerce de fait un pouvoir d’influence énorme. Par exemple, comment s’assurer du fait que votre environnement informatique (le résultat de vos recherches) ne soit pas organisé de façon à vous enfermer dans votre bulle, ou dans celles des annonceurs (des annonceurs présélectionnés par Google) ?
La mission de Google est « pourtant » simple, voire louable (voir ici): Organiser les informations à l’échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous.
Par ailleurs, Google revendique une philosophie explicite (voir ici) , mais dans le cadre d’un échange implicite : les services sont gratuits, en échange de quoi, Google analyse toutes vos données et poste ses annonceurs en bonne position dans les pages que vous visitez.Plusieurs problèmes sont soulevés, formulons-les ci-dessous, un email les récapitulera pour notre débat lundi. D’avance, merci de vos contributions.
En attendant, voici des analyses critiques :
Rue 89 : « La vie privée, une anomalie » : Google de plus en plus flippant
Agoravox : L’hégémonie Google, démocratisation censitaire ou fascisme ordinaire ?
Hitek : Google : du monopole à la dictature ?
France-Culture : Le projet Google est-il totalitaire ?
Mais aussi les excellentes chroniques de Xavier Delaporte concernant la toile :
Et si la vie privée était moins importante que la démocratie ?
Ou son émission : Place de la toile, et en particulier : L’être et l’écranDeux « messages » de Google :
« Si vous faites quelque chose que vous souhaitez que personne ne sache, peut-être devriez vous commencer par ne pas le faire.»
« Don’t be evil » (ne fait pas le mal)Je me réjouis de revoir ceux parmi vous qui seront déjà de retour.
Joyeux Noël à tous, aux proches et aux amis-es partis-es au loin27 décembre 2013 à 20h08 #4802Dans sa page « philosophie (ici) » Google définit sa ligne de conduite, en voici quelques points parmi les plus marquants :
- C’est votre confort que nous cherchons à satisfaire, et non un quelconque objectif interne, ni les exigences de résultats de la société.
- Nous évaluons l’importance de chaque page Web à partir de plus de 200 mesures et de diverses techniques, dont notre algorithme breveté PageRank™ qui détermine les sites « élus » comme les meilleures sources d’information via d’autres pages du Web.
- Nous pensons que la publicité peut être efficace sans être envahissante. Google n’accepte pas les publicités qui gênent la lisibilité des pages consultées.
- Sur Google, les publicités sont toujours clairement identifiées comme « liens commerciaux ».
- Nous ne manipulons jamais les classements pour favoriser nos partenaires dans les résultats que nous fournissons.
- L’intégration dans les résultats de recherche n’est pas monnayable.
- Nous visons un fonctionnement impeccable pour éviter une quelconque remise en cause.
En somme, Google est parfait, il distingue ses intérêts personnels de ceux de ses utilisateurs (mieux que les politiciens), et annonce clairement le respect qu’il a pour ses derniers : les résultats de recherche ne sont pas monnayables, la publicité n’est pas envahissante…
En tant que n°1, si Google manquait à son éthique, ses manquements seraient immédiatement dénoncés, tant sont nombreux ceux qui veulent lui ravir sa place et ceux à qui il fait de l’ombre.
Son économie s’apparente, par ailleurs, à une économie du don (voir logique du don et du contre-don – Marcel Mauss).Je vois 3 domaines sur lesquels peut porter notre débat :
1) Les conséquences en termes de résultats de recherche de l’utilisation de Google, le résumé est donné par Agoravox :
– le « vote » dont dépend votre visibilité sur internet est réservé à moins de 5 % de la population française.
– chaque « vote » n’a pas le même poids, et les « votants » qui comptent vraiment ne représentent qu’une fraction infime de ce groupe déjà réduit.
– de plus, les « votants » qui ont vraiment du poids n’ont aucun intérêt à voter pour vous.2) L’atteinte à la vie privée, que dénonce Rue89, et en particulier, le fait que les frontières entre le privé et le public ne sont plus les mêmes depuis « les reality show », et depuis que « Internet » donne une visibilité à tout ce qui est publié.
3) Enfin, concernant la politique interne à Google :
Même si vous ne savez pas exactement ce que vous recherchez, c’est notre rôle de trouver une réponse sur le Web, et pas le vôtre. Nous nous efforçons d’anticiper les besoins naissants des internautes, à l’échelle internationale, afin d’y répondre par des produits et des services qui s’imposent rapidement comme les standards du marché. ……… C’est ce type d’accomplissement que nous voulons réaliser, et nous recherchons en permanence de nouvelles opportunités de changer les choses. Ce refus constant de l’ordre établi est en fin de compte notre véritable force.En fait, Google devance nos besoins, et il s’y prend bien. Personnellement j’adopte aussi une politique du dépassement, cette politique vaut pour moi, pour mes propres challenges, et je ne conseillerai à personne de la suivre. Mais lorsque notre impact sur le monde est si grand, comme pour Google, on est en droit de s’interroger sur le type d’humanité, de vision et d’avenir que cela dessine pour notre monde.
Voilà trois questions de départ (elles demandent à être resserrées) en rapport à ces trois domaines :
1) Qu’en est-il des conséquences (des normes) de l’utilisation de leurs résultats de recherche ?
2) Vie privée, vie publique : de nouvelles frontières pour quelles libertés et quelles démocraties ?
3) De la qualité d’être « bon, puissant, efficient, toujours en dépassement et anticipant sur les besoins d’autrui », cela suffit-il à nous dire vers quel monde nous allons ?3 janvier 2014 à 13h46 #4804La restitution résumée de notre débatGoogle :
« Le vie privée pourrait en réalité être une anomalie. »
« Si vous faites quelque chose que vous souhaitez que personne ne sache, peut-être devriez-vous commencer par ne pas le faire.»Débat :
– La vie privée est ce qui garanti l’espace nécessaire non seulement à soi-même mais à toute démocratie.
– La vie privée est un concept moderne, dans les tribus et avant la modernité, il n’y avait pas de vie privée.
– IBM, Windows, Iphone, etc. chacune de ces compagnies a été leader durant un temps donné, ce qui gonfle finit toujours par dégonfler.
– Google est une agrégation de savoirs, en ce sens, c’est un totalitarisme car il revient à chacun de décider de la connaissance qu’il veut avoir, et non de se la voir imposer par une source unique.
– Le référencement des pages apparaitront selon des critères prédéfinis qui sont en fait un profil de « soi » mais non un compte-rendu de ce qu’est le monde.
– La richesse de chacun se construit en cherchant par soi-même, elle s’efface ici devant une norme algorithmique, ce qui conduit la pensée à l’inertie.
– Le classement ne me gêne pas car tous les classements créent des biais, cela pose cependant la question de la qualité des infos (les contenus) qui se trouve diffusée, et le problème des idéologies qui sous tendent l’algorithme.
– Accuser Google d’amoindrir la pensée revient à accuser la voiture de nous atrophier les muscles.
– La personnalisation des recherches permet de mieux répondre à mes besoins et permet de cibler la publicité. Cela pose néanmoins le problème de la vie privée.
– Il vaut mieux que ce soit un algorithme qui s’introduise dans notre vie privée plutôt que le regard de notre voisin ou celui de l’Etat.
– On redoute des manipulations. J’ai découvert que j’avais des informations sur moi-même alors que je ne poste rien sur internet.
– Votre téléphone portable collecte beaucoup plus de données privées que votre ordinateur.
– Dans ce cas, ce n’est pas Google qui est en faute mais les sites qui postent les informations.
– La qualité des algorithmes de Google est à saluer.
– On ne contrôle pas ce que l’on donne à Google, on ignore ce qui en est fait.
– Il y a des gens avertis qui sauront se servir des outils de Google, et d’autres qui se laisseront aller.
– Que diraient Diderot, D’Alembert, Voltaire, les encyclopédistes s’ils voyaient cette énorme quantité de savoir et d’information ?
[…]
– Les frontières du privé et du public ont changé. A partir du moment où on échange sur internet, nous sommes dans le domaine public, alors même que nous échangeons des choses privées.
– Exprimer ce qu’on est sur la toile et avoir des milliers d’amis, est-ce que cela fait société ? les sociétés ont besoin de vivre des relations.
– Sur internet, rien n’est oublié et vos souvenirs de jeunesse vous poursuivront.
– Google nous permet de retrouver instantanément les informations dont nous avons besoin, du coup, on ne cherche plus à les retenir et on ne fait plus travailler sa mémoire.
– Mes élèves se rappellent où est l’information, mais pas ce qu’elle contient.
– Ces moteurs sont intelligents, ils trouvent ce qu’on cherche, les études de médecine sont repensées en fonction de ces mémoires externalisées.
– Si on parle d’intelligence, je demande des définitions. Avec l’intelligence, il y a l’idée de mettre en relation, de mettre en perspective.
– Si le mot « quenelle » renvoie à un geste et à un fait social, on est dans l’immédiat. La perte de la mémoire est associée à la perte d’intelligence.
– Nous sommes dans un monde en miroir où, chacun trouvant ce qu’il cherche, est comme renvoyé à lui-même. Cela pose le problème des relations avec les autres et avec le monde. Rencontrons-nous seulement les autres et le monde ?
– L’intelligence se construit, elle n’est pas une donnée statique, elle est exercice de mise en relation.
– C’est ce que fait Google, il met en relation des données, mais selon des logiques qui nous échappent. Google ne respecte pas le droit des auteurs et, au nom du partage des informations, il tue la création et sa rémunération.
[…]
– Est-ce que Google tue la création ou est-ce qu’il la stimule ?
– Dans un monde « multi-diversifié », Google permet de s’informer à partir de plusieurs points de vue. Par comparaison, le point de vue des éditeurs de presse est « conditionné », et très souvent dogmatique.
– Il y a la gastronomie et le fast food, il y a le savoir et fast-savoir.
– Il y a un problème d’organisation de l’information, il y a éventuellement trop d’informations que nous n’apprenons pas à organiser dans un discours cohérent (une idéologie, une philosophie).
– La tyrannie des faits l’emporte sur la cohérence de l’idée qui les sous-tend. Les faits ne disent rien. Quel est le discours (la théorie) que nous construisons et qui intègre tous ces faits ?
– Ce qui fait un collier, ce n’est pas les perles, c’est le fil. Les perles sont partout, mais il manque le fil qui permet de concevoir un collier.
– Dans les écoles, on ne donne plus aucun discours aux enfants au prétexte de ne transmettre aucune idéologie (politique, religieuse, etc.), alors que c’est ce qui compte. Le descriptif n’enseigne rien.
– Le fil m’embête, j’aime bien avoir des perles à disposition pour construire (inventer) le collier (les cheminements de pensée) qui me plaise.
[…]
– Google est issu d’une culture dominante et l’organisation de ses informations est le produit de sa culture. Je ferai confiance à Google le jour où il sera représentatif de la diversité des peuples.
– Le gros de la programmation de Google est réalisé en Inde.
– Faut s’inquiéter du fait que Google nomme ses cadres : chef évangélistes ?
– C’est pour donner une dimension mythique à leur projet, c’est mieux que directeur du marketing.
– Prophète est plus neutre qu’évangéliste, Apple appelle ses cadres « gourou »
– Entre son moteur de recherche ses services associés, peut-on aujourd’hui se passer de Google ?
– C’est par l’usage qu’on essaie de voir les problèmes que génère Google, mais à vrai dire, on spécule car Google anticipe les problèmes et reste dans la marge de ce qui est « éthiquement » acceptable.
– Reste cependant le fait que Google devance nos désirs et essaye d’y répondre par tous les moyens. Est-ce un problème ?
– En mettant en ligne tous les livres du monde, et aujourd’hui toutes les œuvres d’art des musées du monde, Google rend les créations du monde disponibles à tous. Ce sont les institutions qui empêchent ce projet, ce sont eux les censeurs, les totalitaires.
– C’est prétériter la valeur des œuvres d’art et couper le désir de création car plus rien ne vaut rien, et tout le monde crée n’importe quoi. Ce qui ne vaut rien finit par ne rien faire.
– Les artistes travaillent à se faire plaisir, il est scandaleux de les payer.
– Les artistes travaillaient sur commission jusqu’aux romantiques. Après quoi, ils ont créé pour « personne » tout en souhaitant être reconnu par tous.
– Beaucoup d’écrivains font comme Proust et publient à compte d’auteurs, ce sont les maisons d’éditions qui bloquent tout car elles perdent le monopole de la diffusion.
– Entre l’Etat qui tente de réguler et Google qui dérégule, ce dernier gagnera toujours sur tous les plans et il détiendra tous les savoirs du monde.
– Où Google fait fort, c’est qu’il déconnecte les services qu’ils offrent (c’est gratuit) et les profits qu’il engrange grâce à la pub. Google précise : c’est votre confort que nous cherchons à satisfaire, et non un quelconque objectif interne, ni les exigences de résultats de la société
– Google peut se mettre sans limite au service du consommateur en raison du fait que mieux il le fait, plus ses revenus publicitaires croissent.
– Tout ce qui est libre de droit d’auteurs devrait être disponible.
– Je ne crois pas qu’on tue la création et de nombreux artistes changent leur manière de créer et de faire connaitre leurs œuvres.
– Si les particuliers commandaient directement à des artistes le décor de leur salle de bain, les tableaux de leur salon, les artistes seraient plus nombreux et les liens plus forts entre les eux et leurs clients. Les artistes créeraient pour des personnes, et non dans l’espoir impersonnel de vendre.
– Les romanciers ont général un autre boulot qui leur permet de vivre.
– On transforme l’art en artisanat et la peinture en carrelage de salle de bain, toutes les sélections sont critiquables mais quand je vois les soupes sur internet, le niveau ne monte pas, c’est dramatique. La liberté devient synonyme de médiocrité.
– Il y a confusion entre internet et Google.
– Il est possible que la gratuité de Google soit un leurre, un dumping géant, une fois la concurrence à genou, il n’y aura plus de gratuité, et les pleins pouvoirs seront entre les mains d’une seule compagnie.
– Ce qu’on essaie de faire avec des législations qui sont obsolètes c’est de maintenir en place des catégories de gens et d’institutions qui perdent leurs avantages, ce n’est pas ainsi que l’on innove et que l’on stimule la créativité.
– Tout monopole est par nature inquiétant car si Google est animé pour l’instant d’une éthique, on ne sait pour combien de temps elle sera maintenue.
– L’abondance d’information encouragera d’avantage la mise en contexte, les comparaisons, plutôt que ne le feraient des filtres imposés par les Etats.
Merci à tous pour ce débat, et merci à Christian pour sa visite depuis le café philo de Londres B)
Et vous, quelles interventions retiendriez-vous, lesquelles vous feraient réagir ?10 février 2014 à 2h07 #4827Le CNIL (ici) condamne Google à une amende de 150 000 euros pour non respect de la vie privée.
Voici les motifs affichés sur le site du CNIL- La société n’informe pas suffisamment ses utilisateurs des conditions et finalités de traitement de leurs données personnelles. De ce fait, ils ne peuvent comprendre, ni les finalités de la collecte, celles-ci n’étant pas déterminées comme l’exige la loi, ni l’ampleur des données collectées à travers les différents services. Par conséquent, ils ne sont pas mis en mesure d’exercer leurs droits, notamment d’accès, d’opposition ou d’effacement.
- La société ne respecte pas les obligations qui lui incombent d’obtenir le consentement des utilisateurs préalablement au dépôt de cookies sur leurs terminaux.
- Elle ne fixe pas de durées de conservation pour l’ensemble des données qu’elle traite.
- Elle s’autorise enfin, sans base légale, à procéder à la combinaison de l’intégralité des données qu’elle collecte sur les utilisateurs à travers l’ensemble de ses services.
Ces conclusions sont similaires à celles précédemment retenues par les autorités néerlandaise et espagnole de protection des données en novembre et décembre 2013, au regard de leur droit national respectif.
La question que je me pose. Alors que Google affiche une « philosophie » qui est reste à discuter, certes, à quelle sauce nous mangeraient les concurrents de Google qui, eux, n’affichent aucune « philosophie » et principes qu’ils suivraient ?
Les grands groupes mettent les États en concurrence, ils utilisent les infrastructures des nations, mais ne veulent pas y contribuer. Ces compagnies veulent s’élever vers le ciel et ne jamais rendre des comptes à la terre.13 février 2014 à 0h43 #4829Un ami me fait part d’un lien qui met en évidence la stratégie de Google :
Le jdd : La stratégie secrète de Google
Source :Twiter de Johan Moreau -
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