Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Schopenhauer, sa philosophie est-elle à l’image de sa psychologie ? Sujet du lundi 14.04.2014 + Restitution + 2 cartes mentales + notes autobiographiques

5 sujets de 1 à 5 (sur un total de 5)
  • Auteur
    Messages
  • #4890
    René
    Maître des clés

      Schopenhauer, et son enseignement, sont – ils pessimistes ?

      Vous ne pouvez répondre à cette question ? A vrai dire, moi non plus, et on s’en tirerait à bon compte si on le faisait.
      D’ailleurs, nous ne ferons pas le tour de son enseignement en un débat, ce n’est pas le but. Lors de nos échanges, il s’agit surtout d’articuler sa pensée intime à celle d’un auteur et à celle des autres participants. Là aussi, c’est tout un programme, et on ne peut l’expliquer ni le mettre en pratique en un tour de main.
      Donc, venez, pratiquez, respectez nos règles et le tour de parole, apprenez à être concis, essayer d’enrichir le débat, de nous donner des éléments pour nous permettre de voir plus loin…
      « Partagez vos questions et épargnez-nous vos certitudes » prie le philosophe B)

      Voici le sujet :
      Schopenhauer, et son enseignement, sont-ils pessimistes ?

      Quelques indices pour répondre à la question :
      1) À sa mort, Arthur Schopenhauer a légué sa fortune à son caniche.

      2) Une citation : « La vie est une longue plage d’ennui entre différentes formes de malheurs ».

      3) Deux notions résumées de son oeuvre majeure, Le monde comme volonté et comme représentation :
      Le monde comme représentation :
      C’est le monde de la raison et de la science, c’est le monde de la conscience claire et celui de l’individualité. Selon l’auteur, nous agissons comme si tout se résumait aux : « objectifs, causes, fins et intentions » que nous définissons délibérément. C’est le monde de la raison suffisante, il est sous-tendu par une volonté souterraine.
      Le monde comme volonté : Le monde comme volonté, c’est ce qui échappe à la volonté consciente et désirante, c’est aussi bien l’inconscient que la puissance de se générer sans fin. La volonté est une force du « vouloir » qui gouverne tout ce qui vit en ce monde. Cette volonté n’a ni causalité, ni finalité, elle est mue par la seule « volonté » de perdurer. Dans ce monde, le « un » disparaît derrière l’espèce. Dans ce monde, la puissance du « vouloir » est la cause sans cause de nos représentations sans sens.

      4) Enfin, Schopenhauer écrit sur le bonheur, il postule un eudémonisme (Une théorie morale fondée sur le bonheur conçu comme bien suprême – Larousse)
      Dans « L’art d’être heureux à travers 50 règles de vie », il écrit :
      « La sagesse vécue, en tant que doctrine, serait sans doute synonyme d’eudémonisque. Elle devrait enseigner à être heureux, autant que faire se peut, et en l’occurrence, résoudre cette tâche en remplissant deux conditions : éviter d’être stoïque, et éviter d’adopter une perspective machiavélique » (ni s’inhiber, ni renoncer, ni finir cynique).

      En bref, on peut se poser quelques questions à partir de ses postulats 😉

      Les sources
      – Un passionné a créé un site internet dédié à l’enseignement de Schopenhauer
      (Explication des œuvres, des notions. Pages de citations, de liens audio, de livres numérisés, etc.) A voir ici. (L’une des sources qui nous a le plus inspirée 🙂

      Sinon, vous trouverez ci-dessous d’autres sources :
      Parenthèse Culture. Luc Ferry : La naissance de la pensée contemporaine et des philosophies du soupçon (vidéo)
      Ici, un internaute résume assez bien et brièvement la conférence ci-dessus

      Pour les amateurs de livres audio, ici, un lien audio vers « Le monde comme volonté et comme représentation »

      – Un ami m’a prêté un cours audio de Luc Ferry sur Schopenhauer. Je peux vous donner un lien où vous pouvez écouter ce cours audio (je crois qu’il faut un compte dropbox, ouverture gratuite). Je ne veux pas publier ce lien dans un forum. Ecrivez-moi pour l’obtenir.

      #4905
      René
      Maître des clés
        Restitution résumée de quelques séquences d’interventions majeures
        Question de départ : Schopenhauer, et son enseignement, sont – ils pessimistes ?
        Question d’arrivée : Schopenhauer propose-t-il une heuristique ?

        Anecdote :
        Lors d’une promenade, Schopenhauer croise une jeune femme, s’approche d’elle pour l’aborder. Elle le devance : « Vous savez, j’aime bien me promener seule ».
        « Comme cela tombe bien, répond-il, moi aussi ». Et il la prend par le bras.

        Le pessimisme

        – Qu’est-ce que le pessimisme ? Ne dépend-il que de la perspective selon laquelle on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide ?
        – Ou le problème est-il plus vaste cela ? Le pessimisme est-il la rencontre avec l’absence de sens de la vie ?
        – Oui, c’est la conscience que jamais la volonté ne va coïncider avec le monde et la représentation que j’en ai. Il n’y a pas de place dans le monde pour ma volonté, et donc je suis pessimiste.
        – Que le monde soit en décalage avec ma volonté peut être réjouissant, n’est-ce pas ? Ouf ! Le monde est différent des représentations dans lesquelles je tends à l’enfermer.

        Le pessimisme n’est pas un fatalisme

        – Le pessimisme n’est-il pas lié à une tristesse, à un manque d’allant plutôt qu’aux aléas de la vie elle-même ?
        – Si je prends ce verre et que je le lâche, il va tomber, répondant aux lois de la gravitation universelle. C’est une observation réaliste, et non pas pessimiste.
        – Le pessimisme implique qu’on n’envisage pas d’alternatives autres que les plus sombres.
        – De son côté, si Schopenhauer dit : il n’y a pas de libre arbitre, il n’est pas pessimiste, il est fataliste.
        – Schopenhauer a écrit « L’art d’être heureux ». Il envisage donc des solutions, il n’est pas pessimiste.
        – On connaît tous ces citations qui ont fait la réputation du philosophe, ex. « La vie est une longue plage d’ennui entre différentes formes de malheurs ». La philosophie de Schopenhauer n’est-elle pas le produit de sa psychologie ?

        A-t-on la philosophie de sa psychologie ?

        – Peut-on mettre en lien la psychologie et la philosophie ? Je vois éventuellement deux possibilités :
        1) Une détermination causale : Schopenhauer est affecté d’un trait de caractère, et sa philosophie en est le reflet.
        2) Il y a une interaction dialogique permanente entre le caractère de Schopenhauer et l’œuvre qu’il écrit. Son œuvre confirme, infirme, retravaille les réflexions issues de sa complexité psychologiques et, finalement, la dépasse.
        – Je crains que, en ramenant sa pensée à ses traumatismes, on élude les questions importantes. On court le risque de s’enliser dans ce « psychanalysme » que dénonce le sociologue Robert Castel.
        – Il y a de fait un décalage à opérer entre ce que je sens et ce que je pense. L’un existe naturellement en miroir de l’autre. Mais le philosophe, par un examen exigeant de sa pensée, est supposé faire ce travail qui dégage sa pensée des entraves de sa psychologie.

        Le monde comme volonté et comme représentation
        – Il y a une tension entre la façon dont on se représente notre monde (nos idées), et la volonté que l’on exerce à son encontre, c’est assez incompatible.
        – Schopenhauer s’oppose à cette « volonté » qui résulte d’une simple projection de nos désirs sur le monde. Ces derniers ne sont en effet que le produit de représentations partielles et trompeuses.
        – La volonté existe chez Schopenhauer, elle est à l’image d’une poupée gigogne : la plus grande en cache une plus petite, et ainsi de suite. De la même manière, la volonté est à chaque fois plus régressive. Dans la dernière poupée, on ne trouve plus que « la volonté du vivre » réduite à elle-même. En ce sens, la volonté (les forces du vouloir) et nos représentations sont toutes deux vides de sens.
        – Dans sa conception, Schopenhauer différencie les représentions (les idées) de la volonté, mais cette volonté ne résulte-t-elle pas elle-même d’une représentation ? La capacité à être lucide surpasse-t-elle les fonctions de représentation ?
        – Sa vision est-elle pessimiste, n’est-elle pas plutôt lucide, pénétrante, réaliste ?

        La vérité est-elle pessimiste, ou est-elle irreprésentable ?
        – Si Schopenhauer a raison, existe-t-il la possibilité de chercher le sens de la vie « ailleurs », dans un au-delà du vouloir et de nos représentations ?
        – Mais comment faire pour tuer la souffrance sans représentation et sans volonté ? « La vie d’un homme n’est qu’une lutte pour l’existence avec la certitude d’être vaincu». dit-il. Schopenhauer se réfugie-t-il avec sa douleur dans des concepts ?
        – Je me demande si l’idée de notre propre fin n’est pas un traumatisme dont il faut sans relâche se remettre ?
        – On va mourir, et la vie n’a pas de sens. Si l’on garde cette idée présente à l’esprit, comme Schopenhauer semble l’avoir fait tout au long de sa vie, on se doit de construire une philosophie qui l’intègre et la dépasse.
        – En s’inspirant du bouddhisme, Schopenhauer propose trois options : l’art, la pitié et cette « négation du vouloir vivre »

        La musique
        « La ferveur indicible qui anime toute musique et fait défiler devant nous un paradis si familier […]reproduit toutes les émotions qui agitent notre être le plus intime, mais dépouillée de toute réalité et des souffrances qui s’y rattachent. » (Citation empruntée à schopenhauer.fr)
        Schopenhauer suggère ici que la musique est comme une porte d’accès à soi-même, et qui nous libérerait de nos souffrances. Le philosophe connaît donc un autre espace que le seul horizon de la souffrance. Cette expérience est-elle également une porte d’accès vers un « ailleurs » ?
        – Peut-on se déconstruire et penser au-delà de ce qui nous détermine ? Et, une fois cette déconstruction opérée, à partir de quoi percevons-nous le monde ?

        Par-delà la pensée
        – La pensée du philosophe doit donc se détacher des contingences, des siennes comme celles du monde mais finalement, pour s’attacher à quoi, que reste-t-il ? Les raisonnements suffisent-ils pour accéder à la vérité ?
        – Je pense aux connaissances produites dans les universités, on peut mettre en perspective des savoirs qui remontent au début de l’humanité, ou du cosmos.
        – Mais pour soi-même, à partir de quoi se détermine-t-on si rien n’est fiable (ni les représentations, ni la volonté, ni la force du vouloir qui régit le monde) ?
        – « Si une graine n’oublie pas sa nature de graine, elle ne peut devenir plante » dit le sage.

        L’enseignement de Schopenhauer, une pratique ?
        – Je trouverais dommage de réduire l’enseignement de Schopenhauer à sa caricature. Cela dit, sa philosophe se présente comme un apprentissage à vivre, et la radicalité de sa pensée pose question : quelle sera mon point d’arrivée si je suis les préceptes de sa philosophie ?
        – A mon avis, en suivant la voie bouddhiste, Schopenhauer se fait mourir avant sa mort: tout est futile, les forces du vouloir vivre et les représentations qui en découlent… il ne reste que le grand flux cosmique dont l’image est la musique.
        – Schopenhauer questionne notre finitude. Il dit cependant que la mort peut être un moment heureux puisqu’on se libère de l’ego. Je m’éteins, mais je rejoins un grand tout, et ainsi l’espèce continue.
        – Cela reflète bien une certaine vision du monde. La mort peut être douce pour les « sages » et, fondamentalement, il aurait raison puisque la vie se poursuit et dépasse nos ego.

        Une heuristique pour en sortir
        – Le philosophe suggère : « La sagesse vécue, en tant que doctrine, serait sans doute synonyme d’eudémoniste (propre à construire du bonheur). Elle devrait enseigner à être heureux, autant que faire se peut, et en l’occurrence, résoudre cette tâche en remplissant deux conditions : éviter d’être stoïque, et éviter d’adopter une perspective machiavélique »
        En somme, Schopenhauer est très averti des ressorts de la psychologie, il prévient : ne soyez pas stoïque (dans un rapport d’inhibition par rapport à ses affects), ne soyez pas machiavélique (ne soyez pas cynique, ni manipulateur sous prétexte d’une vie en mal de sens), mais apprenez à être heureux.
        – Cela indique bien qu’il a dépassé les réflexes psychologiques les plus communs, et qu’il nous invite à en faire autant.
        – A partir de nos expériences intérieures, quels concepts pouvons-nous créer ? Le concept se distingue-t-il de la « perception lucide » ?
        – Je ne crois pas en effet que Schopenhauer propose des concepts, mais une façon de voir la vie et de la comprendre. On doit distinguer la vision qu’il propose des émotions qui la sous-tendent.
        – Finalement, pour chacun de nous, il a bien fallu que nous sortions de notre propre pessimisme, enfin peut-être que nous n’en sommes pas sortis ? (Rire)
        – Où trouver cette joie qui nous libère du trauma de la vie ? Peut-on la conceptualiser ? Peut-elle être porteuse de sens ?

        #4907
        René
        Maître des clés

          La carte mentale 1 : Schopenhauer propose-t-il un pessimisme ou une heuristique ?

          Cliquer ici si la carte ci-dessous n’est pas visible, sinon, cliquer sur le lien dans « Fichier attaché » :
          Cartementale1SchopenhauerUnephilosophieheuristique.pdf

          #4909
          René
          Maître des clés

            Carte mentale déployée : entre heuristique et pessimisme
            Cliquer ici si l’image ci-dessous n’est pas visible, ou cliquer sur le lien dans Fichier attaché :
            Cartementale2.SchopenhauerUnephilosophieheuristique.pdf

            #4910
            René
            Maître des clés
              Notes autobiographiques de l’auteur
              Empruntées sur l’excellent blog : http://www.schopenhauer.fr (Rubrique : Biographie)
              Avec nos remerciements les plus vifs à son auteur Guy Heff.

              Un Optimiste lucide
              « Quand parfois je suis tenté d’être mécontent de mon sort, je me dis quelle chose importante c’est pour un homme comme moi de pouvoir consacrer toute son existence à cultiver ses dons naturels et à poursuivre la tâche qui lui a été dévolue à sa naissance. Il y avait plus de mille à parier contre un que cela ne fût pas possible et que ma carrière fût manquée. Dans les rares moments où je me croyais malheureux, c’était, pour ainsi dire, par suite d’une méprise, d’une erreur de personne.
              Je suis celui qui a écrit le Monde comme volonté et comme représentation, et qui a donné du grand problème de l’existence une solution qui remplacera peut-être les solutions antérieures et en tout cas occupera les penseurs des siècles à venir »

              Une subjectivité altérée
              « La nature a fait plus qu’il n’en faut pour isoler mon cœur, le dotant de méfiance, d’irascibilité, de véhémence et de fierté dans une mesure presque incompatible avec la mens aequa du philosophe. Je tiens de mon père une angoisse que je maudis et combats de toutes mes forces: cette angoisse s’empare de moi parfois pour un rien avec une telle brutalité que je vois comme chose réalisée, une catastrophe simplement possible, voire à peine pensable. »

              Une sensibilité
              « Je dois l’avouer sincèrement : la vue de tout animal me réjouit immédiatement et m’épanouit le cœur ; avant tout la vue des chiens, et puis celle de tous les animaux en liberté, des oiseaux, des insectes, etc. Au contraire, la vue des hommes provoque presque toujours en moi une aversion prononcée ; car ils m’offrent, à peu d’exceptions près, le spectacle des difformités les plus repoussantes et de toute nature : laideur physique, expression morale de passions basses et d’ambition méprisable, symptômes de folie et de perversités et sottises intellectuelles de toutes sortes et de toutes grandeurs, enfin l’ignominie, par suite d’habitudes répugnantes; aussi je me détourne d’eux et je m’enfuis vers la nature végétale, heureux d’y rencontrer les animaux. Dites ce que vous voulez : la volonté, au plus haut degré de son objectivation, loin d’offrir un bel aspect, en offre un repoussant. La couleur blanche du visage n’est-elle pas déjà antinaturelle, et les vêtements qui recouvrent le corps — cette triste nécessité du Nord — ne sont-ils pas une déformation ?»

              La souffrance, entre moyen et fin
              « La souffrance est le but immédiat de la vie, comme si elle était l’œuvre d’un démon ; mais ce but n’est pas le but suprême, il est lui-même un moyen, un moyen de la grâce, arrangé comme tel par nous, en vue de notre bonheur véritable et suprême ».

              Suis-je pessimiste ?
              « On a accusé ma philosophie d’être triste et désespérée ; mais il n’y a rien de si désespérant que la doctrine d’après laquelle le ciel et la terre, et par suite l’homme, ont été créés de rien, car il s’ensuit d’elle, aussi logiquement que la nuit succède au jour, que l’homme s’anéantit quand il meurt sous nos yeux. Le commencement et la raison de toute consolation, au contraire, c’est la doctrine d’après laquelle l’homme n’est pas venu de rien. »

              A vous la parole B)

            5 sujets de 1 à 5 (sur un total de 5)
            • Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.