Éloge de l’amour, Alain BADIOU
Un sujet suggéré par Philippe pour le cafe philo d’Annemasse du 08.04.2013
(Le texte ci-dessous est une association de copier-coller d’extraits de l’original, l’assemblage doit respecter le sens voulu par l’auteur)
Que le monde puisse être rencontré et expérimenté autrement que par une conscience solitaire, voilà ce dont n’importe quel amour nous donne une nouvelle preuve. Et c’est pourquoi nous aimons aimer, comme le dit saint Augustin, nous aimons aimer, mais nous aimons aussi que d’autres aiment. Tout simplement parce que nous aimons les vérités. C’est là ce qui donne tout son sens à la philosophie : les gens aiment les vérités, même quand ils ne savent pas qu’ils les aiment.
L’amour commence par le caractère absolument contingent et hasardeux de la rencontre. C’est vraiment les jeux de l’amour et du hasard. Et ils sont inéluctables. Mais le hasard doit, à un moment donné, être fixé. Il doit commencer une durée. C’est un problème métaphysique très compliqué : comment un pur hasard, au départ, va-t-il devenir le point d’appui d’une construction de vérité ?
Déclarer l’amour, c’est passer de l’événement rencontre au commencement d’une construction de vérité. C’est fixer le hasard de la rencontre sous la forme d’un commencement. Et souvent ce qui commence là dure si longtemps, est si chargé de nouveauté et d’expérience du monde que, rétrospectivement, cela apparaît non plus du tout comme contingent et hasardeux, mais pratiquement comme une nécessité.
C’est ainsi que le hasard est fixé : l’absolue contingence de la rencontre de quelqu’un que je ne connaissais pas finit par prendre l’allure d’un destin. La déclaration d’amour est le passage du hasard au destin, et c’est pourquoi elle est si périlleuse, si chargée d’une sorte de trac effrayant.
C’est le moment où vous vous dites : ce qui s’est passé là, cette rencontre, les épisodes de cette rencontre, je vais les déclarer à l’autre. Je vais lui déclarer qu’il s’est passé là, en tout cas pour moi, quelque chose qui m’engage. Voilà : je t’aime.