Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Faut-il associer le philosophe et sa philosophie à son mode vie et à la pratique de ses idées ? Sujet pour lundi 09.10.2023 + Compte rendu.
- Ce sujet contient 1 réponse, 1 participant et a été mis à jour pour la dernière fois par René, le il y a 1 année et 5 mois.
-
AuteurMessages
-
3 octobre 2023 à 4h14 #6867Rencontres philo pour le monde d’aujourd’hui, tous les lundis à 19h00
à la Taverne, place de l’Hotel de Ville. 74100 ANNEMASSE Faut-il associer le philosophe et sa philosophie
à son mode vie et à la pratique de ses idées ?La question nous est suggérée par un cours sur Heidegger, présenté par le Précepteur. Le cours est fort bien fait, donc, nous ne critiquons pas le cours, mais l’idée qu’il puisse y avoir un rapport entre un philosophe (Heidegger) et sa « philosophie » (l’Être et temps) d’une part et, d’autre part, sa pratique et son adhésion au parti nazi.
Dans la même lignée, faut-il faire un lien entre :
– la philosophie de Sartre (l’existentialisme est un humanisme) et sa non-critique des goulags de l’URSS qu’il soutenait ?
– La philosophie de John Locke et sa justification du commerce des esclaves, alors qu’il est l’auteur d’essais sur la tolérance et qu’il promeut la liberté.
– Rousseau qui abandonne ses enfants à l’assistance publique, alors qu’il a écrit un traité sur l’éducation (Émile).
– Sénèque, dont la biographie montre qu’il semble avoir été plus fourbe que stoïcien.
(lien transmis par Mikael)Proposition pour le débat :
Distinguons la valeur des idées du philosophe (les valeurs de fonds) de celle de son comportement au quotidien et, par ailleurs,
> ces mêmes valeurs de fond de celles dont le philosophe rend compte par ses choix de vie, ses engagements, sa parole publique. < Enfin, regardons si, pour philosopher, il nous est demandé de questionner/dépasser nos contradictions internes et externes (factuels). Fondamentalement, il s’agit moins de juger la personne que des conditions de possibilité du dépassement de ses contradictions. Des ressources :
– Heidegger. Que veut dire « être » ? Le Précepteur. Durée 1h02
– Heidegger, messie antisémite ? La réception des Cahiers noirs Maison Heinrich Heine Paris. Table ronde. Durée 1h55
– Rousseau, ses quatre vérités ? Article de Pauline Tanon. Le Cairn info.
– Jean Jacques ROUSSEAU, ses enfants. Article de la Société Internationale des Amis du Musée
– John Locke : une géophilosophie de la servitude. Article de Matthieu Renault. Le Cairn Info.
– La playlist de John Locke de Gauthier Tumpich sur sa chaine : les podcasts philosophiques.———————————–
Le compte rendu du sujet de la semaine passée : Sommes-nous concernés par le spectacle de la société ? (Guy Debord)Cliquer ici)————————————-
Règles de base du groupe
– La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
– Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
– On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
– Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
– On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
– On s’efforce de faire progresser le débat.
– Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
> Le moment de la conclusion peut donner l’occasion d’un exercice particulier :
– On peut dire ce que l’on pense des modalités du débat.
– On peut faire une petite synthèse d’un parcours de la réflexion.
– On peut dire ce qui nous a le plus interpelé, ce que l’on retient.
– On peut se référer à un auteur et penser la thématique selon ce qu’aurait été son point de vue.
—————-Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
> Lien vers les sujets du café philo d’Annemasse, ici.
> Lien vers le forum des problématiques de notre temps (écologie, guerre, zoonose, démographie et philosophie.
– Ici, nous postons des cours, interviews, conférences dont nous avons apprécié la consistance philosophique
– Lien pour recevoir notre newsletter Cliquer ici, puis sur Rejoindre le groupe.
> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)11 octobre 2023 à 15h42 #6878Compte rendu : Faut-il associer le philosophe et sa philosophie
à son mode vie et à la pratique de ses idées ?Nous étions 11 participants + le retour d’Icheme. Il fréquentait notre café philo lorsqu’il était lycéen, soit vingt ans plus tôt. Aujourd’hui, il est journaliste, et semble très informé des problématiques du monde et de notre société.
Pourquoi se pose-t-on la question du rapport entre le philosophe, sa philosophie et sa pratique ?
Par exemple, on peut redouter que la philosophie d’un auteur conduise à des choix, à des comportements dont on condamne les valeurs, l’éthique.
Ex. Luc Ferry qui lance que les policiers devraient faire usage de leurs armes contre les gilets jaunes. Sa philosophie, ainsi que ses cours, portent-ils en souterrain cette violence en eux-mêmes ? A dessein ou malgré lui, le philosophe communique-t-il sa violence, fait-il modèle en tant qu’il inspirerait des personnes sous influence ?
Sur un autre plan, le montage très sophistiqué de la philosophie d’Heidegger conduit-elle à considérer l’adhésion au parti Nazi comme une conséquence effective de la thèse philosophique qu’il défend ? Ou celle-ci n’a-t-elle rien à voir avec sa pensée ? Toutefois, on ne peut que constater que sa philosophie ne l’a pas éloigné du nazisme, puisqu’il y joua un rôle en tant que recteur d’université (1 – annulation des bourses attribuées aux étudiants juifs et étrangers).
Autre raison, dans l’antiquité, si l’on était stoïcien, épicurien ou aristotélicien, les pratiques à exercer, les savoirs à intégrer étaient radicalement différents. Ils engageaient toute votre personne durant des années. Il importait alors de savoir, par la pratique et ses effets, où la philosophie que vous adoptiez allait vous conduire.Une vulnérabilité première
Il y a une vulnérabilité première, en tant qu’être humain, en ce sens que nous cheminons à l’aveugle : nous ne savons pas où nous allons, et il nous faut une relative expérience, une maturité et être alerté par certains savoirs avant de se faire une idée, toute relative, du chemin que nous empruntons. Dans ce cas, l’intégrité du philosophe par rapport à sa pratique, peut témoigner d’une authenticité, il incline ainsi à penser qu’il vit ce qu’il pense, il n’essaie pas de nous convaincre d’emprunter un chemin, tout en en prenant un autre. Par son implication, il est le gage d’une certaine fiabilité, sa vie, sa pensée, son corps sont autant engagés que sa philosophie pourrait engager les nôtres.
Néanmoins, durant notre débat, nous nous accordons sans réserve pour distinguer le philosophe de sa philosophie. En effet, l’œuvre philosophique (et par extension, toutes les œuvres littéraires, artistiques, cinématographique, etc) peuvent avoir un intérêt pour elles-mêmes, elles expriment une créativité, elles témoignent chacune d’un moment singulier et humain, elles s’inscrivent dans une histoire personnelle (la sienne et celle de l’auteur) et collective (une culture partagée, un moment que l’histoire des idées a retenu).Une mise à distance du philosophe.
Dans un second temps, il peut valoir la peine de questionner le rapport du philosophe à sa pratique, de sorte à comprendre la personne en elle-même, ses luttes. Cette distinction entre la pensée et la personne informe du rapport entre soi et autrui, entre le corps et la pensée, entre le corps social et l’éthique. Ce rapport entre ces différents « corps » est-il distendu, conflictuel, contradictoire, éventuellement cohérent, aligné ? De quelle manière le philosophe s’accompagne dans son projet philosophique avec ses différents corps, autrement dit, avec les différents champs du réel (intérieur, relationnel, social, environnemental) ?
Exemple : les philosophes n’ont pas tous travaillé sur les mêmes « corps ». Par exemple, l’existentialisme de Sartre interroge la liberté sur tous les plans (de soi à soi-même, de soi à l’autre et de soi à la politique), jusqu’où sa « liberté » est-elle un humanisme, alors qu’il n’a pas dénoncé les goulags de l’URSS ? Jusqu’où est-elle un humanisme alors qu’il convenait avec sa compagne qu’elle lui ramenait de jeunes étudiantes ? Jusqu’où est-elle un humaniste s’il convient de se « salir les mains »(les Mains sales), et d’assumer des contradictions (l’assassinat) par rapport à une révolution ? Même question pour Locke, Heidegger et Rousseau dans le champ respectif de leur thèse philosophique et de leur pratique effective. De quel pragmatisme, de quelle pertinence, et non pas, trahison, fausseté, incohérence se révèle leur philosophie ? La philosophie de Machiavel, celle de Merleau-Ponty ou celle encore d’un « Jésus-Christ » (considérons que ce dernier fait philosophie par son engagement et ses propositions éthiques) n’engagent pas le même rapport à la vie, à soi-même et à autrui. Ainsi, l’exigence d’exemplarité ou de modèle que l’on peut attendre des « philosophes » est fonction des thèses qu’ils développent.Se distancier par rapport à soi-même.
Il se pose la question de notre responsabilité dans ce questionnement par rapport à notre quête personnelle, notamment si nous sommes conduits à des formes de rejet, d’accusation, de jugement moral. Que dit cette mise à distance de soi et du philosophe en question ? A quelle image de soi, voire à quelle philosophie, notre propre rejet renvoie-t-il ? Faisons-nous « politique » de ce rejet (appel à boycotter des œuvres) ? A nouveau, entre nous (les participants), il est clair que chacun de nous assume et connait relativement les zones grises de son questionnement, de ses hésitations. Généralement, les blessures entrainent des rejets qu’il est difficile de questionner à chaud. La question n’étant pas de se situer dans un rapport de culpabilisation/d’accusation mais dans un rapport de lucidité, d’une pratique du discernement autant par rapport à soi que par rapport à un écrit (2. Spinoza -ni rire, ni haïr, mais comprendre).
Nous ne nous attarderons pas sur les philosophes médiatiques (Onfray, Enthoven, BHL…) qui semblent s’aliéner à l’image qu’ils se donnent et faire le jeu des médias (le spectacle), plutôt qu’ils ne semblent s’attacher à un projet philosophique en tant que tel.Faire apprentissage de soi et de la vie.
Le premier motif de cette distinction entre le philosophe et sa production philosophique consiste à apprendre, à rester ouvert. Il s’agit d’assumer le besoin propre de sa formation « intellectuelle » (entendue comme une quête d’émancipation, et non comme un conformisme). Puis, selon son désir d’approfondir, de prendre le risque de connaître l’auteur, sa lutte et ce que lui a coûté (émotionnellement, intellectuellement) la rédaction de son œuvre. En effet, toute production demande un effort, une lutte contre l’inertie, un déplacement d’énergie qui va se heurter contre une tendance inverse. Le travail de son œuvre traduit une transformation, l’état d’un moindre bien frayant sa route vers un mieux souhaité, non garanti. Les résistances, les non-dits, l’effort que l’auteur transpose dans le monde du langage et du partage avec autrui, dit la « transcendance » ou le sacrifice qu’il consent pour lui et pour les autres. De quelle manière prenons-nous part à cette « transcendance », à ce sacrifice en lisant un auteur ? Si nous ne le faisons pas, autrement dit, si nous effectuons une recherche pour « soi-même (connais par toi-même), nous devons assumer l’émancipation-l’autonomie-créativité de notre propre pensée, n’est-ce pas ? Mais c’est bien ce que nous faisons dans notre café philo. 😆 En résumé.
Il y a un risque à penser en raison de ce vers quoi une pensée nous entraine, nous avons besoin de repères, dont l’un deux est celui que le philosophe nous donne par sa pratique. Il est une situation d’exemple par son corps même. Toutefois, le philosophe fait également apprentissage de sa philosophie et là, certains apparaissent plus honnêtes, plus authentiques que d’autres, qui peuvent sembler plus dogmatiques, sinon hypocrites. Les premiers savent les limites de leur philosophie et peuvent en questionner la pertinence, les seconds insistent, creusent le même sillon et en cachent les coulisses. Dans le premier cas, Rousseau peut se présenter comme un exemple, , il fait preuve d’honnêteté à propos de l’abandon de ses enfants dans les Confessions (livre XII) : « Le parti que j’avais pris à l’égard de mes enfants, quelque bien raisonné qu’il m’eût paru, ne m’avait pas toujours laissé le cœur tranquille. En méditant mon Traité de l’Éducation, je sentis que j’avais négligé des devoirs dont rien ne pouvait me dispenser. »
Par la suite, il écrit : « Le remords enfin devint si vif, qu’il m’arracha presque l’aveu public de ma faute au commencement de l’Émile, et le trait même est si clair, qu’après un tel passage il est surprenant qu’on ait eu le courage de me la reprocher. »De fait, la clémence invite à distinguer l’œuvre, son contexte et ce qu’elle a coûté à l’auteur, car tout est question d’interprétation, laquelle renvoie à soi-même. Croyons-nous en la sincérité du personnage, joue-t-il au politique, fabule-t-il ? Pouvons-nous comprendre la portée de la pensée de l’auteur, ce qu’elle avait de révolutionnaire en son temps, et en quoi elle peut encore garder une actualité, si nous ne distinguons pas l’œuvre de sa vie personnelle ?
Dans le second cas, il n’est pas toujours simple de distinguer de quoi relève le flou d’un auteur autour de sa thèse. Heidegger, qui ne reconnaissait pas son adhésion au parti Nazi, la minimisait ou la cachait. Avec sa philosophie, tentait-il de convaincre en souterrain de ses idées nazies ? Leur a-t-il donné de l’ascendant par le fait même de soutenir ce régime, de le servir ou était-il seulement opportuniste et inconséquent ? Jusqu’où son œuvre doit-elle en pâtir ?Notes.
1° L’article d’Heidegger sur Géo. Voir ici.
2° « Ni rire ni pleurer mais comprendre ». La phrase n’existe pas telle qu’elle dans l’oeuvre de Spinoza. Mais elle exprime la mise à distance de tous les affects pour comprendre des « rapports » entre les choses. Article ici de PhiloLog.
3° Sinon, nos notes de cours sur Spinoza, via Deleuze, dans notre forum, ici.Rappel des ressources éditées dans l’introduction.
– Heidegger. Que veut dire « être » ? Le Précepteur. Durée 1h02
– Heidegger, messie antisémite ? La réception des Cahiers noirs Maison Heinrich Heine Paris. Table ronde. Durée 1h55
– Rousseau, ses quatre vérités ? Article de Pauline Tanon. Le Cairn info.
– Jean Jacques ROUSSEAU, ses enfants. Article de la Société Internationale des Amis du Musée
– John Locke : une géophilosophie de la servitude. Article de Matthieu Renault. Le Cairn Info.
– La playlist de John Locke de Gauthier Tumpich sur sa chaine : les podcasts philosophiques.————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
> Lien vers les sujets du café philo d’Annemasse, ici.
– Le café philo à la Maison Rousseau Littérature à Genève, le premier vendredi du mois, c’est ici.
– Le café philo des ados de Evelaure. Annemasse.
> Lien vers le forum des problématiques de notre temps (écologie, guerre, zoonose, démographie et philosophie.
– Ici, nous postons des cours, interviews, conférences dont nous avons apprécié la consistance philosophique
– Lien pour recevoir notre newsletter Cliquer ici, puis sur Rejoindre le groupe.
> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici) -
AuteurMessages
- Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.