Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Juger sans punir ? Sujet pour le 25.01.2016 + compte-rendu des problématiques évoquées

2 sujets de 1 à 2 (sur un total de 2)
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  • #5327
    René
    Maître des clés
      Juger sans punir ?

      En règle générale, la justice ne peut être rendue sans que soit infligé à l’auteur du méfait une peine qui ait valeur de châtiment. Pourtant un châtiment ne règle rien, n’enseigne rien, ni il ne rend la société meilleure. La punition, en terme de justice, s’apparenterait à un rapport de stricte égalité (rendre le même), il s’agirait de prescrire une peine que l’on espère aussi pénible, sinon davantage, que le mal commis. Mais, s’appuyant sur une enquête sociologique et une analyse du fonctionnement de nos institutions, Geoffroy de Lagasnerie (philosophe, sociologue) se demande s’il y n’aurait pas d’autres manières de penser la justice.
      Essayons de partager son interrogation lors de notre prochain débat.

      Extrait du blog de Geoffroy de Lagasnerie (Médiapart)

      « Oui, c’est un beau mot « excuser », qui prend en compte avec générosité et rationalité la manière dont les vies sont formées, les violences que les gens ont subies, les cadres dans lesquels ils vivent, etc. Il faut revaloriser ce mot dans la culture juridique et politique. C’est d’autant plus légitime que le droit prévoit déjà des excuses – ce qui montre à quel point des deux côtés (sociologues et politiques), le débat se fonde sur une ignorance du fonctionnement du droit contemporain. «On peut penser à « l’excuse de minorité » pour les enfants, mais aussi à l’irresponsabilité pénale pour les malades mentaux. Aujourd’hui, la justice utilise déjà un savoir (psychiatrique) pour lever, parfois, la responsabilité (dans les cas de troubles mentaux). Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser de la même manière le savoir sociologique ? J’ai assisté à de nombreux procès d’assises pour mon dernier livre. A plusieurs d’entre eux, les accusés étaient des SDF : ils boivent, ils se battent, l’un d’entre eux tombe et meurt. Je pourrais très bien comprendre qu’on déclare ce SDF irresponsable de ces coups mortels, ou qu’on atténue sa responsabilité, en raison de la façon dont son geste fut prescrit et engendré par la situation dans laquelle il s’est trouvé pris. Ne serait-ce pas une conquête de la raison sociologique et politique sur les pulsions répressives et de jugement ? »

      Questions posées par l’ouvrage de Geoffroy de Lagasnerie, Juger (2016)

      – La Loi est souvent présentée comme instaurant le règne de la raison contre les réactions passionnelles. Ne produit-elle pas en réalité des effets de dépossession et du traumatisme ?
      – À quelles conditions une sociologie critique pourrait-elle nous donner les moyens d’imaginer un droit moins violent, un État moins souverain et une justice plus démocratique ?

      Autres questions

      – Existe-t-il des raisons de faire en sorte que la justice soit déconnectée de toute violence ?

      Ressources

      – Plaidoyer pour une justice plus démocratique (Geoffroy de Lagasnerie) (La Grande Table sur France Culture)
      Repenser l’Etat (Yasmine Bouagga, Didier Fassin) (La Grande Table sur France Culture)
      Le tribunal apparaît comme un des lieux les plus violents de la vie sociale. Entretien de Geoffroy de Lagasnerie dans Libération
      Pierre Joxe, vidéo (3mn) sur les origines de la délinquance (3mn)
      Faut-il obéir à des ordres illégitimes ? Pierre Joxe à l’adresse de lycéens (Canopé pédagogie)
      Vidéo (6mn) sur la Justice réparatrice. Par l’INAVEM, une association d’aide aux victimes.
      Vidéo (22mn) sur la justice réparatrice Par le Projet Imagine.


      Ressources philosophiques (merci à Nadège pour sa contribution)

      En quoi le droit de punir participe-t-il de la justice ? (Bac philo, Les Nouveaux Chemins de la Connaissance)
      Peut-on fonder un droit à punir ? Simone Manon sur philolog
      Un tableau synthétique sur le droit de punir. Site de l’académie de Grenoble
      Le Droit sur Cosmovision (l’autre encyclopédie gratuite)

      Citations

      – « Punir est devenu un cas particulier de notre devoir général de prendre acte de la responsabilité individuelle dans une société de liberté. » Alain Peyrefitte
      – « Je connais les traits de la haine. Les hommes de ma génération ont eu souvent l’occasion de la rencontrer. Mais elle revêt son pire visage quand elle se pare du masque de la justice. La haine furieuse fait peur. La haine justicière fait honte. » Robert Badinter.

      Sujets corrélés
      Pourquoi punir (+ compte-rendu et cartes mentales)
      Peut-on vraiment tout pardonner (+ compte-rendu et cartes mentales)
      Une fessée, est-ce que cela fait du bien ? (+ compte-rendu)
      Avons-nous ce que nous méritons ? (+ une restitution de quelques séquences d’échanges du débat)
      Que nous dit cette propension de l’homme à se sentir coupable ? (L’introduction du sujet, sans compte-rendu)

      #5330
      René
      Maître des clés
        Compte-rendu, quelques problématiques évoquées lors de notre débat :
        Faut-il, peut-on, est-il souhaitable de juger sans punir ?

        Ambiance
        – Environ 35 personnes étaient présentes.
        – Le débat était à la fois riche et passionné. Riche de par la diversité des interventions : ces dernières donnaient à voir un panorama des différents aspects de la justice, et des manières de la concevoir. Passionné, car on sentait parfois poindre de la colère ou de l’amertume de personnes s’identifiant avant tout aux victimes. En règle générale, on ne conçoit pas une justice se gardant de punir, de faire subir une peine à l’auteur d’un méfait; c’est en fait précisément ce que l’on attend d’elle.
        – Se pose la question de ce qui peut aider l’auteur d’un délit à se rendre compte des conséquences, humaines et matérielles de ses actes si, lui-même n’endure pas à son tour des afflictions équivalentes à celles qu’il a fait subir aux autres.

        L’action en justice ne consiste pas seulement à punir, c’est également :
        > enquêter, arbitrer, (établir les faits)
        > produire un cadre, des normes, (réguler la société)
        > éviter la récidive, réinsérer, (sécuriser, protéger la société)
        > réparer les dommages causés, (retrouver la situation matérielle de départ)
        > éduquer, (donner au fautif la possibilité de changer de comportement)
        > restaurer les relations, trouver des réparations compensatrices, (permettre à la victime de recouvrer un équilibre personnel, matériel et social)

        Contenir n’est pas punir
        Parmi les actions de la justice énoncées précédemment, seules la réparation des dommages causés et les approches d’une justice restauratrice (dispositif de rencontres entre des victimes et des condamnés) peuvent permettent à un auteur de délits de se rendre compte des conséquences de ses actes. Les autres actions (protéger la société, éviter la récidive, éduquer, réinsérer,…) sont périphériques par rapport à cette prise de conscience. Pour autant, contenir un détenu au motif de protéger la société, et non en raison de le punir, change le message de la justice. Ce ne serait pas la punition qui importe, mais bien le fait de protéger la société, puis de permettre au condamné de se racheter. Malgré cela, et dans bien des cas, le détenu risque de vivre sa peine avant tout comme une punition, et éventuellement comme une forme de pénitence. Mais cette partie subjective lui revient, c’est le dialogue privé avec sa conscience qu’il doit apprendre à élaborer, à argumenter en son for intérieur, et dans ce cas, qu’une justice de type « réparatrice » peut permettre.

        Au nom de quoi rendons-nous justice ?

        Du code d’Hammurabi vers – 1700 (loi du talion) à la justice Républicaine, en passant par celle de l’Ancien Régime, on considère que la justice évolue en même temps qu’évoluent nos moeurs, nos connaissances, nos techniques, notre économie…
        Aujourd’hui, on admet généralement que « juger » ne puisse se réduire « à rendre le même », et cela pour au moins trois raisons:
        1° Selon le type de préjudice causé (crime, viol, perte d’objets à forte valeur affective, traumatisme psychologique…) on peine à trouver des équivalents, et donc à « rendre le même ».
        2° Au nom de la justice, le principe selon lequel il faudrait rendre un mal pour un mal ne permet pas de se dégager d’une forme de vengeance primaire : œil pour œil, dent pour dent. Or, pour faire en sorte que la justice se situe au delà des passions, elle doit viser un idéal structurant pour la société, ses principes pouvant alors orienter vers des formes de réconciliation.
        3° Si la justice condamne le « mal », peut-elle se réserver le droit de le faire, sans être en contradiction avec elle-même ?

        Environnement sociologique et circonstances atténuantes

        La société est-elle responsable des types de délits qui se produisent en son sein ? Non, a priori pas dans une société composée d’individus responsables. Pourtant, peut-on ignorer la sociologie des détenus ?, Selon le chercheur Philippe Combessie : « On trouve dans les prisons françaises une très forte majorité d’hommes, relativement jeunes, pauvres, aux liens familiaux distendus plus souvent que dans le reste de la population, issus de milieu modeste, fréquemment sans emploi au moment de l’incarcération, et d’un niveau scolaire inférieur à la moyenne… »
        En somme, il y a un caractère pré-déterminant qui peut être induit par l’environnement social des détenus, alors même que le degré d’implication à la fois de la société et de l’individu ne puisse pas être clairement distingué.

        Quelques interventions
        – Certains délinquants (ou fauteurs de troubles) disent avoir besoin d’être « punis » (de ressentir la condamnation comme une peine, voire comme une pénitence)
        – C’est la société qui juge, finalement la justice est à l’image de la société, et c’est bien ainsi.
        > Réaction : Si des philosophes, des humanistes, des intellectuels n’interrogeaient pas les présupposés de la justice, cette dernière en resterait au prima (rendre le même) de ce qui la fonde en dépit de l’avancée de nos connaissances.

        En guise de conclusion:
        La volonté de dissocier la punition du jugement suggère de reconnaître qu’il y a pour tout délit une explication, mais non pas une excuse, explication qui serait corrélée aux facteurs d’un environnement social défavorable. Dans cette optique, la justice poursuivrait ses fonctions essentielles (établir les faits, protéger la société, réinsérer…), et elle rechercherait à réparer sur tous les plans (matériel, environnemental, psychologique, spirituel) et le condamné, et la victime. En somme, dans l’idéal, la justice viserait à une réconciliation entre tous les membres de la société.
        Finalement, s’inscrivant dans la tradition des Droits humains, dont la France se veut être l’un des premiers portes-parole, nous pourrions nous poser les questions suivantes :
        > une société qui promeut les Droits de l’homme, ne doit-elle pas concevoir une justice qui prend en compte l’avancée des connaissances en sciences humaines et sociales ?
        > En quoi les institutions de la justice française témoignent-elles du projet d’humanité qu’elles sont supposées représenter ?

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        Que nous dit cette propension de l’homme à se sentir coupable ? (L’introduction du sujet, sans compte-rendu)

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