Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Pensées critiques à propos des discours sur le conflit Ukraino-Russe › Semaine 13. Le débat Munk des pour et des contre la guerre en Ukraine.
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30 mai 2022 à 15h12 #6295Les conclusions des débateurs du Munk Debate sur la guerre en Ukraine
Deux camps débattent, le parti pour armer l’Ukraine et celui qui est pour négocier au plus vite.
Cliquer ici pour accéder aux conclusions des deux parties. Durée 12mn
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Cliquer ici pour l’accès à la vidéo originale (durée 22mn).Résumons l’essentiel :
Le camp 1 : Pour armer l’Ukraine, l’aider à se défendre, pour punir Poutine et sortir la Russie du rang des grandes nations.Michael McFaul § Radosław Sikorsk.
Michael McFaul :
La conception du pouvoir du Poutine est archaïque : le plus fort doit soumettre le plus faible. Combien d’autres pays doivent encore se sentir menacer par un risque de guerre avec la Russie ?
Peut-on s’attendre à ce que Poutine soit un jour rassasié du pouvoir obtenu ? Veut-on toujours vivre sous la menace du plus fort ? Il faut arrêter au plus vite Poutine.Radosław Sikorsk :
Si nous laissons faire la Russie, c’est une pente glissante, il en convoitera toujours davantage.
En tant que Polonais, j’ai vécu sous la menace soviétique durant 45 ans. Nous n’aimions pas ça.
Poutine ne mène pas une guerre contre l’Otan, ce n’est qu’une ruse. Ses besoins en sécurité ont été reconnus. Nous assistons aux derniers soubresauts de la volonté impérialiste Russe. Les moments de transition à l’intérieur d’un pays sont toujours « sanglant ».
La Russie doit reconnaitre l’Ukraine, et elle pourra devenir une nation « normale », plutôt qu’un empire.
« Nous sommes prêts à mourir pour notre liberté (Ukrainiens), combien vous faut-il en tuer (à la Russie) pour nous prendre au sérieux ? » Dès que la Russie reconnaîtra que cette guerre lui coûte trop cher, il y mettra fin.Le camp 2 : Contre la guerre et pour négocier la neutralité de l’Ukraine au plus vite. Stephen Walt § John Mearsheimer
Stephen Walt :
La guerre tend naturellement à tout aggraver et le risque d’escalade à s’amplifier jusqu’à devenir incontrôlable. Tout le monde en paiera le prix, les Ukrainiens les premiers.
Personne ne pense que l’on doit céder à Poutine tout ce qu’il veut, la question est :
Devons-nous reconnaître des questions légitimement liées à la sécurité de son pays pour stopper cette guerre ?
Nous ne vivons pas dans un monde parfait, chaque pays peut exagérer son malaise insécuritaire. Pour stopper la guerre, il faut d’abord reconnaitre les besoins en sécurité de la Russie, comme ceux de l’Ukraine, comme ceux de chaque nation.John Mearsheimer :
Je suis en complet désaccord avec l’idée d’un projet impérialiste de la Russie, et, qu’après l’Ukraine, elle envahira les pays suivants. Rien ne permet de soutenir une telle idée. La Russie se détermine par rapport à l’expansion de l’Otan.
Nous avons le choix entre :
1° via la diplomatie, créer une Ukraine neutre,
2° renchérir le conflit, battre la Russie en Ukraine, mettre à l’économie russe à terre et les sortir du rang des grandes puissances. (Politique de Biden)
Mon opinion, c’est que la seconde option est très dangereuse et très préjudiciable pour les Ukrainiens.
> on peut faire le comparatif avec la crise cubaine des missiles.Quel est votre avis ?
Comment faire son choix ?
Comment départager la valeur des arguments ?
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> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)1 juin 2022 à 13h43 #6296Une brève analyse se rapportant aux arguments des propagandistes du débat de MunkLe camp 1 :
– Les arguments de Michael McFaul § Radosław Sikorskdu sont essentiellement basés sur le jugement des intentions de Poutine : « il va tout envahir », ce qui ne correspond en rien avec ses déclarations, mais aussi avec le nombre d’hommes armés déployés aux frontières de l’Ukraine (environ 100 000). Par comparaison avec les USA et l’Irak, 300 000 soldats déployés contre l’Irak, que les USA ne comptaient pas envahir).
– On y observe un mensonge : les besoins en sécurité de la Russie, selon Radosław Sikorsk, ont été reconnus. Or l’expansion de l’Otan est un fait avéré, indiscutable et menaçant pour la Russie. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une interprétation de Radosław Sikorsk, mais on ne voit sur quoi elle se fonde.
– Supposons qu’il ne s’agisse pas d’un mensonge, mais d’une justification de Poutine qui, aux yeux du camp 1, leur semble insuffisante, le fait d’affirmer le contraire (la sécurité de la Russie est acquise) revient à dénier à Poutine sa « réalité », fondé pourtant en raison (expansion de l’Otan), et sur son sentiment d’insécurité (un ressenti qui est à considérer dans un premier temps, quitte à en discuter les raisons dans un second temps, celui de la négociation).
– Enfin, armer l’Ukraine, ce que parie le camp 1, permettra à l’Ukraine de l’emporter sur la Russie. Ce qui, en soi, est impossible. Un pays aussi petit, bien que fort armé, ne peut l’emporter sur un voisin qui lui est plusieurs fois supérieur en puissance, en soldat, en arme, en économie. Dans le meilleur des cas, les deux pays vont s’affaiblir.Le camp 2
Les arguments de Stephen Walt § John Mearsheimer sont plutôt factuels. Celui de Stephen Walt est largement reconnu, les malheurs et le tragique à toute guerre vont peser de tout leur poids sur les populations, il faut des décennies pour s’en remettre. Tandis que le risque intrinsèque à la guerre, celui de l’escalade, peut entraîner d’autres pays, directement ou indirectement, dans son sillage. La guerre, dans les faits, n’est jamais une bonne solution, à court comme à moyen termes. Et des négociations s’imposeront, le plus tôt sera le mieux.
Les arguments de John Mearsheimer sont pertinents en ce qu’ils s’accordent avec les raisons avancées par Poutine : la Russie se détermine par rapport à l’expansion de l’Otan. Il s’agit donc d’assurer à Poutine, la neutralité de l’Ukraine, et qu’il nous assure, en retour, qu’il laissera à l’Ukraine le choix de sa neutralité. C’est tout l’enjeu des négociations : se donner des garanties que scelleront des contrats.
Second argument, le pari de l’emporter sur la Russie en armant l’Ukraine n’est pas réaliste.Enfin, d’un point de vue élargi, les accords de Minks (2014), qui prévoyaient l’autonomie du Donbass et à l’intérieur des frontières de l’Ukraine, n’ayant pas été respectés, la guerre est déjà perdue pour l’Ukraine. En effet, elle ne pourra plus réintégrer le Donbass, ni la Crimée qu’elle comptait se réapproprier (décret 117 de Zelenski de 2021, soit avant l’invasion de Poutine en février 2022). Dans les faits, l’Ukraine bombarde les populations russophones du Donbass depuis 2014.
1 juin 2022 à 15h47 #6297Elément de méthode : Distinguons le fait de l’interprétation.Un fait s’observe, il se décrit. Une interprétation se construit, elle s’imagine.
Le fait, parce qu’il s’observe, peut s’examiner : jusqu’où sa description est-elle exacte ? Le fait décrit ne serait-il vrai qu’en apparence ? Serait-il trompeur ? Faut-il questionner les informations se rapportant aux faits, sont-elles suffisamment fiables ou manquent-elles de précisions ?
L’interprétation, de son côté, est une abstraction. Elle ne relève pas de la preuve en soi, puisqu’elle se construit a posteriori de ce qui est présenté comme un fait.
Dans le meilleur des cas, le fait est avéré, et l’interprétation est une hypothèse dûment étayée par une documentation sérieuse. A l’autre extrême, le fait n’est pas avéré, et l’interprétation résultera de spéculations, qui peuvent provenir du fruit de nos peurs, de la rumeur du moment, d’un imaginaire quelconque.
Entre les deux, les faits et les interprétations, s’examineront, d’une part, les degrés de vraisemblance des faits avancés et, d’autre part, des degrés de pertinence parmi une diversité interprétations, mis en corrélation avec les faits.
Mise en pratique à partir d’un exemple du groupe 1 « pour armer l’Ukraine »
Prenons la première proposition : « Le pouvoir de Poutine est « primaire » (archaïque) »
Cet argument est énoncé comme un fait.
Difficulté 1 : l’idée d’être « primaire » relève d’un jugement, c’est une appréciation subjective liée à nos valeurs. En effet, les populations de la Russie, de la Chine ou de l’Inde apprécieront différemment le comportement de Poutine. Selon eux, il sera brave, courageux, imprudent, etc.. Dans un débat, les adultes présentent souvent comme des faits objectifs, des jugements de valeurs subjectives (relatives à chacun, à sa culture).Néanmoins, agréons que le jugement de « primaire », qualifie justement la brutalité de Poutine, au motif, par exemple, que ce jugement s’accorde à la grille de lecture de nos valeurs. C’est la difficulté 2: Jusqu’où pouvons-nous vérifier si ce jugement de valeur est exact, mesurable en intensité ? Poutine est-il plus primaire que Zelenski ou que Trump, Biden ? A partir de quelles images/récits rapportés formulons-nous notre jugement ?
> C’est la difficulté n°3, le contexte. Quel est le contexte de l’image (ou de l’information) à partir de laquelle s’instruit notre jugement ? Par exemple, cette image de Poutine en culturiste brandissant des armes, est-elle le fruit d’une communication à destination de sa population ou un montage des médias occidentaux qui souhaitent nous le présenter de manière caricaturale ? Aujourd’hui, on trouve également des « deepfakes » (des images de synthèses) qui peuvent tromper tout citoyen.
Accordons-nous, à nouveau, que Poutine est une brute épaisse. En effet, nos cultures, bien que différentes, ne doivent pas constituer un motif de déni de nos valeurs. C’est la difficulté n°4. A partir d’un jugement moral, peut-on porter un jugement de valeur sur autrui, sans nier dans le même temps les raisons sur lesquelles se fondent les siennes ? Autrement dit, pour connaître/reconnaître les valeurs de l’autre, ce qui ne signifie pas les partager, faut-il suspendre, au moins ponctuellement, son jugement, et entendre l’autre à partir de sa réalité ?
Difficulté n°5, peut-on déterminer/prévoir la logique d’action d’autrui à partir de ce que nous avons jugé de lui et, notamment, sur des faits qui sont discutables ? C’est très peu probable, et c’est nier à l’autre la possibilité de se raviser, s’il changeait d’avis.
Résumons l’analyse :
Difficulté n°1, le fait avancé est un jugement de valeur (et non un fait objectivement indiscutable).
Difficulté n°2, le jugement de valeur (primaire) est difficile à quantifier en degré et à qualifier de manière universelle.
Difficulté n°3, le récit sur lequel se fonde ce jugement de valeur est décontextualisé (et unilatéralement déclaré)
Difficulté n°4, défendre ses valeurs revient souvent, en un seul mouvement, à nier les valeurs de l’autre. Au nom de quel principe ou de quelle idée de l’homme, peut-on nier les valeurs d’un autre être ?
Difficulté n°5, à partir de nos jugements, sommes-nous fondés à juger du comportement futur de l’autre, et sans ne jamais prendre en compte, sa réalité, son témoignage ?Cet exemple d’interprétation d’un fait de « valeur » se limite uniquement à la proposition : « Le pouvoir de Poutine est « primaire » (archaïque) » On le voit, ce seul jugement conduit la pensée au risque de s’enfermer dans sa propre logique, c’est-à-dire, sans jamais prendre en compte la réalité de l’autre, et telle qu’elle se présente à lui. Dans ce cas, les conditions d’une négociation ne sont pas permises, elles sont même contraires à leur établissement.. En conséquence, tout donne à voir que ce n’est pas la paix qui est désirée, recherchée, souhaitée.
Autre question : le seul fait de ne pas questionner/suspendre son jugement de valeur est-il cause des décisions qui vont être prises dans cette guerre ? Quoi qu’il en soit, en tout état de cause, compte tenu des éléments de notre analyse, le jugement de valeur ne peut être retenu pour un mobile de guerre.Ci-dessous, d’autres angles d’interprétation, à partir des solutions envisagées.
En effet, que notre diagnostic (analyse) de départ soit juste ou erronée, la réponse qu’on lui apporte déterminera ses propres réactions (une autre série de causes et d’effets), susceptibles de complexifier, d’aggraver ou d’améliorer la situation de départ.1 juin 2022 à 22h26 #6298Autre clef d’interprétation, celui à partir du droit.
La violation des frontières de l’Ukraine est indiscutable, bien que sur un plan juridique, le Donbass avait signé un traité d’amitié et d’assistance, selon l’article 51 de la charte de l’ONU. Cet accord, signé peu avant l’invasion de l’Ukraine, prouve que Poutine inscrit son acte dans un rapport au droit international. Ainsi, aux yeux du monde, il se montre « légitime ». Il ne peut donc pas être traité de fou-malade (dépourvu de raison). Il est précisément malin, lucide et cherche à ne pas se faire discréditer aux yeux de sa population, comme aux yeux du monde (BRIC) et à ses potentiels futurs partenaires/alliances.
Autre clef d’interprétation, à partir des actes de Poutine
Sa transgression des frontières ne signifie pas que l’on doive répondre par davantage de pouvoir, de force et d’agression, sans que nous (les occidentaux) sachions témoigner d’une autre manière de faire. Peut-on reprocher à Poutine son acte, et répondre sur le même plan, sans avoir pris en compte ses déclarations et sans avoir fait proposition de négociations ? Notre conduite ne donne aucun crédit aux valeurs que, traditionnellement, nous défendions (liberté, humanisme, universalisme, droit de l’homme)
Autre clef d’interprétation, le niveau des conséquences
Si des décisions doivent être prises, cela implique qu’une estimation sérieuse des coûts (humains et économiques) soit envisagée. Un tableau général de la balance bénéficie/risque établi par pays, et selon les particularités de chacun, doit être murement établi. Or l’Europe a engagé la responsabilité des pays et pris des décisions (sanctions + distribution d’armes) en ignorant tout des implications et conséquences de ses dernières sur chacun des pays de la zone euro. Cela questionne un autre niveau de notre organisation administrative, sociétale et démocratique : sommes-nous encore en démocratie quand la prise de décision se résume à des administrations qui fonctionnent en « autonomie » à leurs références, ne consultent plus leur base (les pays et leurs intérêts), lesquels ne consultent pas davantage le citoyen ?3 juin 2022 à 15h19 #6301Le podcast du Monde Diplo, mai 2022, on a adoré.
Extrait (podcast ici. Durée : 33mn)
« Je pense qu’à court terme, la chose qui susciterait la plus grande consternation en termes de relation OTAN-Russie serait l’admission de ces pays dans l’alliance (…). Si une chose devait faire pencher la balance en Russie, en termes (…) militaires —, ce serait cela. »
Joseph Biden, alors sénateur, en 1997 devant l’Atlantic Council.
A vous de découvrir le déroulé historique des opérations de l’Otan et de ses rapports à la Russie.Question : peut-on estimer que Poutine a déclaré une guerre de son propre chef, sans qu’il n’y ait été « incité » ? Il a sa part de responsabilité, l’Otan ,et l’Europe qui lui a est affiliée, ont les leurs.
3 juin 2022 à 15h21 #6302Pierre Conesa, Maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA. Spécialiste des relations internationales et stratégiques.
Une prise de notes :
Pour faire une guerre, le religieux doit convaincre ses disciples, une démocratie, ses citoyens.
Aujourd’hui, nous avons affaire à un complexe militaro-intellectuel, les intellectuels s’occupant de motiver les populations, sans rien n’y connaître, tandis que les think tank et les administrations de la défense sont motivés que pour prévoir la guerre et la faire.
La formation des élites (Hauts fonctionnaires et intellectuels) est telle qu’ils n’ont aucun contact avec la réalité, et chacun des corps fonctionne en vase clos dans son système.
J’ai participé à des prises de décision où l’expertise du terrain n’est jamais consultée, c’est le conseil TV qui est décisionnaire et des « responsables » politiques qui ne connaissent pas les dossiers, c’est l’Europe, via Ursula Von Der Layen, qui décide de sanctions en ignorant tout de ses effets, et sans consulter personne d’autres que son propre environnement.
Les critères et procédures de prise de décision sont inadéquats et ne correspondent à aucune cohérence.3 juin 2022 à 15h34 #6303Michel Collon soulève des critiques émises à l’interne de l’Ukraine et de la Russie
Une prise de notes
– Les Ukrainiens ne peuvent rassembler autant d’hommes que son président le dit, tandis que les Russes ne peuvent les repousser aussi facilement qu’ils le souhaitaient.
Comment, alors, chacun repense ses positions ? Quels sont les enjeux pour les belligérants et pour ceux qui les soutiennent ? Allons-nous, avec leur logique, vers une 3ème guerre mondiale ?
Les analyses de Michel Collon sont toujours bien documentées, que l’on soit d’accord ou pas avec ses analyses. -
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