Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › “Le tyran s’appuie t-il sur la tristesse de ses victimes pour asseoir son pouvoir ? Gille Deleuze, sur Spinoza. Sujet ce lundi 18.12.2023.”
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15 décembre 2023 à 22h28 #7097
Rencontres philo pour le monde d’aujourd’hui, tous les lundis à 19h00
à la Taverne, place de l’Hôtel de Ville. 74100 ANNEMASSECe lundi 18/12/2023, c’est Gilles Deleuze (ou Spinoza) qui nous inspire.
Citation : « Les tristesses sont inévitables, tout comme la mort, tout comme la souffrance. Mais chaque fois que je verrai quelqu’un qui essaie de me persuader que dans la tristesse il y a quelque chose de bon, d’utile ou de fécond, je flairerai en lui un ennemi, pas seulement de moi-même, mais du genre humain. C’est-à-dire : je flairerai en lui un tyran, ou l’allié du tyran, car seul le tyran a besoin de la tristesse pour asseoir son pouvoir. »
mn 27. Gilles Deleuze – Sur Spinoza – Séance 8 – Cours du 3 février 1981. Cliquer ici.
Ps : si vous cliquez sur le lien de la video Deleuze ci-dessus, dans les commentaires sous la vidéo, d’autres citations ont été copiées.Proposition pour notre débat :
Nous partirons des questions que nous suggère la citation (comment la comprenons-nous), puis quelles questions nous suggère l’idée forte de la citation en question ?
Des liens soit avec Spinoza, soit avec Deleuze et son cours pourront être établis (cela va sans dire), notamment si on souligne les rapports que l’on fait avec ce qui se dit autour de la table. 😉 C’est une invitation, non une obligation. Comment pourrait-on ? Autrement dit, tout le monde est le bienvenu, avec ou sans préparation du sujet.———————————–
Le compte rendu du sujet de la semaine passée : De la banalité ou de la puissance de l’amour. Cliquer ici.————————————-
Règles de base du groupe
– La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
– Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
– On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
– Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
– On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
– On s’efforce de faire progresser le débat.
– Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
> Le moment de la conclusion peut donner l’occasion d’un exercice particulier :
– On peut dire ce que l’on pense des modalités du débat.
– On peut faire une petite synthèse d’un parcours de la réflexion.
– On peut dire ce qui nous a le plus interpelé, ce que l’on retient.
– On peut se référer à un auteur et penser la thématique selon ce qu’aurait été son point de vue.
—————-Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)31 décembre 2023 à 23h02 #7123Un compte rendu :
Le tyran s’appuie t-il sur la tristesse de ses victimes pour asseoir son pouvoir ?Nous étions 7 ou 8 participants, dont un nouveau. .
On peut dire que notre discussion partait un peu dans tous les sens, non en raison de l’absence de structure de la pensée des uns ou des autres des participants, car tous expriment leurs points de vue avec une argumentation plutôt solide … mais la diversité des origines des participants, m’invitait également (donc pour ma part, note 1), à explorer plusieurs « chemins ». J’en donnerai un exemple dans ce compte rendu. En attendant, il fallait comprendre la pensée de Spinoza rapportée par Deleuze. Il nous fallait également partir d’une problématique de l’intention que nous suggérait une participante. L’intention peut-elle être révélatrice de la cause de ceux qui détiennent le pouvoir 😉
Rappel de la citation : « Les tristesses sont inévitables, tout comme la mort, tout comme la souffrance. Mais chaque fois que je verrai quelqu’un qui essaie de me persuader que dans la tristesse il y a quelque chose de bon, d’utile ou de fécond, je flairerai en lui un ennemi, pas seulement de moi-même, mais du genre humain. C’est-à-dire : je flairerai en lui un tyran, ou l’allié du tyran, car seul le tyran a besoin de la tristesse pour asseoir son pouvoir. »
Le pouvoir a-t-il la volonté de rendre les gens tristes ?
A aucun moment dans l’extrait proposé, il n’est question des motivations de celui qui détient le pouvoir, mais des conséquences sur les affects de ceux qui le subissent (ils sont tristes, car « ils pâtissent), tandis que celui qui juge nécessaire de pâtir, c’est-à-dire de faire subir une situation en raison de la guerre, de la vie chère, de la nécessité du progrès, du mauvais cœur des hommes, de notre impuissance intrinsèque, etc., celui-là promeut une ontologie « vicieuse » de la vie. En effet, il justifie la violence du pouvoir en place en ce qu’elle peut tenir à la nature de l’homme, elle-même liée à un impératif religieux, économique ou politique. Mais, j’avais dans mes notes la suite de la leçon sur Spinoza, que j’ai passée à l’assemblée, de sorte qu’on puisse mieux la situer.La ligne de tristesse est diminution de la puissance d’agir.
Deleuze explique la pensée de Spinoza : J’éprouve un affect comme « diminution de la puissance d’agir » lorsque l’empreinte (la puissance, l’influence) reçue est vécue comme inconvenante à la mienne (mon corps, mes affects, ma volonté). C’est l’approche géométrique de Spinoza. Un corps qui ne convient pas avec le mien diminue ma puissance d’agir, je suis affecté de tristesse. Ce n’est pas une question de morale, de volonté ou d’intention, c’est un fait, un constat d’incompatibilité. A partir de là, on peut déduire ce qu’est la haine du point de vue de la structure des affects selon Spinoza : la haine, c’est l’effort que je fais, en vertu de ma puissance, de détruire l’objet qui m’affecte de tristesse.
De fait, celui qui est en possession d’un pouvoir d’agir cherche à détruire ce qui l’affecte. Un théorème en découle : « celui qui imagine la cause de sa tristesse détruite se réjouit ». Ainsi, se réjouir de la destruction du mal est le plaisir dont se nourrit la haine. De ce point de vue, le mal peut s’expliquer par le plaisir que prennent ceux qui s’évertuent à l’éliminer, voire à éliminer/neutraliser ceux dont ils pensent qu’ils en sont la cause. Pourtant, toutes les tristesses ne résultent pas d’une autorité ou d’un pouvoir qui cherche à exercer sa puissance sur d’autres âmes ?Il existe une tristesse en soi inévitable.
On peut être affecté de tristesse lors de la perte d’un être cher. Dans ce cas, il va de soi que l’on soit triste, c’est la tristesse des attachements qui se rompt. Mais, selon Deleuze-Spinoza, ce n’est pas de cette tristesse-là que l’humanité meurt. L’humanité meurt des tristesses qu’elle se rajoute à elle-même, Ce sont celles que l’on subit du pouvoir que d’autres ont de nous affecter, tandis que ceux qui les subissent, sont réduits à en pâtir. Il y a une industrie pour cela, un marché de la tristesse. Par exemple, en se vautrant devant la télé et en laissant cette industrie nous affecter. Or tout pouvoir qui tend à s’imposer à un public se nourrit de sa tristesse. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de pouvoir joyeux. La jouissance du pouvoir n’est pas joyeuse. Les médias servent le pouvoir et les pouvoirs s’en servent sur le dos de ceux qui en pâtissent.
Fin des extraits de texte que j’ai amenés.Ce n’est donc pas l’intention, entendue comme ressort intime ou comme justification, de celui qui a le pouvoir qui compte, car l’intention peut viser un certain bien : distraire les foules, les rassurer, les tranquilliser, promettre plus de croissance. Ce sont les effets obtenus : jouir du contrôle, exercer sa puissance, en tirer des profits tant psychologiques que matériels. La joie, chez Spinoza, est indissociable d’une éthique, d’une liberté de l’être et de la pensée. La joie augmente proportionnellement à une puissance d’agir qui s’épanouit et, selon des valeurs d’adéquation avec les autres « corps ». D’où le fait que puissance et joie ne sont pas tyraniques dans la mesure où elles sont en adéquation avec l’alentour, dont le corps, les pensées et les affects d’autrui. En revanche, nos joie se heurtera à la composition des autres corps, si elle se positionne « contre » ou si elle ne trouve pas le bon rapport d’adéquation avec eux.
Ps : les autres corps peuvent être celui des cellules de votre système immunitaire contre celle d’un virus contre lequel, votre système immunitaire n’a pas trouver la réponse adéquate, qui n’est pas nécessairement l’élimination du virus, mais un rapport de composition (système immunitaire et virus se compose l’un par l’autre).Seconde exploration dérivante : la comparaison entre les régimes autoritaires (les BRICs élargis) et les dérives autoritaires des démocraties. Y a-t-il des dictatures qui valent mieux que d’autres, notamment que nos démocraties ? On peut creuser la question, mais il ne s’agit pas de faire des pays autoritaires, un modèle. Toutefois, la conjecture du monde aujourd’hui demande qu’on s’inquiète de la perte d’influence du monde occidental sur le reste du monde. Les valeurs de l’occident ne sont plus, de la part de ceux qui nous gouvernent, la démocratie. Ils en trahissent les valeurs et les pratiques depuis trop longtemps dans notre propre pays et surtout, depuis des décennies dans les ex. pays colonisés. Ces dernièrs, aujourd’hui, se détournent de l’occident. Il s’agit de questionner les raisons de cette dérive. Pour quelle raison le projet, les promesses et le potentiel démocratique ne sont pas (plus) promus par les élites dirigeantes ? Est-ce la démocratie qui montre ses limites ou est-ce ceux en charge du pouvoir qui en trahissent l’esprit, les valeurs ? Nous ne développerons pas cette question, mais nous la traitons dans le café philo Rousseau, ici.
Par glissement, la question qui s’est posée est celle de l’autorité, entendue comme : qu’est-ce qui fait autorité aujourd’hui, soit comme valeurs de fond, soit comme principe (symbole, personnage, valeur, intérêt) ou comme horizon d’un monde souhaitable ?
Fin du compte rendu.
De la diversité des participants, note 1. Mon questionnement, en tant qu’animateur, consiste moins à orienter les échanges qu’à explorer toutes les suggestions, en particulier, si elles soulèvent des questions « dérangeantes ». Mais cela pose question par rapport à une pratique du « laisser-faire ». Elle peut laisser croire que tout m’indiffère, que la pratique du plus fort va l’emporter, que je promeux indirectement la valeur, par exemple, des régimes autoritaires, etc. Mais ce n’est pas le cas (l’historique de mes comptes rendus et de mes forums témoignent pour moi)
Toutefois, si un participant semble mettre en avant une proposition dérangeante, je trouve dommage de ne pas en explorer les raisons, surtout lorsqu’elles sont documentées.
L’autre inconvénient de cette approche tient dans le fait qu’elle facilite la dispersion du sujet. En tous les cas, tout le monde ne fait pas le lien avec ce qu’il estime être le coeur du sujet.
Il y a une limite à « l’exploration » sans orientation préalable. La mienne tient plutôt à la réaction des autres participants du groupe à un moment T : la question ne les intéresse pas, ils en ont déjà fait le tour, ils en soulignent les inconvénients, éventuellement, ils demandent que la question « dérangeante » soit traitée plus spécifiquement. Disons que, ce qui dérange ne doit pas tenir au fait d’un déni, d’une discrimination, d’un tabou révélateur d’un inconfort « bourgeois » ou d’un refus du questionnement. Il s’agit soit de prendre la question au sérieux, soit de considérer que le sujet du jour demande à être recentré sur une cause jugée prioritaire par rapport à l’ensemble du groupe, et qui en explique la raison. Ce joue là une éthique de la démocratie, du questionnement et de la philosophie, qu’il convient toujours d’éclairer.Des ressources par rapport à l’autorité :
– Les métamorphoses de l’autorité. Un cours de Pierre-Henri Tavoillot
– Hannah Arendt et l’autorité éducative, Bruno Robbes. Intervention de 17mn, ici.Les autres extraits du cours de Deleuze que j’ai utilisés (sont sous la vidéo ici), et recopiés ci-dessous:
« La ligne de tristesse, elle est fondamentalement diminution de la puissance d’agir, et vous comprenez pourquoi. C’est vraiment la méthode géométrique, chez Spinoza. En effet, j’éprouve un affect « diminution de la puissance d’agir » lorsque sur mon corps, l’empreinte reçue ne convient pas avec le mien. Un corps qui ne convient pas avec le mien diminue ma puissance d’agir, je suis affecté de tristesse. Immédiatement, on peut en conclure ce qu’est la haine. »
« La haine, c’est l’effort que je fais dès lors, en vertu de ma puissance, de détruire l’objet qui m’affecte de tristesse. Quand vous êtes affecté de tristesse, vous cherchez à détruire l’objet qui vous affecte ainsi. Vous direz que vous haïssez cet objet qui ne vous convient pas. Théorème : « celui qui imagine la cause de sa tristesse détruite se réjouit ».
« La tristesse, finalement, c’est inévitable… Mais, ce n’est pas de ça que l’humanité meurt. L’humanité meurt des tristesses inévitables qu’elle se rajoute à elle-même. C’est une espèce de fabrication de tristesse, d’usine à tristesse fantastique. Et il y a des institutions pour engendrer la tristesse : la télé, tout ça, quoi. Et c’est forcé qu’il y ait des appareils à tristesse. Il y a des appareils à tristesse parce que tout pouvoir a besoin de la tristesse. Il n’y a pas de pouvoir joyeux. »
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René Guichardan, café philo d’Annemasse.
> Lien vers les sujets du café philo d’Annemasse, ici.
– Le café philo à la Maison Rousseau Littérature à Genève, le premier vendredi du mois, c’est ici.
– Le café philo des ados de Evelaure. Annemasse.
> Lien vers le forum des problématiques de notre temps (écologie, guerre, zoonose, démographie et philosophie.
– Ici, nous postons des cours, interviews, conférences dont nous avons apprécié la consistance philosophique
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