Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Pourquoi donnons-nous ? (Marcel Mauss) Sujet proposé par Philippe le 22.12.2014 + mini restitution + carte mentale
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16 décembre 2014 à 16h02 #5155Pourquoi donnons-nous ?
Merci Philippe pour ta proposition : Dans son Essai sur le don, le sociologue français Marcel Mauss (1872-1950) analyse la logique des dons et contre-dons observés par l’anthropologue R. E. Best chez les Maori de Nouvelle Zélande. Après avoir étudié les récits rapportés par ce dernier, Mauss montre que le don n’y est pas « pur et désintéressé » et qu’il s’appuie sur trois obligations sacrées : donner,
recevoir et rendre.
À l’approche de Noël et de son avalanche de dons, cette immersion en culture maori peut donner matière à réfléchir sur ce qui nous motive, nous rebute ou nous oblige à participer à ce grand Potlatch matériel qu’est devenue la commémoration de la naissance du Christ !Texte proposé :
À propos de l’esprit des choses, Tamati Ranaipiri (informateur maori de Best) nous donne la clé du problème : « Je vais vous parler du hau… Supposez que vous possédez un article déterminé et que vous me donnez cet article ; vous me le donnez sans prix fixé. Nous ne faisons pas de marché à ce propos. Or, je donne cet article à une troisième personne qui, après qu’un certain temps s’est écoulé, décide de rendre quelque chose en paiement, il me fait présent de quelque chose. Or, cette chose qu’il me donne est l’esprit (hau) de la chose que j’ai reçue de vous et que je lui ai donnée à lui. Il faut que je vous le rende. Il ne serait pas juste de ma part de garder cette chose pour moi, qu’elle soit désirable, ou désagréable. Si je conservais cette chose pour moi, il pourrait m’en venir du mal, sérieusement, même la mort. Tel est le hau (l’esprit de la chose donnée). »
Ce qui dans le cadeau reçu, échangé, oblige, c’est que la chose reçue n’est pas inerte. Même abandonnée par le donateur, elle est encore quelque chose de lui. Par elle, il a prise sur le bénéficiaire, comme par elle, propriétaire, il a prise sur le voleur. Le hau poursuit tout détenteur. Le hau veut revenir au lieu de sa naissance, au sanctuaire de la forêt et du clan et au propriétaire.
On comprend clairement et logiquement, dans ce système d’idées, qu’il faille rendre à autrui ce qui est en réalité parcelle de sa nature et substance ; car, accepter quelque chose de quelqu’un, c’est accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son âme ; la conservation de cette chose serait dangereuse et mortelle et cela non pas simplement parce qu’elle serait illicite, mais aussi parce que cette chose qui vient de la personne, non seulement moralement, mais physiquement et spirituellement, cette essence, cette nourriture, ces biens, meubles ou immeubles, donnent prise magique et religieuse sur vous.
Marcel Mauss, Sociologie et Anthropologie, « Essai sur le don », 1950, pp.158-160Procédure proposée pour le débat (à modifier éventuellement le jour du débat, selon les propositions de Philippe):
– Comment comprenons-nous le texte proposé ?
– Quelles questions nous inspire-t-il ?
– Comment la logique de don se transpose-t-elle dans la société moderne ?
– Pourquoi donnons-nous ?
– Quels problèmes, quelles logiques « le don » soulèvent-ils aujourd’hui ?
– Récolte, organisation des questions
– DébatDes ressources :
– La Revue du Mauss : Marcel Mauss aujourd’hui
– Lecture.org : Compte-rendu de Nicolas Olivier
– Le résumé de thèse de Laeticia Pihel : Don et contre-don au sein de « France-Télecom en période de restructuration
– Wikipédia : Essai sur le don__________________________
Le café philo d’Annemasse est ici23 décembre 2014 à 14h49 #5157Un bref compte-rendu
Pourquoi donnons-nous ?Environnement du débat
– Environ une trentaine de personnes présentes.
– J’aurai dû laisser Philippe présenter son texte, mais notre coordination par email ne nous a pas laissé le temps de préciser notre dispositif.
– Une poignée de personnes nouvelles, et d’anciens amis (toujours les bienvenus :lol:, ont défendu des points du vue inhabituels, ce qui complique la recherche du fil conducteur qui se tisse au gré des interventions.Quelques questions qui ont posé problème
– Le « don » peut-il ne jamais être gratuit ?
– D’envisager la « pure » gratuité du don jusqu’à en perdre la vie (comme le cas du kamikaze, de celui qui donnerait ses deux reins….) et l’ériger comme étant « LA » référence, n’est-ce pas retirer au don son « humanité », n’est-ce pas le rendre schizophrénique ?
– Le don doit-il s’apparenter à un sacrifice ?
– Le don exerce-t-il toujours des rapports de domination et de subordination entre les « contractants » ?
– Doit-on s’acquitter du don, et n’avoir plus rien à « rendre » ?
– Si le don est pensé en terme de calcul d’intérêt n’est-il pas alors contre-productif par rapport à la « qualité de la relation » ?
– De quoi peut s’acquitter le sdf qui reçoit une pièce ?
– Pour celui qui reçoit, le remerciement suffit-il à le réhabiliter dans l’échange ?
– Existons-nous, socialement parlant, si nous n’offrons rien ? (si nous ne savons pas quoi offrir, si nous ne sommes pas en mesure d’offrir « quelque chose » ?)
– Ne rien « donner », est-ce semer du vide et de l’indifférence autour de soi ?
– Les prestations sociales peuvent-elles s’apparenter à un don ?
– L’impôt est obligatoire, en considérant que l’on « donne » par « l’impôt », est-ce une manière de se dédouaner en ne « donnant » rien et, finalement, en s’attribuant une bonne conscience ?
– Lorsqu’on prend à la nature (des arbres, de l’oxygène, notre nourriture…), que lui rend-on ? Doit-on lui rendre quelque chose ?
– Si on utilise Wikipedia, doit-on lui adresser des dons ? Si oui, savons-nous à quoi nous contribuons ? A un service reçu, à une idéologie spécifique ?
– De quelles graines j’ensemence la vie par les dons que je lui fais ?Petite mise au point
– Dans les sociétés traditionnelles, tout s’échange : nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, travail, services, offices sacerdotaux et rangs
– Les échanges sont des créations de liens riches de toute la diversité des significations que comptent les relations humaines en général : « Ce qu’ils échangent, ce n’est pas exclusivement des biens et des richesses, des choses utiles économiquement. Ce sont surtout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des danses, des fêtes, des foires». Ces faits sociaux d’échange, Mauss propose de les nommer totaux : « Tous ces phénomènes sont à la fois juridiques, économiques, religieux, et même esthétiques, morphologiques […] Ce sont des « touts », des systèmes sociaux entiers ». (Vu dans le Revue du Mauss – Jean-Paul Molinari)La notion de don doit donc être pensée comme une relation d’échange « totale », dans laquelle, la générosité, la gratuité, la joie de donner ne sont pas exempts. Le kula, le potlach n’excluent donc pas les autres formes de don.
Mini synthèse :
Les échanges ne seraient jamais « réduits » à la matérialité des objets échangés. Les objets sont habités d’une histoire (symboliquement d’un esprit), ils sont échangés (offerts, transmis…) avec une « intention ». Cette intention est génératrice, fondamentalement parlant, d’une ambiance relationnelle, d’une qualité spécifique: nos actes sont porteurs d’une idée de l’être humain. Nous transmettons, nous inter-échangeons dans nos communications, et par les objets échangés, un certain sens de notre humanité.
En ce sens, avoir en tête que des calculs d’intérêts prédéfinis, lorsqu’on échange, revient à s’assécher intérieurement, et à appauvrir la richesse émotionnelle, affective et symbolique de nos liens. « Donner » est une création de relations, et potentiellement, c’est générer une créativité au sein même de la relation.Un avis perso
Je me suis demandé si les pérégrinations, à la fois franches et hasardées de notre débat, ne témoignaient pas de la difficulté de l’homme moderne à se situer dans ses échanges ? En particulier, lorsque ceux-ci ne sont plus « marchands » (un objet contre un prix). Nos échanges nous laissent nu devant la liberté d’offrir, indécis. On peut également se surprendre en proposant une invitation à un ciné, à une promenade, un livre, une discussion, un sujet pour le café philo 😉 ?
il m’a semblé, à travers les échanges (les dons et autres propositions d’échanges ), que nous « cherchions » la relation qui s’établissait, comme si l’indépendance et l’autonomie (voire la solitude) qui sont l’expérience commune des individus des sociétés modernes, nous déshabituaient de la relation, ou nous en faisaient mesurer le risque ?
Que redoutons-nous le plus, le risque de nous engager, ou celui de nous désengager ?31 décembre 2014 à 18h14 #5161Une carte mentale « Pourquoi donnons-nous ? «Si l’image n’est pas nette, cliquer sur le lien dans « Fichier Attaché » ci-dessous. Merci de votre compréhension
CartementalePourquoidonnons-nous.pdfAutres sujets corrélés :
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