Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Sujet avec compte rendu : Dans le monde moderne, la singularité l’emporte-t-elle sur le « commun » ? Andreas Reckwitz. Lundi 13.05.2024 à 19h00. Annemasse
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11 mai 2024 à 8h29 #7376
Rencontres philo pour le monde d’aujourd’hui, tous les lundis à 19h00
NOUVEAU LIEU BRASSERIE L’ATLAS, 16, place de l’Hôtel de Ville. 74100 ANNEMASSE
juste à côté de l’ancien lieu, la TavernePour ce lundi 13 mai 2024 (animé par Nadège)
Une question est proposée : Dans le monde moderne, la singularité l’emporte-t-elle sur le « commun » ?
La question nous est suggérée par l’ouvrage du sociologue Andreas Reckwitz, La Société des singularités (voir ici), une revue presse se trouve dans Philomag ici.
Des définitions et d’autres questions qui peuvent s’inscrire dans ce débat :
Singularité : Caractère exceptionnel de ce qui se distingue (en bien ou en mal). Notions associées : étrangeté, originalité.
Singulier : ce qui est propre à quelque chose, quelqu’un, atypique.La singularité s’oppose-t-elle au commun ?
La quête du singulier en soi se fait-elle contre ce qui nous est commun ?En résumé (je reprends ci-dessous quelques extraits de Philomag) :
Les années 1970 voient revenir en force la singularité : par les mouvements de jeunesse autour de 1968, par la lutte pour la liberté sexuelle, l’émancipation des femmes, pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis. Le néolibéralisme des années 1980 y a également participé, ainsi que l’effondrement du bloc soviétique. Dans notre « modernité tardive » (autre concept de l’auteur voir ici), les mécanismes techniques généraux se mettent à fabriquer des particularités. Exemples les plus frappants : les technologies numériques, notamment le tracking des données par des algorithmes anonymes destinés à personnaliser à l’extrême l’offre de consommation, ou encore la recherche génétique, qui permet d’identifier les individus non plus en fonction de typologies mais de spécifications irréductibles.
La quête de singularité exige un modelage de soi.
Reprenant sa précédente étude sur « l’invention de la créativité » (Die Erfindung der Kreativität, 2012, non traduit), le sociologue montre que le modèle des industries innovantes « de niche » s’applique désormais à tous. Doivent désormais être créatifs le management, l’exercice du pouvoir, la cuisine, le sport, la publicité, les voyages, la sexualité, l’éducation des enfants… et bien sûr, le travail : « Le sujet travailleur de la modernité tardive doit et veut être unique – doit et veut constituer un faisceau d’aptitudes et de talents dont la performance […] doit être la plus exceptionnelle possible. » Au mythe du self-made man qui, parti de rien et en travaillant dur, franchit les échelons sociaux, succède celui de l’étoile filante.Comment le désir de singularité nous transforme en profondeur ?
Le capital culturel, notion développée par Pierre Bourdieu, devient le facteur le plus clivant, entre une nouvelle classe moyenne et supérieure, diplômée, qui a les moyens de « se réaliser » par la singularisation, et une classe de plus en plus nombreuse constituée de non-diplômés, travailleurs dans les services, souvent précaires et chômeurs, dont le travail et le style de vie sont dévalués (sans oublier les classes moyennes déclassées qui croient encore au mérite, au travail bien fait, à la norme…). Bref, une « classe de prétention » et une « classe d’expiation ».
La déception : l’objectif de l’optimisation perpétuelle de soi conduit forcément à la déception. D’où la montée des affects négatifs, comme la dépression, la honte, l’envie, le ressentiment. « Les processus de singularisation n’entraînent en aucun cas une « libération de l’individu », remarque Reckwitz.La polarisation des conflits culturels.
La singularisation ne concerne pas uniquement les individus, mais aussi les groupes, qui s’enferment dans une essence fixe. La montée des identités communautaires (fondées sur l’origine ethnique, la religion, ou la nation) ou encore celle des populismes sont aussi des manières de se singulariser. Le sociologue voit dans le terrorisme religieux ou les actes de folie meurtrière individuels des formes de célébration de l’acte singulier.Une crise du général.
Les individus rechignent de plus en plus à contribuer au bien commun. L’espace public se réduit de plus en plus à un affrontement de particularismes. Reckwitz donne quelques pistes pour tenter de reconstruire du général, du côté, notamment, de ce que nous pouvons partager en dehors du marché, donc des actions et des valeurs communes.Quelques ressources
– L’article de Philomag, ici.
– La fin des illusions. Politique, économie et culture dans la modernité tardive. Andreas Reckwitz. Article dans Open Edition.
– Voices for Democracy: Andreas Reckwitz. In English. Vidéo de 15mn de l’auteur.———————————
Compte rendu écrit de notre dernier sujet : Pourquoi faisons-nous un si mauvais usage de la liberté ? Cliquer ici.
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Nous inaugurons un premier café philo ce lundi 20 mai 2024 (Pentecôte) à 15h00 à l’Ehpad de Vétraz-Menthoux. Tout le monde est le bienvenu (amis des résidents, passant, curieux et tous ceux qui aiment réfléchir en commun.)
Le thème est à définir, mais nous partirons probablement d’une citation :
« Nul n’est méchant volontairement » Socrate. Gorgias 499e.————————————-
Règles de base du groupe
– La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
– Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
– On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
– Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
– On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
– On s’efforce de faire progresser le débat.
– Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.
> Le moment de la conclusion peut donner l’occasion d’un exercice particulier :
– On peut dire ce que l’on pense des modalités du débat.
– On peut faire une petite synthèse d’un parcours de la réflexion.
– On peut dire ce qui nous a le plus interpelé, ce que l’on retient.
– On peut se référer à un auteur et penser la thématique selon ce qu’aurait été son point de vue.
—————-Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.————————-
René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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> Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)17 mai 2024 à 15h21 #7389Compte rendu :
Dans le monde moderne, la singularité l’emporte-t-elle sur le “commun” ?
Nous étions une dizaine de personnes.
Un aspect de la pensée d’Andreas Reckwitz
Le singulier, du point de vue du sociologue Andreas Reckwitz, peut s’entendre comme un fait social qui touche toute la société au niveau politique, administratif, social, économique et financier, éducatif, etc. L’ensemble des institutions et la majeure partie des individus se trouvent essentiellement préoccupés par leurs intérêts particuliers, mais, et plus loin que cela, chacun cherche à s’investir et à se démarquer dans cette quête jusqu’à atteindre une acmé, si ce n’est un point d’extravagance, et devenir ainsi la nouvelle norme à dépasser. C’est une course, et le mode « compétitif » des règles d’un marché tiré par une économie d’actionnaires en attise le feu. Une grande majorité des personnes se distingue et se surinvestit en puisant toujours plus loin en elle et en originalité, ce qui la différencie des autres. L’énergie et notre attention sont ainsi rivées sur le déploiement de sa performance, mais en vue de quoi (cause, manière, conséquence et but) ? Dans un premier temps, et selon l’auteur, dans le seul souci, pour ne pas dire, l’inquiétude existentielle d’exister dans le regard de l’autre.Lors de notre débat, nous avons distingué le singulier de l’égoïsme ou encore, l’individuation de l’individualisme.
Le singulier se réfère à ce qui est unique et à un moment T, l’égoïsme, lui, oriente vers un « soi » éprouvé et ressenti comme centre du monde (note 1). Or, le singulier peut être tourné vers autrui et ne s’oppose donc pas nécessairement à l’égoïsme. L’individuation, de son côté, se réfère au processus de construction de son individualité, l’individualisme, lui, n’oriente son activité que vers lui-même et pour lui-même. Pourtant, notre individuation se construit nécessairement dans une situation relationnelle, et donc selon un rapport à autrui. Ainsi, normalement et idéalement, on se construit soi pour se détacher de l’inquiétude d’exister et pour apporter, la maturité venant, notre part à la société, à l’humanité. Mais trois grandes questions ont structuré notre débat :L’égoïsme invétéré de l’être humain : un fait, une essence ou une construction sociale ?
1° le fait que nous soyons des êtres de relation, mais dont le regard est essentiellement tourné vers soi génère de fait un « monde d’égocentriques ».
2° En conséquence, égoïsme et singularité se mêlent et se renforcent l’un et l’autre, de même que, processus d’individuation et hyper-individualisme.
> Dans ces conditions, l’essence de l’être humain peut sembler n’être qu’égoïsme et, par conséquent, l’indifférence si ce n’est méfiance à l’égard d’autrui l’emporte sur notre ouverture à l’autre. Dès lors, Rien n’a plus d’importance que l’on s’en sorte soi-même prioritairement, puis secondairement, soi et son groupe d’appartenance. Le reste, tout ce qui n’est pas connecté à soi, est repoussé aux frontières de notre conscience. L’autre, le prochain, le lointain, voire le proche, peuvent presque être considérés comme déjà « étranger » (syndrome où l’intimité perd son sens, devient suspect, dangereuse et est évitée). J’exagère le trait mais, à l’extrême, chacun se gère, c’est chacun pour sa peau. L’individualisme (le principe) et l’individualiste (la pratique) sont faits roi et valeur suprême.Égoïste par nature ou par culture ?
De fait, nous créons un monde exagérément et artificiellement axé sur un « soi » hyper individualiste, alors que toutes les sciences du vivant considèrent que nous sommes avant tout des êtres de relation et de fait, sur le plan humain et anthropologique, nous sommes des sujets en co-construction de nous-mêmes et de nos manières de nous gouverner (de faire société, de se doter de lois, de rites, récits, etc.).
Par « nature », nous sommes soucieux d’un rapport « d’adaptation / correspondance » à autrui, à la société, à notre environnement social. En effet, sur le plan darwinien, et c’est ainsi que J. Dewey le conçoit aussi, nous existons comme des êtres en interaction de telle sorte que l’échange est une transaction qui transforme et l’un et l’autre dans l’échange, d’où le terme de « transaction » (paquets d’énergie, d’affects, d’ADN, d’idées…) qui sont échangés/transférés d’un organisme à l’autre. Certes, les échelles de temps et de transformation varient selon ce qui est échangé (des idées, des affects, des modes de gouvernance ou des gènes).
Mais la culture, qui est notre environnement humain comprenant les médias, le mode économique, notre éducation, nos institutions, etc. est telle, que le monde se présente à nous comme un ensemble de faits qui donnent l’illusion de faire vérité par eux-mêmes. Ainsi, ce qui fait culture ne se présente pas à nous comme résultant d’une construction sociale, comme résultant d’échanges préalables, d’une histoire, d’un temps qui a permis que s’établissent des conventions (un contrat social). Or, il nous faudrait, de temps à autre, questionner les causes, le sens, les buts, les manières de faire, les conséquences de notre « entente », de notre contrat social. Il le faudrait, car c’est ce qui définit notre singularité en tant qu’être humain parmi l’ensemble du vivant, c’est que nous sommes doués de réflexivité. Nous disposons ainsi d’une liberté de décider de notre vie, du sens que nous lui donnons. Cette réflexivité nous rend aptes à rendre compte de nos raisons de penser, des conséquences que notre mode de vie entraine sur soi comme sur autrui, et nous pouvons nous doter des institutions nécessaires pour nous gouverner. Il y a donc ce retour sur soi qui existe comme une potentialité effective que nous mobilisons avec plus ou moins de pertinence, en fonction notamment de notre éducation et de notre environnement culturel. Mais pourquoi ne le faisons-nous pas assez ou pas suffisamment pour, par exemple, poser les bases d’une médiation ou pour nous entendre sur une compréhension des besoins de liberté et d’autonomie que nous partageons tous en commun (besoin d’appartenance, de sécurité, de respect, de liberté, d’émancipation, etc.)Où est la volonté des égos : en chacun de nous ou dans le système qui nous gouverne ?
C’est la seconde question qui a retenu notre attention, notamment parce qu’elle ne se laisse pas analyser facilement. Nous entendons parfois que nous avons les démocraties que nous méritons. Mais cette déclaration est trompeuse pour deux grandes raisons. Elle ne distingue pas les rapports de responsabilité politique, administratif, économique, citoyens, autrement dit, chacun est mis sur le même pied d’égalité en termes de pouvoir d’action et de leur conséquence. Ce qui n’est absolument pas le cas, si j’agis comme Président, député, chef de parti, trésorier d’une association, fonctionnaire ou comme citoyen lambda, la portée de mes actes n’est pas absolument pas la même. Le singulier ou l’extravagance qui agit à ce niveau-là est délétère et (normalement, punis par la loi) s’il n’est tourné que vers son intérêt et celui de ses groupes d’appartenance. La seconde chose négligée se rapporte à ce qui est de l’ordre du privé et du public. Là encore, en tant que citoyen lambda ou responsable d’un collectif, nous devons décider des choix qui n’affectent que soi de ceux qui affectent également la relation à autrui et aux communs (l’ambiance, le cadre général mais aussi, la qualité effective de l’environnement, la biodiversité, etc).Enfin, et pour conclure, Rémy a souligné la valeur et la balance des échanges, le don et le contre don. En bref, la valeur de soi et de l’autre se jouent dans l’attention donnée à l’autre, à la qualité des échanges et à ce qui est échangé. C’est cela qui construit des valeurs d’attachement à l’autre et à soi, et qui peut donner à la vie l’impulsion qui nous conduit à dépasser nos déterminismes et nos égoïsmes. Nous « valons » par ce que nous transmettons et, si le singulier peut nous y aider en puisant plus loin dans ce que nous est propre, en cherchant l’inédit et dans la créativité alors, pourquoi pas ?
Toutefois, les ruptures de sens, de rythme, de convention et les frontières du normal et du singulier ne doivent probablement pas être transgressés sans considération des effets que cela aura sur l’autre, car cela nous affectera soi en retour.Note 1. Le « soi » éprouvé/ressenti comme centre du monde. On conçoit pour l’enfant qu’il n’ait pas encore vraiment acquis de différenciation d’avec lui-même. Il se vit et s’éprouve comme indifférencié du monde qui l’entoure. La question se pose des conditions d’accès à soi en tant qu’aptitude à se réfléchir soi-même, c’est-à-dire, à se remettre en question au fur et à mesure que l’on grandit. Plus loin, cela pose la question des références (arrière-plan, auteurs, science, philosophie, éthique…) avec lesquelles nous nous questionnons, avec lesquelles nous « projetons » ce que nous pouvons être.
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René Guichardan, café philo d’Annemasse.
> Lien vers les sujets du café philo d’Annemasse, ici.
– Le café philo à la Maison Rousseau Littérature à Genève, le premier vendredi du mois, c’est ici.
– Le café philo de l’Ehpad, les Gentianes, Vétraz-Menthoux. Annemasse”
– > Lien vers le forum des problématiques de notre temps (écologie, guerre, zoonose, démographie et philosophie.
– Ici, nous postons des cours, interviews, conférences dont nous avons apprécié la consistance philosophique
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