Cafephilos Forums Les cafés philo Les sujets du café philo d’Annemasse Sujet : Le désir de savoir inhibe le désir d’apprendre”. Philippe Meirieu + compte rendu. Lundi 22 avril 2024 à 19h00, Annemasse.

  • Ce sujet contient 2 réponses, 1 participant et a été mis à jour pour la dernière fois par René, le il y a 3 mois.
3 sujets de 1 à 3 (sur un total de 3)
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    Messages
  • #7311
    René
    Maître des clés

      Rencontres philo pour le monde d’aujourd’hui, tous les lundis à 19h00
      NOUVEAU LIEU BRASSERIE L’ATLAS, 16, place de l’Hôtel de Ville. 74100 ANNEMASSE
      juste à côté de l’ancien lieu, la Taverne

      Pour ce lundi 22 avril 2024

      Nous remarquons depuis quelques séances que nous venons avec des propositions assez solides et plus ou moins préparées. Nous n’avons juste pas eu le temps de l’annoncer. Ainsi, peut-être que nous retiendrons pour cette séance : Peut-on penser contre soi-même ?
      Il a été suggéré la dernière fois par Benoit.

      Néanmoins, d’autres propositions peuvent être faites. Elles seront soumises au vote ou retenues pour une prochaine fois.

      Ainsi, si vous pensez à des questions, des citations, prenez-les avec vous et, éventuellement, présentez-les une prochaine fois ou fixons une date dans notre agenda où vous pourrez mieux l’introduire.

      Pensez à des sujets qui vous importent. Nous défendons l’idée que l’on philosophe mieux à partir des thèmes qui comptent pour soi, qui nous impliquent ou des questions qui nous motivent en raison de ce qui est dit, ici, lors de nos rencontres ou dans la société et les médias.

      Vous pouvez également amener une citation, indépendamment de la connaissance ou pas que vous ayez de son auteur et de son contexte. L’important étant qu’elle vous interpelle.

      Une référence :
      Nathan Devers (philosophe), auteur de Penser contre soi-même. Brut philo. Durée : 7.25

      ———————————

      Une réflexion sur le dernier sujet : Comment distinguer la responsabilité collective de la culpabilité personnelle ? Cliquer ici. 

      Compte-rendu audio-vidéo du dernier sujet (cliquer ici): De l’évidence à la preuve, question de vérité ou de perception ? Proposé par Benoît.

      Dernier compte rendu du café philo de la Maison Rousseau Littérature. La violence de la femme est-elle dans ses charmes ? Cliquer ici.

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      Règles de base du groupe
      – La parole est donnée dans l’ordre des demandes, avec une priorité à ceux qui s’expriment le moins.
      – Chacun peut prendre la parole, nul n’y est tenu.

      Pour limiter les effets de dispersion dans le débat
      – On s’efforce de relier son intervention à la question de départ, de mettre en lien ce que l’on dit avec ce qui a été dit.
      – Pour favoriser une circulation de la parole, de sorte à co-construire le débat avec les autres participants, on reste concis.
      – On s’attache davantage à expliquer la raison de sa pensée, plutôt qu’à défendre une opinion.
      – On s’efforce de faire progresser le débat.
      – Concrètement, on évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, de se lancer dans de longues explications, mais on va au fait de son argumentation.

      > Le moment de la conclusion peut donner l’occasion d’un exercice particulier :
      – On peut dire ce que l’on pense des modalités du débat.
      – On peut faire une petite synthèse d’un parcours de la réflexion.
      – On peut dire ce qui nous a le plus interpelé, ce que l’on retient.
      – On peut se référer à un auteur et penser la thématique selon ce qu’aurait été son point de vue.
      —————-

      Avec ou sans préparation, chacun est le bienvenu, les cafés philo sont par définition, contre toute forme de discrimination et de sélection par la classe sociale, le niveau scolaire, etc.

      ————————-
      René Guichardan, café philo d’Annemasse.
      > Lien vers les sujets du café philo d’Annemasse, ici.
      – Le café philo à la Maison Rousseau Littérature à Genève, le premier vendredi du mois, c’est ici.
      Le café philo des ados de Evelaure. Annemasse.
      > Lien vers le forum des problématiques de notre temps (écologie, guerre, zoonose, démographie et philosophie.
      Ici, nous postons des cours, interviews, conférences dont nous avons apprécié la consistance philosophique
      – Lien pour recevoir notre newsletter Cliquer ici, puis sur Rejoindre le groupe.
      > Vous pouvez nous rejoindre sur notre groupe Signal (cliquer ici)

      #7325
      René
      Maître des clés

        Nous étions neuf personnes à ce café philo. le sujet a été choisi au vote. Voici celui qui a été retenu :

        “Le désir de savoir inhibe le désir d’apprendre”

        La phrase est prononcée par Philippe Meirieux lors d’un séminaire en 2021 sur les pratiques philosophiques, à l’université de Grenoble (phileduc). On peut retrouver son intervention ici. Duré : 1h00.
        Nous nous l’approprions pour la questionner : le désir de savoir inhibe-t-il celui d’apprendre ?

        Ci-dessous, ma prise de notes + des schémas de ma propre initiative du séminaire de Philippe Meirieux. Le compte rendu de notre débat, lui, est posté plus bas, à la suite de ma prise de notes.

        Six citations ont rythmé l’intervention de Philippe Meirieux, je les résume ci-dessous

        Citation 1.  « Nous périrons dans les eaux glacées du calcul »
        Karl Marx et Engels (Manifeste communiste)

        Il s’agit d’une critique des machines-outils qui forcent l’homme à s’adapter au rythme de la machine
        (3 x 8) et non à mettre la machine au service de l’homme. Le système asservit l’être humain.
        Ce qui revient à congédier la pensée par le calcul.

        Ce qui conduit à cette réduction (généralisation) : tout ce qui n’est pas mesurable ne sera plus enseigné. (Enquête Pisa = les bonnes écoles sont celles qui produisent des élèves avec de bons niveaux – c’est le règne de l’évaluation mesurable)
        > Ps : la façon de mesurer déforme la réalité (un devoir, une école, un élève, un adulte) en fait une abstraction. C’est moi qui rajoute (la chose ou l’être ne sont pas regardés pour eux-mêmes).

        Ce qui conduit (réduction-généralisation) à l’école efficace avec des techniques d’enseignement standardisé.

        Ce qui revient à réduire le sujet à ses mécanismes cérébraux, à des mécanismes mentaux stéréotypés.

        Impasses/pièges ou problèmes :

        > sur l’intentionnalité du sujet (de l’apprenant) = oubli qu’il est un sujet se posant des questions.
        > impasse sur la transaction « humaine » : ce qui se joue dans toute relation pédagogique et suscite le désir d’apprendre.
        >> accent porté systématiquement (voire uniquement) sur des buts efficaces (intéressés, avec profit)
        >>  ce qui conduit à écarter l’attention, l’empathie, le temps passé avec l’élève, ce ne sont pas des « valeurs » à prendre en compte. (C’est moi qui rajoute)
        >> et l’apprentissage du dialogue philosophique n’entre pas dans des critères d’efficacité.

        Le mesurable est un mode de penser aujourd’hui du gouvernement. L’école et les apprentissages se réduisent à des « procédures ».

        Déviance :
        Cela conduit à une culture du développement personnel, à une intelligence spontanée qui s’épanouirait naturellement (école libre).

        Citation 2 : La spontanéité n’est pas la liberté (Alain)
        – La pensée (réfléchie) ne se développe pas « spontanément » (naturalisme pédagogique), courants alternatifs qui estiment que tout vient de l’enfant à qui sait l’écouter.

        > Or, celui qui prétend abandonner le pouvoir l’exerce par la séduction.
        > le sujet (l’animateur et l’élève) se condamne à l’expression libre, immédiate, à ses pulsions, à des reproductions stéréotypées.
        > La pratique du débat n’est pas une pensée libre, mais contrainte.
        > Dans les faits, la pensée se « contraint » par des règles, des rapports au réel, à des savoirs, au sensible, par du réflexif, par l’apprentissage à la problématisation. (La pensée se réfère toujours à quelque chose).

        > La ligne de passage pour les animateurs de débat est étroite entre la pensée libre et la pensée « contrainte » par des règles. (Début d’une problématisation : identification d’avis différents sur une même chose).

        Citation 3. Tu peux contraindre pour être tranquille. Tu peux aussi fixer une règle pour lui permettre de se dépasser.   (Janusz Korszak)
        > La pensée autorisée (entre la pensée spontanée et la pensée procédurale)

        > ni oui, ni non (non pas tout de suite, oui, mais peut-être, prenons le temps d’y réfléchir)

        > En attendant, nourrissons-nous de nos échanges et d’objets culturels dont nous pouvons parler. Mise en place d’objet de transition pour dialoguer

        > Expérience de « Piaget / Houdé» sur l’inhibition de la pensée immédiate pour passer du réflexe à la réflexion. (deux séries de dix jetons, l’une très serrée, l’autre très espacée. Où y en a-t-il le plus ? 9 enfants sur 10 répondent : la série qui est la plus longue.)
        Olivier Houdé (psychologue) montre que l’enfant a appris à l’école à associer le chiffre à la longueur de la ligne
        > en somme, il a appris à faire une association qui, lorsqu’elle est généralisée, est une erreur.
        > Un enfant sur dix va répondre : je ne sais pas.
        A qui l’on demande : que faudrait-il pour savoir ?
        Il répond : changer les jetons de place (autrement dit : expérimenter pour vérifier ma réponse).
        Cet enfant inhibe sa réaction immédiate = il met en œuvre une réflexivité (sursis à l’immédiateté).

        Il s’agit de créer un environnement contraignant (cadrant-encadrant) mais fécond, c’est-à-dire qui permette à l’enfant d’accéder à la liberté de penser.

        > La spontanéité de la pensée, c’est la réponse « primaire » (Jacques Lévine)

        La pensée « autorisée » serait la voie entre l’apprentissage des « procédures » (des recettes) et la pensée spontanée (magique ou tombée du ciel)

        L’espace-temps « pédagogique » doit être « hors menace » : interdit de la violence, de la moquerie.
        Pas de psychologisation (tu dis cela parce que tu es timide ou parce que tu n’oses pas dire ce que tu penses, etc.) : on ne peut prétendre détenir la vérité de l’autre à sa place.

        Émile (Rousseau) : tout faire en ne faisant rien (mettre des cadres qui permettent de penser).

        Citation 4 : « Ce qui se transmet, ce n’est jamais seulement du savoir, mais c’est aussi un rapport au savoir. » Jean-Luc Nancy.
        La pensée est habitée par l’exigence.
        – Le « maître » est une figure tutélaire qui assure que chacun apprend à oser penser par soi-même ». C’est autant une manière de faire qu’une manière d’être (comportement non verbal)
        > On peut disqualifier l’autre par nos comportements, tout en lui disant qu’il est libre. (injonction paradoxale)
        – Probité linguistique : l’exigence se transmet par la rigueur du langage, la rigueur linguistique de l’animateur. Amener le participant à être toujours plus précis.
        – Reformulation par l’élève, par les pairs, par le maître (l’animateur)
        — Exemplification par l’’élève, par les pairs, par le maître.
        — Mise en perspective par l’élève, par les pairs, par le maître.

        Mathieu Crawford : le travail manuel permet de reconstruire du dispositif attentionnel, lequel permet le fonctionnement mental optimal (se concentrer, expérimenter, prendre en compte la résistance, etc.)

        > le joystick donne le sentiment de sa toute-puissance, il permet d’agir sur le monde à partir de ses impulsions.

        Ne pas se satisfaire d’approximation dans l’usage de ses mots. En chercher toujours le plus précis, le plus juste dans ce qu’il désigne.

        Citation 5 : « Offrir des mots, des textes, des récits pour rendre possible l’accès à la pensée. » Jérôme Bruner
        > Pas de pensée sans mot, « les mots ne tombent pas du ciel ». Célestin Freinet.

        > pas de pensée sans récit : le récit fait sens, il agit selon des raisons, ce qui en autorise le questionnement.

        > pas de pensée sans modèle : « Un modèle offre, à un moment donné, une possibilité de relier un ensemble de données entre elles et permet d’accéder à l’intelligibilité du monde ». Judith Schlanger.

        Il n’y a pas de génération spontanée du « sens », il faut aider à sortir de ses « certitudes ».

        Citation 6 : Celui qui dit posséder la vérité est prêt à détruire le monde à coups de certitudes.  (Delphine Horvilleur).

        > Penser contre la certitude.
        >> Distinguer le désir de savoir et le désir d’apprendre.
        Le désir de savoir renvoie à l’immédiateté (au slogan, à ce qui comble, à la réponse facile, fixée par avance). Le désir de savoir « éteint » le désir d’apprendre (de comprendre), de saisir la façon dont les choses adviennent, il éteint le sens, l’histoire, le mouvement, la progression.

        > Passer de l’assurance du savoir à l’inquiétude de ce que l’on cherche.
        > Le plaisir de chercher l’emporte sur celui de « posséder » (contrôler)

        > les progrès technologiques nous exonèrent de l’apprentissage pour livrer des boitiers, des applications, des réponses toutes faites (le monde est magique, il y a une réponse immédiate à tout).

        > Henri Vallon (psychologue) : la fragilisation psychologique rend difficile la déstabilisation cognitive.

        L’adolescent peut être en période de vulnérabilité et avoir besoin de certitudes. Apprendre, c’est ajouter de la déstabilisation cognitive. Or, on a besoin d’un élément de stabilité pour supporter un élément d’instabilité.

        Expérience sur la « radicalisation » à destination d’élèves de collège.

        Nous avons tous des convictions non étayées sur des connaissances solides. Et il y a toujours des connaissances qui peuvent contredire nos convictions. Dialectique entre conviction et connaissance (comme passe-t-on de l’un à l’autre) ? Comment amener de l’insécurité cognitive (par les apprentissages) à des personnes que les convictions (les savoirs du moment) rassurent ?
        Avec des jeunes radicalisés en prison, un atelier philo est proposé durant cinq jours d’affilés et ayant pour thème : des textes de Galilée, alors qu’il était en prison pour ses idées.
        Galilée est alors tiraillé entre ses convictions et ses connaissances.

        > Ce qui a fait écho avec les jeunes qui vivaient la même chose, et qui ont pu se réapproprier (en partie) une manière d’interroger le lien (de mettre en mouvement la dialectique) entre conviction et connaissance.

        Cela revient à penser contre soi-même.

        « Il s’agit de tenir sous contrôle son plein de pulsions et d’intérêts, et suffisamment pour que l’autre ne devienne pas invisible ou ne demeure pas invisible. Qu’on puisse donner raison à l’autre et qu’on doive avoir tort contre soi-même et contre ses intérêts, voilà qui n’est pas facile à comprendre, et qui est pourtant la tâche première de l’éducation. »  Hans-Georg Gadamer.

        #7335
        René
        Maître des clés

          Compte rendu : Le désir de savoir inhibe-t-il le désir d’apprendre ?
          (à partir d’une citation de Philippe Meirieu)

          Nous étions neuf personnes à ce café philo.

          La distinction entre savoir et apprendre (Philippe Meirieu, message précédent) semble être reconnue dans un premier temps, et l’on en remarque clairement le mouvement :
          > Pour le savoir, il s’agit de combler des manques, de satisfaire une inquiétude ou encore de nourrir un plaisir. Tandis qu’apprendre relève d’une autre démarche. Il s’agit de comprendre des raisons, d’établir des liens, de découvrir un « comment ». C’est un temps que l’on investit, une histoire que l’on construit, voire un récit, lequel se situe dans un paradigme de penser, une méthode, une discipline. Plus loin encore, on peut s’inscrire dans une démarche épistémologique de la chose étudiée. Il s’agit alors de comprendre comment le savoir se constitue, à partir de quoi, puis de mesurer la pertinence entre la chose elle-même et l’énoncé que l’on en produit.

          De l’inquiétude qui motive le besoin de savoir au plaisir d’apprendre.
          Nous ne passons pas du besoin de savoir à celui du plaisir d’apprendre comme s’il s’agissait d’un simple changement. Apprendre vaut pour la démarche même d’apprendre, tandis que savoir vaut pour l’intérêt (le plaisir, l’assurance) que procure la chose sue. Ainsi, il peut y avoir des choses que l’on veut savoir, d’autres que l’on préfère ne pas savoir, voire que l’on redoute de savoir.

          Si le besoin de savoir est motivé par une inquiétude, elle oriente alors vers un type de savoir et conditionne une manière de savoir. C’est la tranquillité qui est visée, l’apaisement, une sécurité. Les réponses rapides seront privilégiées. Tandis que le plaisir d’apprendre suppose plus de maturité, plus de recul, plus de distance par rapport à l’objet étudié : qu’importe ce que je finis par savoir, pourvu que je comprenne. On souhaite ne pas se leurrer soi-même.

          Mais sommes-nous prêts à tout « savoir » sur les choses : les raisons de la guerre, de l’industrie du médicament, de l’alimentation, de l’énergie, de la considération des gouvernements pour les populations, de la naissance des Dieux et des religions, etc. ?
          Sommes-nous prêts à tout savoir sur nos sentiments, la condition humaine, nos contradictions, les conditions de notre naissance, notre état de santé ? Peut-être pas au regard de ce que nous venons d’établir.

          Apprendre ouvre l’esprit, le forme à une certaine rigueur, à une exigence, le savoir ferme sur des réponses, dont on peut, on veut ou on souhaite estimer qu’elles nous conviennent. On observe ainsi, d’une part, une tension entre des peurs/des mobiles/une intranquillité et le besoin de réponse et, d’autre part, la volonté d’apprendre, de comprendre et de découvrir des choses qui peuvent aller contre notre intérêt, contre notre « tranquillité » ou le confort de notre pensée.

          D’autres complications se font jour.
          Outre le fait que nous ne pouvons pas tout savoir en raison du temps qui est compté et des limites de nos capacités cognitives, deux écueils en résultent plus ou moins directement : nous devons faire confiance à certains savoirs, sinon à la plupart d’entre eux, car nous ne pouvons pas tous les vérifier. A cet écueil, un autre s’ajoute aujourd’hui, celui lié à la quantité de savoirs disponibles, mais et surtout, à leur qualité, leur pertinence étant de moins en moins assurée. Des revues scientifiques de renommée mondiale ont publié des faux, Wikipédia n’est plus fiable comme il a pu l’être (voir ici, son co-fondateur qui en dénonce les supercheries), et cela tient directement à la manière dont des savoirs sont diffusés, produits et financés (en gros par les GAFAM qui en dessinent les algorithmes). Les universités et les systèmes éducatifs de leur côté sont aussi concernés. Ils dépendent de plus en plus de financements privés, les industries envoient directement leurs ingénieurs former les étudiants. Albert Jacquard, Bernard Stiegler et Michel Serre dénonçaient déjà ce problème (voir ici), tandis que les chercheurs ne travaillent bientôt plus que pour des multinationales.

          Il ressort que la volonté d’apprendre et le besoin de savoir s’articulent autour d’un enjeu existentiel (l’intranquillité et le sentiment de soi), enjeu qui est aussi politique, parce qu’économique. On se demande ainsi quel degré d’incertitude on peut supporter avant de céder avant de se satisfaire d’une réponse facile et dont on peut s’accommoder. D’un autre côté, devant quelle difficulté émotionnelle ou de moyen, ou peut-être encore d’incompétence commence-t-on à renoncer à apprendre, à se disqualifier pour poursuivre son enquête ? On peut le formuler autrement : jusqu’où peut-on soutenir la volonté d’apprendre, quoiqu’il en coûte à ce que nous risquons de découvrir, à notre confort de pensée ?

          Faut-il parier sur le savoir ?
          Une question se pose : si les modes d’apprentissage n’ont pas été mis à l’épreuve et solidement examinés, éprouvés, peut-on parier sur le savoir comme Pascal pariait sur l’existence de Dieu ? En effet, ce que l’on sait se distingue de moins en moins de la croyance.  Notre savoir, et cela semble d’autant plus vrai que notre « monde » se complexifie, qu’il se transmet via des quiz, des QCM, du prêt-à-penser, notre savoir, disais-je, s’établit de plus en plus sur des croyances et donc sur des paris. On croit savoir, tout en ignorant la ou les parties qui reposent sur des croyances, précisément pour continuer à croire, et ne pas trop bouleverser son mode de vie. Or, par définition et par méthode, tout savoir est nécessairement prédéfini dans un contexte. L’honnête homme sait d’où vient son savoir, comment il s’est constitué et quelles sont ses limites. Il n’y a pas de savoir absolu, total, universel, sauf en religion. Prenons donc des exemples auxquels on se trouve exposés dans la vie d’aujourd’hui : peut-être que je crois que Poutine veut vraiment envahir l’Europe, que le vaccin ARN fonctionne très bien, que les chômeurs sont des fainéants, que la technologie peut résoudre la question climatique, que l’Occident est démocratique et libre, tandis que le reste du monde lui veut du mal ?

          Est-ce du savoir ou de l’information ?
          On observe dans ce méli-mélo de savoir-informationnel un glissement vers les sentiments, vers du politique, de l’industrie et de l’économique. Le halo qui entoure le mot « savoir » le rattache à des savoirs que l’on tient généralement pour certains, savants, scientifiques et techniques. La physique et la physique quantique entrent typiquement dans ce cas d’exemple. C’est en soi un comble, puisque la physique quantique s’établit sur des probabilités, et non sur des certitudes. De plus, le lien entre la physique (la matière et le vivant) et la physique quantique n’est pas établi, or les vulgarisateurs franchissent sans trembler ce pas vers une généralisation englobant la physique et la physique quantique (Aurélien Barrau, pour ne pas le nommer). Mais la médecine, l’industrie, la géopolitique, l’économie s’élaborent avec des sciences et des techniques, lesquelles dépendent structurellement du politique, de l’éducation, des médias, de l’économie, et l’ensemble mêle tant de disciplines que, la simplification et le confort appellent vite au dogmatisme et à la politique qui s’évertue à trancher sans nuances. Dans ce halo, nos savoirs conditionnent nos sentiments, ils contribuent à la formation de nos convictions, qu’elles soient souterraines et plus ou moins définies ou affirmées. On se fait son idée du monde et nos choix s’orientent en raison des idées que nous nous faisons. Si l’on n’y prend pas garde, nos savoirs se confondent avec notre manière d’apprendre, et finissent par construire une éthique et par faire une politique. Ce sont toutes ces articulations qu’il nous faut démonter si l’on veut revendiquer une liberté de penser et une éthique de la pensée.

          Une autre question que nous nous sommes posée :

          – Ce que nous ignorons peut-il nous interpeller ? Pour faire référence à Kant, posons la question autrement : le philosophe aurait-il pu sortir de son sommeil dogmatique s’il n’avait pas lu Hume, l’empiriste ? Autrement dit, la raison que l’on détache du rapport à l’autre, du sensible (de l’éthique) peut-elle ne pas se perdre dans le froid calcul de la rationalité ou celui de son ego (de ses peurs, de l’en-soi) ?
          On sait l’impossibilité de trouver des maximes universalistes vraies, pratiques et effectives. Elles ne sont que des régulateurs de notre morale, d’un idéal. Elles sont nécessaires à ce titre.

           

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          René Guichardan, café philo d’Annemasse.
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