Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › Que dit la sexualité de l’être humain ? Sujet du lundi 17.10.2016 + compte-rendu
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12 octobre 2016 à 19h59 #5384Que dit la sexualité de l’être humain ?
Lorsqu’on parle de sexualité, il est classique de distinguer l’acte sexuel d’une part, et l’intimité d’autre part, c’est-à-dire, ce que l’on ressent dans le secret de soi, dans la proximité de la relation à l’autre, et ce que le corps. par ailleurs, permet ou ne permet pas de ressentir.
On sépare ainsi ce qui est de l’ordre du physique de ce qui est de l’ordre de la psyché. Entre les deux règne la «libido »(du latin inis, désir = l’imaginaire du désir) qui comprend autant les structurent profondes de nos émotions (largement inconscientes), que la conscience de nos désirs à l’état présent, auxquels s’ajoutent nos fantasmes avoués/inavoués, nos complexes, nos représentations sociales (les messages véhiculés par l’environnement social, les réseaux sociaux, les médias, …). Mais la sexualité en tant que telle peut-elle mieux nous révéler à nous-mêmes, peut-elle nous en dire davantage sur soi et notre partenaire ? La séparation entre physique et psychique est-elle si radicale ? Autrement dit, pour aller au cœur (corps) de son intimité psychique, faut-il également aller loin dans notre rapport à l’autre, dans le rapport à nos corps ?
La sexualité est-elle un objet philosophique, un moyen de se connaître soi-même ?Ressources
– Le kama sutra, une traduction de Frédéric Boyer, invité sur France Culture.
– Les jeunes et la sexualité (2015), le Bel âge sur France Culture.
– Energie sexuelle, un manifeste littéraire. Les Nouvelles vagues sur France Culture.
– De quoi parle la sexologie ? Le labo des savoirs, université de Nantes.
– La sexualité et son histoire (aimer à Sumer et à Babylone). France Culture.
– La sexualité et son histoire (Liberté, égalité, sexualité, les années 70) France Culture.
– La vie sexuelle des Françaises. Les pieds sur terre. France Culture.
– De la sexualité féminine. Philippe Brenot, psychiatre, invité des matins de France Culture (2012).
– Témoignages féminin de sexes. France Culture.
– Sous la couette des Romands. Enquête sur la sexualité des Romans, un documentaire de la TSR.
– Peut-on philosopher sur le désir sexuel ? Sylvain Bosselet, agrégé de philosophie et psychologue.
– L’orgasme, un mystère de l’évolution enfin résolu. Un article de BMFTV.Les philosophes et la sexualité, d’après André Comte-Sponville, extraits de Le sexe, ni la mort. Trois essais sur l’amour et la sexualité
Platon, le prude
Même Platon, d’abord si indulgent avec Eros, si complaisant avec la pédérastie, tant qu’elle reste […] spirituelle, se veut sévère avec “l’Aphrodite vulgaire”, celle qui ne tend qu’aux plaisirs charnels. Cela revient à condamner la sexualité en tant que telle, dès lors qu’elle ne se soumet pas aux exigences sublimes de “l’Aphrodite céleste” […]. Le désir sexuel ? C’est un “feu plein de démesure” : il jette “tant de gens dans tant de maux extrêmes” qu’il vaut mieux s’en méfier […] : mieux vaudrait, pour l’amant, “vivre toujours chaste avec son aimé chaste”. »
Saint Augustin, le dégoûté
« Et que dire de saint Augustin ? Génie immense pourtant, et qui savait de quoi il parlait (il fut débauché avant de se convertir), l’auteur des “Confessions” ne voit dans la sexualité qu’“ordures” et “débauche”, que “ténèbres sensuelles” et “turpitudes dégradantes”, que “pourriture” et “boueuse concupiscence de la chair”, que “misérable et ardente envie de se frotter aux créatures sensibles”, laquelle fait de celui qui s’y abandonne, comme le jeune Augustin, un être “repoussant et infâme”, plongé “dans un abîme de vices” et des “plaisirs infernaux” ! »
Épicure, l’effarouché
« La sexualité ne choque pas seulement les esprits religieux. Même mes philosophes préférés s’en méfient. Le doux et prudent Epicure y voit un désir certes naturel, mais non nécessaire (on peut vivre, et même être heureux, sans chercher à le satisfaire). “Qu’on s’estime heureux, disait-il, si l’on s’en tire sans dommage” ! »
Spinoza, le réservé
« Sans être absolument condamnée, la libido n’est guère valorisée dans l’“Ethique” (alors que la chasteté l’est, lorsqu’elle manifeste “la puissance de l’âme”) ; et le mariage lui-même n’est conforme à la raison que s’il vise à la procréation puis à l’éducation des enfants […]. Le même auteur, dans son “Traité de la réforme de l’entendement”, évoquait déjà l’accaparement de l’esprit par le plaisir sensuel, lequel “l’empêche au plus haut point de penser à un autre bien”, et “la tristesse extrême” qui suit “la jouissance de la volupté”. »
Nietzche, le contradictoire
« Nietzsche a beaucoup écrit, et fort bien, sur l’amour, beaucoup moins sur la sexualité. Mais ce qu’il en dit est sans équivoques. Loin que l’être humain soit un Dieu sexué, le sexe est plutôt ce qui nous interdit toute prétention à la divinité. […] La “petite bête”, comme dit Nietzsche en français, s’y oppose. […] Nietzsche, qui se flatte parfois de n’avoir jamais eu de désir (et dont la vie sexuelle […] fut semble-t-il bien pauvre) n’est pas un libertin, fût-ce en pensée, ni un jouisseur, ni même un hédoniste. »
Kant, le moraliste
« Un être humain qui ne posséderait pas cette inclination serait “incomplet”, note Kant, donc “imparfait en tant qu’être humain”. Mais tout autant s’il était insensible à la “honte” ou à la “pudeur” – disons à la gêne – que cette inclination suscite en lui […]. Le sexe n’est pas un divertissement comme un autre : il est le plus animal de nos plaisirs, quant à sa source, et le plus humain, quant à son objet. De là le trouble des amants […] Ils savent bien que le désir sexuel ne va pas sans une certaine “dégradation de l’être humain”. »
Schopenhauer, le pessimiste
« [Pour Schopenhauer], la passion amoureuse, comme la sexualité, n’est qu’une ruse de la nature, pour assurer la préservation et la propagation de l’espèce […] Une aversion “mutuelle, décidée et persévérante, entre un homme et une jeune fille”, c’est l’indice qu’il ne saurait naître d’eux qu’un enfant mal formé. Une grande passion, à l’inverse, n’indique pas que les deux amoureux sont faits pour vivre ensemble […], mais qu’ils ont tout pour faire, ensemble, de beaux enfants. »
Montaigne, le bon vivant
« Je ne connais guère que Montaigne qui parle du sexe comme il faut […]. La nature a pourvu les hommes “d’un membre inobédient [inobéissant] et tyrannique”, les femmes “d’un animal glouton et avide”, l’un et l’autre “impatients de délai”. Pourquoi refuser de les satisfaire ? Le pucelage, pour un adulte, est plus incommode qu’une cuirasse ; la chasteté, le plus âpre des vœux ; l’impuissance une “lésion énormissime”.[…] Il y a davantage. On trouve dans les “Essais” comme une anticipation de ce que Freud appellera “le principe de Nirvana” […]. »26 octobre 2016 à 12h39 #5390Compte-rendu du débat
Que dit la sexualité de l’être humain ?
Ambiance :
• Une bonne trentaine de participants était présente.
• Une poignée de nouveaux, dont certains ont pris la parole.
• Les propos étaient plutôt intéressants (dans bien des cas, on peut entendre des blagues fusées pour ce type de sujet, mais ce ne fût pas trop le cas lors de notre débat). Les propos portaient sur la sexualité vue:
> soit sous un angle « socio-anthropologique » : comment le contexte social, les mythes, l’histoire, les discours influencent les pratiques,
> soit sous l’angle de la subjectivité des personnes : comment, indépendamment des discours sociaux en vigueur, chacun réinterprète pour lui-même ses désirs ? Comment chacun s’autonomise par rapport à la pression sociale, et s’oriente vers une connaissance plus authentique de lui-même ?
Autrement dit, lorsqu’on parle de sexualité, on fait référence soit à un regard extérieur (apport d’informations, de connaissances), soit à un regard élaboré à partir de sa propre introspection (ce que l’on sait de et par soi-même).
Par exemple :
Il a été dit que la désinhibition générale qu’on observe dans la société aujourd’hui autour de la sexualité tuait la libido, altérait le désir. Pourquoi pas ? On peut le comprendre, le désir (sentir que l’on a du désir, la notion d’intensité) et la libido (l’imaginaire du désir, la notion de qualité) peuvent s’amoindrir s’ils s’affichent en excès. Mais on peut observer d’autres effets :
• le désir peut également se révéler dans le passage à l’acte (dans la mesure du respect de l’autre), il peut alors laisser place à une plus grande libido, à une plus grande richesse dans son expression. Le désir peut laisser également apparaître les couches souterraines qui le compose.
Une question se pose : nous faut-il, pour nous connaître, explorer toutes les couches qui structurent nos désirs ? Ou, suffit-il d’explorer à fond que l’une d’elles pour avoir une très bonne connaissance de soi ?D’autres biais cognitifs et interprétations sont possibles face à cette désinhibition:
• Ayant le sentiment d’avoir exprimé/vécu tous ses désirs, on peut perdre le sens de ses désirs, et ne plus savoir ce que l’on veut.
• Et inversement, il se peut que, ne connaissant pas nos désirs de façon effective, nous ne savons pas ce que nous désirons.
• Aujourd’hui, en raison des réseaux de rencontres internet, on peut être conduit à préférer fantasmer ses désirs plutôt que de chercher à les éprouver dans la réalité.
•> Dans ce cas-là, cette façon de se « connaître » par le virtuel seulement conduit-elle à mieux se connaître, ou au contraire, à s’isoler dans les limbes de son imaginaire ?Enfin, il est possible que nous soyons les « jouets » de nos désirs et que, n’en percevant pas l’architecture qui les organise, nous nous perdions sans fin dans leurs méandres, dans des circuits de répétition.
Donc, que veut-on dénoncer par la désinhibition générale de la libido, de la sexualité ?
Outre les problèmes de société que cela pose, notamment sur le plan esthétique, l’étalage d’images sexuelles (ou fortement suggestives) peut saturer les sens. A l’instar des publicités commerciales qui encombrent les espaces publiques, c’est une forme de pollution visuelle. Mais sur le plan de sa vie privée, est-ce un bien, ou est-ce un mal que la sexualité semble à ce point débridée ? Dans nos sociétés qui exaltent la liberté et l’individualisme, il semble que chacun ait à décider pour lui-même ce qui lui convient, et notamment, il convient qu’il sache contrôler une éventuelle impulsion hiératique à visiter des sites pornographiques . Mettons de côté pour l’instant la question des lois sur le contrôle d’accès à ces sites supposés être réservés aux adultes. On peut poser l’hypothèse que l’un des problèmes avec sa « libido » porte sur ce que chacun interprète comme étant sa limite par rapport à :
• son corps (ce que le corps impose, comme si le corps ne réagissait plus aux désirs, une absence de signal, ou à l’inverse, comme s’il était vulnérable à des addictions),
• ses fantasmes (ce que notre imaginaire évoque, et qui peut nous gêner, nous mettre mal à l’aise par rapport soi et par rapport aux autres),
• son ressenti (ce que notre sensorialité permet, on n’explorerait pas ses sens, ou on le ferait à l’excès, de façon trop narcissique),
• ses désirs (ce à quoi nos désirs, en tant que pulsions désirantes, nous pousse, et ce que l’on fait au contraire pour « étouffer » nos désirs).Ces manières de se percevoir (corps, fantasme, ressenti, pulsion désirante) apparaissent comme étant des modalités de nos perceptions, une phénoménologie du désir.
Par-delà les normes
Partons du principe qu’il n’y a pas de norme (pas de bonne ou de mauvaise pratique sexuelle en général), chacun étant libre d’explorer, seul ou avec son partenaire, sa « libido », il se pose donc la question de pouvoir identifier les limites de sa perception, sont-elles relatives à :
o une difficulté à écouter sa sensorialité, à élargir l’éventail de ses sens.
• Limites relatives au corps ?o Des barrières mentales (l’emprise des normes sur sa prise de décision, les impératifs du sur-moi, le « ça ne se fait pas » qui interdisent le « penser ».
• Limites relatives à des dogmes, des principes, une inhibition sociale héritée de son éducation ?o Des limites émotionnelles. On sent comme un sentiment d’inadéquation, de rejet, de dégoût qui s’impose lorsqu’il est question de vivre ses désirs.
• Limites relatives à une écoute de ses désirs, à entendre ce qui résonne en soi ? (fonction relative à l’intelligence intersubjective, au dialogue intérieur)o La difficulté à symboliser ses désirs, à leur donner une forme, à les faire dialoguer, à leur donner du sens.
• Limites relatives à accueillir son imaginaire, à le laisser librement s’évoquer, limites dans la capacité à se construire (à se comprendre).> Sans aucun doute, ces limites relatives à l’écoute du corps, de nos désirs, de nos émotions, et nos fonctions de symbolisation sont intrinsèquement liées. Mais nos limites sont souvent ressenties par l’un ou l’autre de ces modes de perception.
Pour ses différentes modalités d’un rapport à soi-même, il convient que chacun connaisse pour lui-même les caractéristiques des limites qu’il entretient. De quelles natures sont-elles, pourquoi sont-elles là ? Comment agissent-elles sur nous ? Que disent-elles de nous ?
Puis, respectant ses limites (elles ont peut-être de bonnes raisons d’exister ?), quels moyens chacun se donne-t-il pour, s’il le fallait, les dépasser ? Il s’agirait, finalement, de n’être ni le jouet de ses désirs, ni celui de ses perceptions (sa phénoménologie), ni encore la victime de son éducation. La question de fond étant, pour se connaître aussi clairement que possible faut-il tout connaître de son rapport au désir, de sa sexualité ?
Nos désirs ont-ils une origine ?
Le cas des bonobos a été cité, cette espèce de singe du Congo qui renforce ses liens et résout ses conflits par des stimulations sexuelles. La femelle dominante peut même forcer des mâles à subir des rapports sexuels pour les punir (les humilier, et réaffirmer ainsi son statut de dominante). Certes, la sexualité peut renforcer des liens, et l’intimité à laquelle elle donne accès est assez spécifique, mais du point de vue humain, doit-elle se réduire à évacuer nos tensions/frustrations ? La sexualité doit-elle être rustre et viser seulement nos satisfactions les plus immédiates ? La sexualité peut-elle nous permettre de nous révéler dans la relation à notre partenaire ?
Le sentiment océanique a été mentionné. On peut effectivement partir de l’idée qu’il est à la racine de tous nos désirs : inconsciemment, nous rechercherions à vivre (revivre) une fusion primordiale dont nous garderions la mémoire de notre vie fœtale. Le désir sexuel, notre libido serait motivée par l’appel d’une fusion totale que l’on souhaiterait revivre avec son partenaire.
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