Cafephilos › Forums › Les cafés philo › Les sujets du café philo d’Annemasse › De quoi le suicide est-il la réponse ? Sujet du lundi 06.03.2017 + compte-rendu et schéma
- Ce sujet contient 5 réponses, 3 participants et a été mis à jour pour la dernière fois par Nicolas REAUX, le il y a 8 années.
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1 mars 2017 à 21h23 #5468De quoi le suicide est-il la réponse ?
“Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux : il faut d’abord répondre. […]
Galilée, qui tenait une vérité scientifique d’importance, l’abjura le plus aisément du monde dès qu’elle mit sa vie en péril. Dans un certain sens, il fit bien. Cette vérité ne valait pas le bûcher. […]
Un geste comme celui-ci (le suicide) se prépare dans le silence du cœur au même titre qu’une grande œuvre. L’homme lui-même l’ignore. Un soir, il tire ou plonge. D’un gérant d’immeubles qui s’était tué, on me disait un jour qu’il avait perdu sa fille depuis cinq ans, qu’il avait beaucoup changé depuis et que cette histoire « l’avait miné ». On ne peut souhaiter de mot plus exact . Commencer à penser, c’est commencer d’être miné. La société n’a pas grand-chose à voir dans ces débuts. Le ver se trouve au cœur de l’homme. C’est là qu’il faut chercher. Ce jeu mortel qui mène de la lucidité en face de l’existence à l’évasion hors de la lumière, il faut le suivre et le comprendre. »
Le mythe de Sisyphe. Albert Camus.Bon, je sais, le sujet ne compte pas parmi les plus réjouissants, mais il n’est pas inintéressant de s’efforcer d’analyser finement ce qui se passe dans le cerveau du suicidant, de « suivre et de comprendre » comme nous y invite Albert Camus, et non pas de juger et de condamner.
Une ou deux données
Le suicide est un problème qui touche le monde entier et presque toutes les tranches d’âge. Au niveau mondial, les taux de suicide sont supérieurs chez les personnes âgées de 70 ans ou plus. Mais dans certains pays, c’est chez les jeunes qu’ils sont le plus élevés. Fait notable, le suicide est la deuxième cause de décès chez les 15-29 ans dans le monde. (Rapport de l’OMS 2014)
(Rapport de l’OMS 2014)
En France, le taux de suicide est le plus élevé parmi les pays européens, 18 cas pour 100 000 habitants, contre 12 cas pour les autres pays.Ressources à lire :
– La lumière noire du suicide. D’après le livre de notre ami Didier Martz, philosophe et responsable des cafés philo rémois.– Le dossier sur le suicide de Pedagopsy
– Suicide, l’impensé français. Philomag.
– Observatoire national du suicide.
– L’éthique du suicide. Encyclopédie de la mort.
– Le suicide, un problème philosophique
Ressources à écouter :
– Attachement, société et suicide, conférence de Boris Cyrulnik. Podcast de l’université de Lyon2– Les suicides des adolescents. Chronique de Brice Couturier. France Culture
– Comment enrayer le suicide des jeunes Amérindiens en Guyane française ? Le choix de la rédaction. France Culture.
– Une situation d’euthanasie en Suisse. Une chronique de France Culture.
– Lettres de suicide de Simon Critchley. Deux minutes papillon. France Culture.
– Suicide au travail : les employeurs devant la justice. Sur les docks, France Culture.
– Le suicide des médecins. Sur les docs, France Culture.
– Le suicide des policiers. Le choix de la rédaction. France Culture.
– Se donner la mort au XVIII siècle. Concordance des temps. France Culture.
3 mars 2017 à 13h19 #5470Camus s’est planté. La première question n’est pas « la vie vaut-elle la peine d’être vécue? » Mais il est vrai qu’il a fait 3 enfants, dont des jumeaux, ce qui démontre que sa sexualité l’empêchait de réfléchir correctement. Et c’est toujours le cas chez presque tous les humains. Pour reprendre cette question de Camus, il suffit de peu de choses, un changement de verbe, pour en faire la vraie question initiale, primordiale, et prioritaire. La voici: « La vie vaut-elle la peine d’être infligée? » Que je complète ainsi: « Les idéologies des existants sont-elles plus importantes que la souffrance d’un seul individu? » Mais ce n’est pas le sujet du jour, et peut-être traiterez-vous de cet essentiel-là dans un avenir où il est urgent de se la poser!
Du moins, en apparence ce n’est pas le sujet du jour, mais si vous ne traitez pas cette obligation que nous avons tous d’exister sans raison personnelle, mais pour la raison d’un autre, un existant, vous ne résoudrez pas correctement la question du suicide, ni aucun autre problème humain parce qu’ils lui sont tous directement dépendant (évidemment).
3 mars 2017 à 15h43 #5471ce n’est pas le sujet du jour, mais si vous ne traitez pas cette obligation que nous avons tous d’exister sans raison personnelle, mais pour la raison d’un autre, un existant, vous ne résoudrez pas correctement la question du suicide.
Bonjour,
Il y a une hypothèse intéressante que l’on peut dégager des implicites de votre message (nous existons par le choix de nos parents, lesquels nous infligent de naître) : nous suicidons-nous en raison du fait que notre vie ne nous appartient pas ?
Ce qui pourrait être paradoxale, car se suicider revient à reprendre sa vie. Certes, il est admis, sauf pour les partisans de la réincarnation, que nous ne choisissons pas de naître, mais si la vie nous a été offerte, avons-nous la possibilité de faire en sorte de se l’approprier ? Le fait que l’on ressente que la vie nous soit offerte (comme un don) ou transmise (mécanisme biologique) ou infligée (coup du sort) est-il fonction de la bienveillance avec laquelle les parents, ou un entourage proche, nous entourent ?Quelle part les conditions de notre naissance jouent-elles dans l’appel au suicide ?
4 mars 2017 à 13h51 #5472Camus s’est planté. La première question n’est pas « la vie vaut-elle la peine d’être vécue? » Mais il est vrai qu’il a fait 3 enfants, dont des jumeaux, ce qui démontre que sa sexualité l’empêchait de réfléchir correctement. Et c’est toujours le cas chez presque tous les humains..
Rebonjour,
Je poursuis le dialogue (bien que j’ignore si vous souhaitez répondre). Supposons, en effet, que Camus n’ait pas réfléchi à ses responsabilités de père, et à ce qu’il a imposé à ses enfants par le fait même de les avoir conçus. Cela signifie-t-il que Camus réfléchissait mal sur tous les plans ? Probablement pas, n’est-ce pas ? On peut commettre des erreurs à un moment donné sur certains plans, mais sans avoir tout faux partout ailleurs.
Il arrive même qu’on ait raison « par chance », et non par méthode, mais c’est un autre problème. 🙂Et comme vous laissez supposer que certains humains réfléchissent bien, quels sont, selon vous, les critères qui permettent de penser qu’un être humain réfléchit bien, notamment lorsqu’il s’agit de faire des enfants, de les mettre au monde, de les éduquer ?
6 avril 2017 à 17h39 #5498Compte-rendu du débat :
De quoi le suicide est-il la réponse ?Ambiance
– Plus d’une vingtaine de participants étaient présents.
On est toujours surpris du nombre élevé de suicides que comptent les nations en général. Au niveau mondial, les taux de suicide sont supérieurs chez les personnes âgées, mais dans certains pays, c’est chez les jeunes qu’ils sont le plus élevés. Fait notable, le suicide est la deuxième cause de décès chez les 15-29 ans dans le monde.Quelques éléments du débat
On remarque qu’il y a une typologie du suicide qui s’expliquerait à partir des raisons que se donne le suicidant.
Par exemple :
– Suicide professionnel : Il résulterait du harcèlement et d’un mal-être vécu sur le lieu de son emploi.– Suicide d’honneur : On se souvient de Pierre Bérégovoy (simple ouvrier devenu 1er ministre sous Mitterrand), chantre de la lutte anticorruption, il mit fin à ses jours, lorsqu’à son tour, il fut rattrapé par les affaires.
– Suicide altruiste : C’est une disposition à aimer mieux autrui que soi-même, et qui conduirait à des formes de suicide. On se suiciderait pour ne déranger personne, ou pour arranger tout le monde, ou de ne pas avoir la force de prendre part à l’existence.
– Le suicide héroïque : Ce type de suicide permettrait de sauver des vies. On peut penser à des sauveteurs, des soldats, à l’inconnu qui perd sa vie en sauvant la vôtre, au dernier de cordée qui sectionne sa corde pour ne pas entraîner dans sa chute, son équipe. Mais est-ce encore du suicide ? De même que l’euthanasie, il est peut-être des formes de « suicide » qui cherchent à célébrer la vie, la sienne en saluant ses proches avant de quitter la planète lorsque la maladie est incurable, ou celle d’autrui en le secourant.
Les typologies de suicide peuvent néanmoins pécher par simplification. Certains participants pensent que les suicides résultent d’une combinaison de facteurs. En effet, aucune raison, prise isolément, ne semble réunir une motivation suffisante pour mettre fin à ses jours. Les principales raisons peuvent se décliner sur trois plans :
1° L’environnement du suicidant : ce sont les facteurs liés au contexte de vie (endettement, pression familiale, scolaire, professionnelle, harcèlement, isolement, maladie, publicité/discours érotisant la mort, …)
2° : Le plan cognitif, c’est le plan des représentations mentales : le suicidant est incapable de se représenter une solution, des perspectives. Il se sent comme enfermé dans une boucle répétitive se resserrant sur elle-même.
-3° Le plan émotionnel : il s’agit d’une souffrance intérieure insupportable, c’est comme si le sentiment de soi du suicidant était momentanément défaillant. A ce titre, il semble que l’on ignore presque toujours ce que se dit vraiment le « suicidé » avant de commettre son acte.
Le fait d’être affecté sur l’un de ces trois plans (ou sur les trois à la fois) altère les capacités relationnelles : on a du mal à se positionner face à autrui.
Cliquer ici si l’image ci-dessous n’est pas nette.
Recours
Sur les trois plans mentionnés, des questions se posent :
1) Plan de l’environnement :
– Que peut-on modifier de l’environnement (scolaire, professionnel, familial) pour qu’il ne soit pas aussi « anxiogène », dévalorisant ou oppressant pour le suicidant ?
– A quels recours le suicidant peut-il faire appel pour se ressourcer, ou pour réagir face à son environnement ?2) Le plan cognitif, celui des représentations mentales
– Quels sont les facteurs qui empêchent d’entrevoir des solutions ? Est-ce un manque d’information, de connaissance ? Qu’est-ce qui, sur le moment de l’acte, ne permet pas au suicidant, de prendre du recul par rapport à lui-même ? Faut-il que le suicidant s’essaie à des pratiques méditatives ?
La question philosophique du sens de la vie serait éventuellement liée à ce plan : on ne parvient pas à entrevoir des raisons suffisantes de vivre.3) Le plan du rapport à soi-même, du sentiment de soi
– Qu’est-ce qui est cause d’un sentiment de soi « douloureux » ? Qu’est-ce qui est cause de la difficulté à rechercher des soutiens ? Faut-il que le suicidant apprennent à se confier, à se faire confiance ? Faut-il qu’il se libère de l’image qu’il a de lui/elle ?
– Faut-il apprendre à apprécier ce qui est beau pour se libérer du mal que l’on ressent ? Le mal de soi est-il hérité de notre enfance ? Vient-il d’une difficulté à trouver des manières de renforcer son estime personnelle ?Enfin, il est possible que des « suicidants », conscients de tous les facteurs mentionnés ci-dessus, veuillent malgré tout, risquer leur vie, un peu comme un appel qui leurre les lumières d’une absence à soi-même.
En dernier lieu, c’est comme si le suicidant offrait un silence insondable, et qu’il se refuse également à le sonder en conscience.Sujets corrélés :
– Faut-il se débarrasser de tous ses cauchemars ? (+ compte-rendu et schémas)
– Qu’est-ce que mourir dignement ? (+Compte-rendu et schémas)
– De quoi le suicide est-il le nom ? (+ compte-rendu et schéma)
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– Avons-nous des devoirs moraux envers nous-mêmes ?6 avril 2017 à 22h29 #5500Le suicide est aussi, je trouve, une prise en main radicale de sa vie: on ne choisit jamais si l’on naît, on ne choisit généralement pas de quand et comment l’on meurt, sauf si on prend la lourde décision de se suicider. Comme si là encore, l’Homme tentait de prendre le contrôle sur l’univers dans lequel il est en refusant le « destin ». Enfin, notre société où on considère que vivre longtemps est une bonne chose voit le suicide comme un événement dramatique. Mais même s’il est vrai que le fait de mourir fait peur et est associé à la douleur, on ne sait pas si la mort est un élévation ou une régression, mais ça doit être un autre sujet.
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